Quelle évaluation de l’égalité des chances ?

Si l’évaluation permet de juger et d’éclairer les interventions publiques par rapport aux résultats attendus, aux impacts et aux besoins que celles-ci ont en perspective [Commission Européenne, 1993], si elle permet d’en reconnaître et d’en mesurer les effets propres [Deleau et al, 1986], est-elle vraiment, en l’état actuel des choses, susceptible – aussi bien au niveau législatif, réglementaire que méthodologique –de nous éclairer sur la dimension sociale des politiques de transports urbains ?

‘« Et Dieu créa l’évaluateur…
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et Dieu regarda tout ce qu’Il avait fait, et vit que cela était bon. Un matin, puis un soir advinrent : et ce fut le sixième jour. Le septième jour, après tout son travail, Dieu se reposa. Alors Son archange vint et Lui demanda « Dieu, comment sais-Tu que ce que Tu as créé est ‘bon’ ? Quels sont tes critères ? Sur quelles données fondes-Tu Ton jugement ? N’es-Tu pas trop impliqué pour pouvoir effectuer une évaluation juste et impartiale ? ». Dieu réfléchit à ces questions pendant toute la journée et Son Repos en fut grandement troublé. Le huitième jour, Dieu s’écria « Lucifer, va en enfer ». L’évaluation est alors créée, auréolée de joie. Depuis le statut de la profession a été souvent mis en doute : la voie du salut ou une place sûre en enfer ? » [Patton, 1981].’

Sans lui promettre pour autant une place en enfer, l’hypothèse de notre recherche est bien d’analyser dans quelle mesure l’existant ou l’outil d’évaluation à construire permet de rendre compte de la dimension sociale des politiques de transports urbains. Or, penser l’égalité des chances entre les individus, c’est se concentrer sur les libertés qu’ont les individus de s’accomplir et non sur les moyens qu’ils ont de les réaliser [Sen, 1992]. Ainsi, l’espace d’évaluation de la justice sociale d’une politique est alors vu en termes de capabilités individuelles identiques pour tous les individus. A. Sen justifie que cette approche des capabilités diffère de l’évaluation des politiques, qui s’appuie sur l’utilitarisme et plus généralement sur l’économie du bien-être. Alors que celle-ci s’intéresse aux résultats d’accomplissement des individus et peut aborder la problématique de l’équité par la justice redistributive des biens, l’évaluation des capabilités des individus « assure une reconnaissance plus complète de la diversité des facteurs qui peuvent enrichir ou appauvrir une vie » [Sen, 1992, p.71] en donnant une importance aux potentialités et aux modes de fonctionnement des individus. C’est le positionnement théorique que nous choisissons par notre recherche et qui se traduira par une mesure des (in)égalités de chances d’accès à un ensemble d’activités de « reproduction sociale » [Beckouche et Damette, 1983], reflets des espaces potentiels des libertés d’opportunités des groupes sociaux. Pour cela, nous formulons l’hypothèse d’une réduction de la capabilité au seul vecteur de fonctionnement supposé existant pour tous les citadins qui est celui de l’accès aux activités de la ville, et aux états de la caractérisation sociale des individus par leur niveau de vie et leur position sociale (classes socio-professionnelles). Nous identifierons donc dans notre travail la capabilité à ces états et ces actions des individus, même si la représentation de la capabilité par ces dimensions n’est évidemment pas une représentation exhaustive de l’ensemble des états et des actions des individus. Par ailleurs, nous excluons la mesure des (in)égalités de chances d’accès au marché de l’emploi qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux. Nous excluons également la mesure des (in)égalités de chances d’accès physique à l’école, en formulant l’hypothèse que les établissements primaires, et dans une moindre mesure les collèges et les lycées sont relativement bien répartis sur les territoires urbains. Ce qui signifie qu’on ne prend pas en compte la « réputation » et la « qualité » de ces établissements.