1. Une institutionnalisation du processus d’évaluation assez limitée

1.1. Différentes tentatives d’institutionnalisation de l’évaluation des politiques publiques depuis le début des années 1980

L’histoire française de l’aide à la décision de l’action publique est marquée par de nombreuses évolutions depuis 20 ans. Inscrire l’évaluation sur l’agenda du fonctionnement de l’Etat a été l’objet de plusieurs tentatives dont deux prédominent depuis le début des années 1970.

La première grande tentative a été celle de la Rationalisation des Choix Budgétaires (R.C.B.) 4 . Cette méthode a été mise en place en 1968 par les responsables des finances publiques, afin de résoudre les problèmes rencontrés dans les finances et de développer les budgets de programme des évaluations ex ante. Ainsi, l’évaluation économique (R.C.B.) trouve une justification car le fondement des activités économiques stipule la rareté des ressources : tensions fortes entre les besoins grandissants et les quantités limitées et insuffisantes des ressources, exigence de rentabilité, etc. Cette étape ne dura que peu de temps pour être abandonnée en 1984 5 , laissant la place à de nouvelles perspectives politiques de l’aide à la décision. Même si la R.C.B. a été purement et simplement abandonnée, le calcul économique, couramment utilisé à cette période, n’a pas disparu pour autant. « Les cellules R.C.B. mises en place dans les ministères techniques n’en ont pas moins continué à fonctionner et produire des études » [Champsaur, 1990, cité dans Perret, 2001, p.76].

La deuxième grande tentative fut celle du dynamisme rocardien du début des années 1990 – le renouveau du service public -, avec la mise en place d’un dispositif gouvernemental d’évaluation des politiques interministérielles 6 . Elle fut rapidement suivie d’un élan de la haute sphère politique au milieu des années 1990. Cet élan a été amorcé, dès l’année 1995, à la suite du message du Président de la République Jacques Chirac, recommandant aux parlementaires de « lutter contre la dérive des équilibres financiers en recherchant la meilleure adéquation entre le coût et l’efficacité des dépenses décidées par les élus nationaux » [Gault et al, 2000, p.15]. Cela fut suivi, en novembre 1998, par un décret relatif à l’évaluation des politiques publiques. Ce décret précise l’objet de l’évaluation, mais aussi les rôles respectifs du Conseil National d’Evaluation et du Commissariat Général au Plan 7 dans les diverses évaluations conduites par l’Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics. Par la circulaire du 28 décembre 1998 relative à l’évaluation des politiques publiques, le Premier Ministre Lionel Jospin rappelle la priorité fixée par le gouvernement : l’amélioration de l’efficacité de l’administration et du service public. Tenant compte du constat d’essoufflement de la procédure du début des années 1990 – notamment à cause de sa lourdeur administrative 8 -, cette circulaire a pour objectif de rénover la procédure d’évaluation des politiques publiques, afin de la rendre plus simple, plus efficace et plus rapide. Pour cela, les orientations suivies par le gouvernement devaient être de développer l’évaluation ministérielle et interministérielle des politiques publiques. Dans la foulée, la Mission d’Evaluation et de Contrôle (M.E.C.) est créée en 1999 9 au sein de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, afin d’accroître la qualité de l’évaluation parlementaire en matière budgétaire. Elle a pour mission principale d’inciter les administrations à raisonner en termes d’« objectifs - résultats - contrôle ». Elle sera, à terme, appelée à jouer un rôle essentiel avec le dispositif d’évaluation qui se met en place avec la Loi Organique sur les Lois de Financements [L.O.L.F., 2001] (articles 57 et 59). La L.O.L.F. constitue une réforme complète du dispositif instauré par l’ordonnance de 1959 10 , avec la mise en place de programmes qui traduisent le passage d’une logique de moyens à une logique d’objectifs et de résultats devant faire l’objet d’évaluation.

Cela a été certes deux grandes étapes de l’institutionnalisation de la politique de l’évaluation, mais il y a eu peu d’avancées réelles sur le fond et sur la forme de cette institutionnalisation. Chacune des tentatives reste bien ancrée sur le plan purement institutionnel et étatique, sans avoir réellement fait émerger un processus donnant une place à part entière à l’évaluation des politiques publiques, aussi bien au niveau des pratiques qu’auprès des acteurs décisionnels. Comme le montre le rapport de la Délégation pour la planification du Sénat établit par J. Bourdin et al. [2004], l’évaluation est « en panne », puisque, au-delà de la diffusion difficile de la culture de l’évaluation, les élans politiques donnés à l’évaluation n’ont pas rencontré les succès escomptés [Bourdin, et al, 2004]. Et ce, même si depuis 1990, il y a eu l’émergence d’un pôle d’évaluation des politiques publiques en France 11 . L’évaluation est un projet toujours en construction qui, selon les auteurs, appelle une volonté politique forte.

