XI.3.Perspectives

Plusieurs perspectives, dont certaines feront l’objet de mon travail de recherche de post-doctorat dans le laboratoire du Pr Pulvermüller à Cambridge, sont offertes par les résultats recueillis au cours de cette thèse.

Dans notre première étude, nous avons décrit des effets d’AdA des mots distincts sur les performances de reconnaissance de noms concrets et de verbes d’action chez des sujets adultes sains, suggérant l’existence de représentations neuronales différentes pour ces deux catégories de mots. Ces résultats pourraient ainsi ouvrir la voie à l’exploration systématique de la mise en place de ces réseaux neuronaux au cours de l’apprentissage du vocabulaire. Il serait en effet intéressant d’étudier plus précisément la dynamique d’organisation de ces réseaux chez des enfants jeunes en cours d’apprentissage de la langue et des enfants scolarisés plus âgés. Les facteurs grammaticaux et sémantiques sous-jacents à cette divergence des représentations neuronales entre noms concrets et verbes d’action pourraient alors être mieux compris. L’analyse des corrélations entre les habiletés motrices des enfants pour réaliser les actions désignées par les verbes et leurs performances de reconnaissance de ces mots permettraient en outre de corroborer ou de nuancer l’hypothèse d’un rôle crucial des représentations d’actions dans l’établissement des corrélats neuronaux des mots d’action.

L’ensemble de nos résultats démontre une implication évidente du système moteur dans l’organisation des représentations des mots d’action. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, le choix des stimuli s’est délibérément porté sur des mots différant à la fois en termes de classe grammaticale et d’associations sémantiques. Les études décrites dans ce travail ne permettent donc pas d’évaluer le rôle de la classe grammaticale des mots dans les processus de reconnaissance de ces mots. Il serait par conséquent utile de répliquer ces travaux en utilisant des noms possédant des associations motrices spécifiques (e.g. construction) ou non (e.g. arbre), et des verbes décrivant des actions corporelles (e.g. écrire) ou des états mentaux et cognitifs (e.g. suggérer). Une contribution majeure de l’information sémantique à l’établissement de liens étroits entre langage et motricité devrait se traduire par une influence du traitement des noms d’action sur le contrôle moteur (en accord avec Pulvermüller et al., 1999c et Vigliocco et al., 2006). A l’inverse, la performance motrice ne devrait pas être affectée par la présentation de verbes d’état. Un rôle complémentaire de l’information grammaticale, et plus particulièrement du cortex frontal dans le traitement des verbes (Shapiro et al., 2001, 2005, 2006), devrait néanmoins conduire à des modulations de ces patterns d’interaction. Ainsi, les effets potentiels d’interférence et de facilitation du traitement des noms d’action devraient s’exprimer dans une moindre mesure que ceux obtenus pour les verbes d’action. De la même manière, une influence, si minime soit-elle, du traitement des verbes d’état pourrait être observée sur la préparation et l’exécution des mouvements en regard de noms concrets sans association motrice.

Une autre perspective offerte par l’ensemble de nos résultats, combinés aux données de neuro-imagerie fonctionnelle (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Hauk et al., 2004b ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Tettamanti et al., 2005), est de déterminer à quel point les régions et circuits moteurs sont impliqués dans la récupération des mots d’action : sont-ils également recrutés lorsque ces mots sont placés dans un contexte idiomatique/métaphorique en regard d’un contexte littéral (e.g. prendre la mouche vs. prendre la tasse) ? Si les aires prémotrices et motrices constituent une partie intégrante des représentations neuronales des mots d’action (Pulvermüller, 2001a, 2005a), et si le traitement d’un mot d’action repose sur la simulation de cette action dans le système moteur (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Gallese & Lakoff, 2005 ; Tettamanti et al., 2005), l’on peut alors supposer que la perception d’une phrase idiomatique telle que « Pierre prend la mouche » devrait recruter ces régions corticales de manière précoce, rapide et automatique, de la même manière que la perception d’une phrase de type « Pierre prend la tasse ». Toutefois, le sens du verbe d’action contenu dans la phrase idiomatique étant « détourné » de son sens propre, la réverbération d’activation au sein des assemblées de cellules devrait être rapidement avortée au profit d’une autre activation plus adaptée à l’analyse du contexte. Autrement dit, cette activité devrait diminuer, voire disparaître, une fois l’accès au sens idiomatique du verbe d’action établi (i.e. sens littéral du verbe écarté). De tels résultats corroboreraient l’hypothèse des modèles de l’apprentissage « hebbien » et du système miroir quant à une contribution majeure des régions de traitement moteur dans la compréhension du sens des mots désignant des actions.

