X.5.3. Boucle motrice ou autres boucles frontales ?

Nous avons proposé que l’absence d’effet d’amorçage masqué pour les verbes d’action chez les patients parkinsoniens puisse refléter l’implication de la boucle motrice dans le traitement de ces mots. Toutefois, d’autres explications semblent pouvoir être apportées pour rendre compte de nos résultats. Comme décrit dans l’introduction de ce chapitre, il est admis que la dopamine influence la vitesse et la qualité de traitement de l’information (Angwin et al., 2004 ; Bloxham et al., 1987 ; Cepeda & Levine, 1998 ; Cooper et al., 1994 ; Kischka et al., 1996 ; Poldrack et al., 2001 ; Schubotz et al., 2000). Plus précisément, ce neurotransmetteur permet d’augmenter le rapport signal/bruit, facilitant le traitement de l’information pertinente pour la réalisation d’une tâche. Chez les patients parkinsoniens, la déplétion dopaminergique conduirait alors à une susceptibilité accrue au bruit neuronal, l’information pertinente étant plus difficile à distinguer et par conséquent à traiter. Selon cette hypothèse, dans notre étude, les propriétés lexico-sémantiques des amorces auraient pu être incorrectement traitées en raison d’un bruit neuronal important, réduisant l’influence potentielle de ces amorces sur le traitement subséquent des cibles. Cette interprétation ne permet cependant pas d’expliquer pourquoi la susceptibilité au bruit neuronal lors du traitement des amorces aurait conduit à une absence d’effet d’amorçage uniquement pour les verbes d’action, et pas pour les noms concrets.

Nos résultats pourraient également être interprétés dans le cadre d’une atteinte des boucles fronto-sous-cortico-frontales autres que la boucle motrice. D’une part, des études ont démontré que les patients parkinsoniens en OFF obtenaient de mauvaises performances dans des tâches portant sur la mémoire et l’attention (Mohr et al., 1987 ; Perry et al., 1985 ; Taylor et al., 1987). La privation de traitement dopaminergique chez les patients testés dans notre étude aurait donc pu conduire à un déclin des performances en termes de ressources attentionnelles par exemple. La même remarque que précédemment s’applique néanmoins ici, à savoir que dans ce cas, les effets d’amorçage auraient dû être réduits à la fois pour les verbes et pour les noms. D’autre part, de moins bonnes performances dans des tâches de fluence d’actions (i.e. génération spontanée de verbes d’action), censées reposer sur la boucle frontale dorsolatérale, ont été mises en évidence chez des patients parkinsoniens déments ou non, en regard de sujets sains (Piatt et al., 1999a ; Signorini et al., 2006). Piatt et collègues (1999a) ont par exemple démontré que les performances dans de telles tâches, en regard de la fluence sémantique ou lexicale, permettaient de distinguer les patients parkinsoniens déments des patients non déments. Ils ont alors suggéré qu’un trouble de fluence des actions constitue un indicateur fiable de l’évolution vers la démence dans la maladie de Parkinson. La sensibilité de la fluence d’actions aux pathologies fronto-striatales et son utilité dans l’étude du fonctionnement exécutif ont été corroborées par les mêmes auteurs (Piatt et al., 1999b), ayant rapporté des corrélations entre les performances de sujets sains âgés dans une tâche de fluence d’actions et lors de tests mesurant les fonctions exécutives. Signorini et al. (2006) ont quant à eux mis en évidence un déficit de fluence d’actions, et non de fluence sémantique ou lexicale, chez des patients parkinsoniens non déments, par rapport à des sujets témoins (en désaccord avec Piatt et al., 1999a). Les auteurs ont également interprété ce déficit comme reflétant l’existence d’atteintes des fonctions exécutives, reposant sur le lobe frontal, dans la maladie de Parkinson.

Dans notre étude, alternativement à l’hypothèse sémantique « motrice » que nous avons privilégiée, l’absence d’effet d’amorçage pour les verbes d’action pourrait donc résulter de troubles des fonctions exécutives, et de fait, de l’atteinte de la boucle dorsolatérale associative et non motrice. Toutefois, il faut noter que si les déficits de fluence d’actions chez les patients parkinsoniens ont été expliqués en termes de troubles exécutifs de contrôle de l’attention notamment (Signorini et al., 2006), les patients n’éprouvaient aucune difficulté dans des tâches similaires de production spontanée de mots appartenant à d’autres catégories sémantiques (e.g. animaux, couleurs, légumes), ni de mots commençant par une lettre précise. La considération de ce point laisse donc penser que, bien plus que des troubles exécutifs, des déficits de récupération de l’information spécifiquement liée à l’action existent dans la maladie de Parkinson. La crédibilité de l’hypothèse « motrice » est par ailleurs confortée par les études ayant décrit des activations prémotrices et motrices lors de tâches de génération de verbes d’action (Grafton et al., 1997 ; Grèzes & Decéty, 2001 ; Hamzei et al., 2003). Grafton et al. (1997) ont par exemple démontré une activation, outre dans l’aire de Broca, dans les cortex prémoteurs ventral et dorsal et l’AMS gauches lors de la production silencieuse de verbes associés à l’utilisation d’outils. Hamzei et al. (2003) ont également rapporté une activation de l’aire de Broca, du gyrus précentral gauche et de l’AMS lors de la génération silencieuse de verbes d’action. Ce pattern d’activation se recouvrait en outre avec celui obtenu lors de l’observation de mouvements de préhension dans le gyrus frontal inférieur et dans une région délimitant ce gyrus et le gyrus précentral gauche. Ces données, en démontrant une implication des aires prémotrices et motrices (en accord avec Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004a ; Tettamanti et al., 2005), et notamment de l’AMS, cible principale de la boucle motrice, dans la production des verbes d’action, étayent donc notre hypothèse d’un rôle de la boucle motrice dans l’activation automatique de l’information relative aux verbes d’action. Les scores « normaux » obtenus aux tests évaluant les fonctions exécutives (MATTIS et BREF), ainsi que l’absence de corrélation entre ces scores et les effets d’amorçage répété des patients nous incitent également à privilégier cette interprétation.