X.1.2. Les effets d’amorçage

L’effet d’amorçage est défini comme l’influence de la présentation d’un évènement, classiquement appelé « amorce », sur le traitement d’un évènement consécutif, la « cible ». L’amorce et la cible sont présentées successivement, séparées par un intervalle relativement court (inférieur à quelques secondes) appelé « Intervalle Inter-Stimuli » (ISI ; intervalle entre la fin de présentation de l’amorce et le début de présentation de la cible). Le délai séparant le début de présentation de l’amorce du début de présentation de la cible est appelé « Stimulus Onset Asynchrony » (SOA) ou asynchronie de début des stimuli. Lorsqu’un lien unit l’amorce et la cible, l’effet d’amorçage se traduit généralement par une facilitation, qui se mesure en comparant le temps de traitement de la cible et/ou la précision des réponses à cette cible en fonction de la nature de sa relation avec l’amorce (reliée ou non). Cet effet est inversement proportionnel à la distance amorce/cible (Meyer & Schvaneveldt, 1971) : lorsque l’amorce et la cible sont liées sémantiquement (chaise – table) ou qu’elles sont identiques (table – table), le traitement de la cible est réalisé de manière plus efficace et plus rapide que lorsqu’elles ne présentent aucun lien particulier (arbre – table ; Neely, 1976, 1991 ; Segui & Grainger, 1990). La facilitation est généralement plus grande dans le cas de la répétition. En outre, l’amorçage répété est souvent examiné lorsque l’amorce et la cible possèdent une casse différente (minuscules vs. majuscules ou inversement ; table – TABLE), éliminant ainsi les effets purement perceptuels (pré-lexicaux, basés sur les caractéristiques physiques des stimuli) et amplifiant ceux basés sur la récupération des représentations lexico-sémantiques des mots en mémoire. Ces effets d’amorçage sémantique et de répétition ont été largement documentés dans le cas du traitement des mots écrits et parlés, lors de tâches aussi diverses que la décision lexicale (Jacobs et al., 1995 ; Meyer & Schaneveldt, 1971), la dénomination (Ferrand, 1996), la prononciation orale (Schacter & Church, 1992), la catégorisation sémantique (Vriezen et al., 1995), l’identification perceptive (Masson & McLeod, 1992), ou encore la complétion de versions dégradées de cibles (Bassili et al., 1989). Des effets d’amorçage ont également été rapportés dans le traitement d’images (Ferrand et al., 1994) et de visages familiers (Bruce & Valentine, 1986).

Bien que plusieurs modèles aient été proposés pour rendre compte des effets d’amorçage sémantique et répété, l’interprétation la plus communément adoptée est celle d’un modèle à deux composantes (Posner & Snyder, 1975 ; Neely, 1977) : l’une fondée sur la notion de propagation de l’activation au sein d’un réseau sémantique, et l’autre sur la mise en place de stratégies de réponse. La première composante prévoit un recouvrement entre les représentations de l’amorce et de la cible : selon les théories de diffusion de l’activation (Collins & Loftus, 1975 ; McClelland & Rumelhart, 1981 ; Quillian, 1962), l’amorce activerait un concept et cette activation se propagerait, au sein du réseau sémantique, aux concepts immédiatement voisins. L’ensemble des mots/concepts soumis à cette propagation d’activation, alors considéré comme pré-activé, serait donc plus facile à traiter. Ce processus de diffusion de l’activation serait rapide, indépendant de l’attention et irrépressible (i.e. automatique, basé sur des processus non conscients). La deuxième composante fait appel à un processus, plus lent, intentionnel et contrôlé (i.e. basé sur des processus conscients), de stratégies de réponse : les participants utiliseraient l’amorce pour préparer sélectivement une réponse en fonction de la prévisibilité de la cible. La dissociation de ces processus automatique et contrôlé dans les paradigmes d’amorçage a été rendue possible grâce à la manipulation de variables telles que le nombre d’amorces liées aux cibles et le SOA. Aussi les processus contrôlés conscients seraient-ils particulièrement saillants lorsqu’une majorité d’amorces est liée aux cibles (plus grande prévisibilité de la nature de la cible) et que le SOA est suffisamment long pour mettre en place des stratégies de réponse. Une réduction du nombre d’amorces liées aux cibles et du SOA conduirait en revanche à des effets d’amorçage purement automatiques et inconscients (de Groot, 1984 ; Holcomb, 1988).