X.5.2. Traitement automatique des verbes d’action et boucle frontale motrice

La démonstration d’une absence d’effet d’amorçage masqué pour les verbes d’action chez les patients en OFF suggère que les processus automatiques d’activation lexico-sémantique de ces mots reposent, au moins en partie, sur les régions et circuits de contrôle moteur, anormalement activés dans la maladie de Parkinson. Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction de ce chapitre, une hypoactivation de l’AMS, des aires sensorimotrices primaires et du cortex prémoteur latéral a été décrite chez les patients parkinsoniens lors de la réalisation de mouvements manuels (Catalan et al., 1999 ; Jahanshahi et al., 1995 ; Jenkins et al., 1992 ; Playford et al., 1992 ; Rascol et al., 1992, 1994 ; Sabatini et al., 2000 ; Turner et al., 2003). Cette hypoactivation était en outre compensée par la prise médicamenteuse de L-Dopa. Une réduction d’amplitude des potentiels de préparation motrice (« Readiness Potential », RP et « Contingent Negative Variation », CNV), corrélée à une hypoactivation de l’AMS, a également été rapportée chez ces patients (Dick et al., 1987, 1989 ; Ikeda et al., 1997 ; Oishi et al., 1995 ; Shibasaki et al., 1978 ; cf. Chapitre IX). Par ailleurs, en accord avec les études de neuro-imagerie (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk et al., 2004b ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Tettamanti et al., 2005), nos précédents travaux ont révélé une implication des régions corticales participant à la préparation et à l’exécution motrices dans le traitement des verbes d’action (Boulenger et al., 2006b ; Etude 3). Plus particulièrement, nous avons démontré que la lecture et la perception subliminale de verbes d’action, en regard de noms concrets, peuvent interférer avec l’exécution et la préparation simultanées, respectivement, d’un mouvement de préhension. Nous avons interprété ces données comme reflétant un partage de substrats neuronaux entre le traitement des mots d’action et le contrôle moteur. En outre, l’observation d’un effet d’interférence alors même que les mots étaient perçus inconsciemment (Etude 3) nous a conduit à suggérer que l’activation lexico-sémantique relative aux verbes d’action implique automatiquement les aires prémotrices et motrices. Les régions de traitement de l’action feraient donc partie intégrante des représentations neuronales des mots d’action.

L’ensemble de ces considérations pourrait rendre compte des résultats obtenus dans la présente étude : chez les patients parkinsoniens en OFF, la déplétion en dopamine conduit en effet à un dysfonctionnement majeur de la boucle motrice se projetant sur les cortex moteur et prémoteur. Si le traitement des mots d’action repose sur les régions et circuits moteurs, via un mécanisme basé sur l’apprentissage « hebbien » (Pulvermüller, 2001a, 2005a) ou sur la simulation motrice (Gallese & Lakoff, 2005 ; Jeannerod, 2001 ; Rizzolatti & Arbib, 1998), nous pouvons supposer que, lors de la perception subliminale des amorces « verbes d’action », un déficit d’activation lexico-sémantique automatique des aires périsylviennes du langage aux régions motrices et prémotrices se soit produit, conduisant à une absence d’effet d’amorçage. Autrement dit, les amorces « verbes d’action » n’auraient pas été traitées convenablement en raison de l’atteinte de la boucle motrice : les patients n’auraient donc pas bénéficié de ces amorces pour traiter les cibles « verbes d’action » présentées ultérieurement. La prise de L-Dopa (ON) aurait ensuite permis de compenser les troubles moteurs et de restaurer les niveaux d’activation des aires motrices et prémotrices. L’information liée aux amorces « verbes » aurait alors activé ces régions, conduisant au traitement efficace de ces mots et à un rétablissement des effets d’amorçage répété.

Ces données recueillies chez les patients parkinsoniens suggèrent que le traitement des verbes d’action, ou du moins la récupération lexico-sémantique automatique de ces mots en mémoire, puisse dépendre de l’intégrité de la boucle frontale motrice impliquant les ganglions de la base et les cortex prémoteur et moteur. Ainsi, l’activation automatique des représentations neuronales des verbes d’action ne serait réalisée dans sa totalité et de manière efficace que si les circuits cortico-sous-corticaux de contrôle moteur sont eux-mêmes intacts. Cette interprétation s’accorde avec les études neuropsychologiques ayant rapporté des déficits de traitement des mots d’action et des concepts d’actions chez des patients atteints de pathologies motrices (Bak et al., 2001, 2006 ; Bak & Hodges, 2004 ; mais voir Mahon & Caramazza, 2005 pour une discussion). Par ailleurs, la boucle motrice se projetant majoritairement sur l’AMS, l’on peut se poser la question du rôle de cette aire dans le traitement automatique des verbes d’action. A cet égard, il est intéressant de constater que les études d’imagerie cérébrale n’ont décrit aucune activation spécifique de l’AMS lors de la perception visuelle ou auditive de mots se référant à des actions (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004b ; Tettamanti et al., 2005). Les difficultés à localiser précisément cette aire, située dans la partie interne de la première circonvolution frontale, avec les techniques d’imagerie cérébrale pourraient rendre compte de ces résultats. Les données recueillies dans la présente étude incitent néanmoins, pour les études futures, à explorer son activité de manière plus systématique et subtile lors de tâches portant sur des mots d’action.