X.5.1. L’absence d’effet d’amorçage pour les verbes d’action : une origine sémantique ou grammaticale ?

Un rôle particulier du lobe frontal a été démontré dans le traitement de l’information grammaticale mais aussi sémantique relative aux verbes, à la fois chez des patients cérébro-lésés (Bak & Hodges, 2003 ; Bak et al., 2006 ; Caramazza & Hillis, 1991 ; Neininger & Pulermüller, 2001, 2003 ; Shapiro & Caramazza, 2003a) et chez des sujets sains (Cappa et al., 2002 ; Pulvermüller et al., 1999bc ; Preissl et al., 1995 ; Shapiro et al., 2001, 2005, 2006 ; Tyler et al., 2004 ; Vigliocco et al., 2006). La maladie de Parkinson étant caractérisée par une atteinte des boucles fronto-sous-cortico-frontales, l’hypothèse d’un rôle de la classe grammaticale et/ou de la catégorie sémantique des mots dans les résultats obtenus dans la présente étude peut être avancée.

D’une part, l’hypothèse grammaticale semble supportée par l’une des deux études ayant évalué, à ce jour et à notre connaissance, l’intégrité du traitement des verbes d’action chez les patients parkinsoniens (Bertella et al., 2002 ; Peran et al., 2003). Peran et collègues (2003) ont ainsi démontré un déficit de génération de verbes, en réponse à des mots (noms et verbes) liés sémantiquement, chez des patients parkinsoniens non déments. Plus précisément, les patients commettaient plus d’erreurs de type grammatical (i.e. production d’un nom à la place d’un verbe, ou inversement) que les sujets sains, notamment dans les conditions impliquant des verbes (i.e. génération d’un nom en réponse à un verbe, et génération de verbes). En outre, la corrélation de leurs performances avec les scores obtenus dans des tâches mnésiques notamment (MATTIS), et non avec les scores moteurs UPDRS, a conduit les auteurs à interpréter ces résultats en faveur de l’hypothèse grammaticale, selon laquelle les patients parkinsoniens éprouveraient des difficultés à apprécier l’information grammaticale relative aux verbes. Ils soulignent toutefois que le test UPDRS n’évalue que grossièrement les troubles moteurs (seuls les mouvements sans signification sont examinés ; cette remarque s’applique également à notre étude), suggérant que d’autres travaux soient nécessaires pour tester également l’hypothèse sémantique. Leur interprétation grammaticale s’accorde ainsi avec les études ayant rapporté un déficit d’apprentissage de nouveaux verbes (Grossman et al., 1994) et des troubles de la compréhension de phrases complexes « non canoniques » (i.e. centrées sur l’objet, « la fille que le garçon a  raccompagnée était gentille » ; Grossman et al., 1991, 1992 ; Grossman, 1999 ; Lieberman et al., 1990, 1992 ; Natsopoulos et al., 1991) chez des patients parkinsoniens non déments. Dans notre étude, l’absence d’effet d’amorçage répété pour les verbes d’action pourrait donc résulter de l’incapacité des patients à traiter correctement ces mots en tant que classe grammaticale. L’origine grammaticale des déficits de compréhension de phrases chez les patients a toutefois été récemment remise en question, certains auteurs arguant plutôt en faveur d’un ralentissement de traitement de l’information, ou encore de limitations des ressources cognitives en termes de charge en mémoire de travail (Grossman, 1999 ; Grossman et al., 2002, 2005). Ainsi, le déficit grammatical apparent de certains patients parkinsoniens lors de la compréhension de phrases pourrait en réalité ne résulter que d’un ralentissement des processus de récupération lexicale des mots en mémoire (Grossman et al., 2002).

D’autre part, contrairement à l’hypothèse grammaticale, l’hypothèse sémantique suppose que les patients parkinsoniens ne pourraient traiter correctement les verbes en raison d’un défaut d’accès aux représentations linguistiques et motrices des actions qu’ils désignent. Comme nous l’avons déjà mentionné, les études neuropsychologiques et menées chez les sujets sains ont révélé une contribution importante du lobe frontal au traitement des verbes en tant que catégorie sémantique (i.e. liée à l’action ; Bak & Hodges, 2003 ; Bak et al., 2006 ; Cappa et al., 2002 ; Neininger & Pulermüller, 2001, 2003 ; Pulvermüller et al., 1999bc ; Vigliocco et al., 2006). Un recrutement des régions prémotrices et motrices a également été rapporté lors du traitement de mots (noms ou verbes) se référant à des actions corporelles (Etude 3 ; Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Boulenger et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk et al., 2004b ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Tettamanti et al., 2005). Le traitement des verbes d’action pourrait donc subir les conséquences des troubles moteurs des patients parkinsoniens suite à l’atteinte de la boucle frontale motrice impliquant les aires prémotrices et motrices. Autrement dit, dans l’hypothèse où les représentations neuronales des verbes d’action incluent en partie les régions corticales motrices (Boulenger et al., 2006ab ; Gallese & Lakoff, 2005 ; Pulvermüller, 1999a, 2001a, 2005a), la privation de traitement dopaminergique chez les patients pourrait affecter sélectivement le traitement des amorces « verbes d’action », réduisant les chances de faciliter l’identification subséquente des cibles identiques.

Dans la présente étude, compte tenu du fait que les stimuli différaient à la fois sur les dimensions grammaticale et sémantique, nous ne pouvons clairement affirmer qu’une hypothèse plutôt que l’autre permette d’expliquer nos résultats, et par là même rejeter formellement l’hypothèse alternative. Toutefois, la procédure d’amorçage masqué mettant en jeu les processus d’activation lexico-sémantique des mots en mémoire, et conformément à nos précédents travaux (Boulenger et al., 2006ab ; Etude 3), nous privilégierons l’hypothèse sémantique pour rendre compte de l’absence d’effet d’amorçage pour les verbes d’action chez les patients en OFF. La réalisation de la même tâche avec des noms d’action et des verbes d’état permettrait notamment d’évaluer le rôle de la classe grammaticale dans les patterns de résultats observés.