Si de premiers résultats dans ce sens ont été fournis par notre étude menée chez les patients parkinsoniens, à savoir que les régions corticales et sous-corticales de contrôle moteur pourraient jouer un rôle notable dans les processus automatiques d’activation lexico-sémantique des verbes d’action en mémoire, les études menées chez les sujets sains restent néanmoins nécessaires afin de préciser le rôle de ces régions dans le traitement des mots. Les études neuropsychologiques fournissent en effet des éléments permettant d’inférer des hypothèses sur les mécanismes de fonctionnement du cerveau sain. Toutefois, sans remettre en cause la validité et l’utilité de ces travaux, les réorganisations corticales suite à des lésions cérébrales sont nombreuses et encore mal connues, suggérant que les mécanismes fonctionnels empruntés par le cerveau lésé puissent être différents de ceux sous-tendant le fonctionnement du cerveau sain. L’hypothèse de liens étroits unissant le traitement des mots d’action et l’action chez les sujets sains, jusqu’à présent principalement testée en termes d’influence de la perception de ces mots sur le système moteur, nécessite donc d’évaluer le pattern inverse, à savoir l’influence de la motricité sur le traitement des mots d’action. De telles données seraient en effet cruciales pour démontrer clairement une implication des régions motrices dans le traitement du sens des mots d’action. Selon le modèle de l’apprentissage « hebbien » (Pulvermüller, 1996a, 1999a, 2001a), les assemblées de cellules représentant les mots seraient composées de connexions réciproques entre les aires corticales, de sorte que l’activité de ces aires se renforce mutuellement. Le modèle du système miroir (Buccino et al., 2005 ; Gallese & Lakoff, 2005 ; Tettamanti et al., 2005) postule également un recrutement systématique des régions prémotrices et motrices lors du traitement de mots se référant à des actions, via un mécanisme de simulation de ces actions permettant d’accéder à leur sens. Un rôle essentiel des aires prémotrices et motrices dans la compréhension des mots d’action devrait alors se traduire par une modulation spécifique des performances de reconnaissance de ces mots lors du recrutement simultané du système moteur. Autrement dit, l’identification des mots d’action au niveau comportemental, ou encore la dynamique des corrélats neurophysiologiques sous-tendant leur reconnaissance, pourraient être affectés par l’exécution et/ou l’observation simultanée d’un mouvement.

Outre leur aspect fondamental, les données recueillies au cours de ce travail de thèse pourraient enfin être à-même d’ouvrir de nouvelles perspectives quant à la mise en place de méthodes de rééducation de patients cérébro-lésés ou d’enfants présentant des retards d’acquisition du langage ou des habiletés motrices. Ainsi, suite à une exploration minutieuse de leurs déficits spécifiques à une catégorie de mots (noms vs. verbes ou objets vs. actions), les patients souffrant de troubles de traitement des verbes d’action, et des mots d’action en général, pourraient bénéficier d’une rééducation spécifiquement basée sur les performances motrices, dans laquelle la production et l’écoute de ces mots serait systématiquement corrélée à l’exécution et/ou à l’observation des actions correspondantes. Des techniques de rééducation du même type pourraient également être envisagées chez les enfants dysphasiques souffrant d’un retard d’acquisition du langage. Les liens fonctionnels unissant langage et motricité pourraient par ailleurs être mis à profit chez des patients apraxiques et des enfants dyspraxiques : des méthodes rééducationnelles reposant sur les processus de récupération des mots d’action en mémoire (i.e. production spontanée de mots d’action, identification des mots etc.) pourraient potentiellement améliorer les troubles moteurs de ces patients.