Notes
4.

La R.C.B. s’inspire du Planning, Programming and Budgeting System américain (P.P.B.S.), création des autorisations de mise sur le marché pour le médicament et le développement des Tableaux Statistiques de l’Activité des Praticiens (T.S.A.P.). Le P.P.B.S., quant à lui, a été mis en place par Robert S. Mc Namara en 1961. L’objectif originel de sa création était de s’assurer de la cohérence des missions militaires et des budgets. Le P.P.B.S. comportait quatre phases majeures que sont la planification, la programmation, l’allocation des ressources budgétaires et enfin la réalisation.

5.

La R.C.B. est abandonnée en 1984, suite à une perte d’influence sur les décisions budgétaires soumises à une gestion conjoncturelle plutôt qu’à une gestion et une définition des programmes d’investissements.

6.

Le décret du 22 janvier 1990 donne une définition précise de l’évaluation : « Evaluer une politique, c’est rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés ». Ce décret a créé le Comité Interministériel de l’Evaluation (C.I.M.E.) dont la mission était de développer et de coordonner les initiatives gouvernementales dans le domaine de l’évaluation. Il a également créé le Fond National du Développement de l’évaluation (F.N.D.E.) devant financer les projets arrêtés par le C.I.M.E., après l’obtention d’un avis favorable du Conseil Scientifique de l’Evaluation (C.S.E.). Ce dernier, garant de la qualité et de l’indépendance des évaluations, avait pour mission de favoriser le développement des méthodes d’évaluation et d’en définir une déontologie. Ce dispositif procédural annonçait trois principes devant gouverner toutes les évaluations :le pluralisme, l’indépendance et la transparence.

Malgré le développement d’une culture de l’évaluation suscitée par le dynamisme rocardien, l’ensemble de ce dispositif est rapidement arrivé à bout de souffle. Les thèmes d’évaluations retenus étaient d’importances inégales. Le cadrage des évaluations ne correspondait pas au cadrage des politiques. De nombreuses difficultés méthodologiques ont été pointées. Enfin, le système mis en œuvre n’a pu se développer compte tenu de mauvaises coordinations entre les administrations qu’il mobilisait.

7.

Le Conseil National de l’Evaluation (C.N.E.) a été créé par le décret du 18 novembre 1998, remplaçant le Conseil Scientifique de l’Evaluation (C.S.E.). Le C.N.E. a pour mission de mettre en œuvre, chaque année, un programme d’évaluation soumis à la décision du Premier Ministre. Ce programme est établi en concertation avec les administrations concernées. En outre, il est réalisé avec le Commissariat Général au Plan qui assure le secrétariat du C.N.E., et détient les clefs du suivi des travaux et du suivi budgétaire des évaluations engagées dans le programme. La seconde mission du C.N.E. est de formuler un avis sur la qualité des travaux réalisés par les différentes administrations impliquées dans les évaluations. Pour de plus amples informations, nous pouvons nous référer au portail internet de l’Evaluation ( http://www.evaluation.gouv.fr ).

8.

La procédure d’évaluation de 1990 s’est relativement vite essoufflée, le C.S.E. n’ayant eu qu’une durée de vie de huit ans. Cependant, durant cette période, au-delà de sa lourdeur administrative et des différents blocages qui ont contribué à son essoufflement (cf. note de base de page n°7), cette procédure a permis de sensibiliser les différentes administrations sur les thèmes des objectifs et des méthodes des évaluations.

9.

En 1999, la Société Française de l’Evaluation (S.F.E.) est créée pour promouvoir l’activité de l’évaluation et la profession de l’évaluateur.

10.

« Promulguée le 1er août 2001 […], la loi organique relative aux lois de finances - la LOLF - programme les étapes d'une réforme radicale non seulement de la présentation des comptes de l'État, mais aussi des pratiques des administrations publiques et du travail d'orientation et de contrôle de la dépense publique qu'effectue le Parlement. […]. Les gestionnaires de l'administration n'auront plus à répartir des moyens, mais à gérer des choix stratégiques par rapport à des objectifs et à des résultats. Ils devraient aussi s'interroger sur l'organisation des services et le périmètre des interventions de l'État à l'occasion de la mise en place des programmes. […] Mais ils devront aussi assumer les contraintes de la réforme, en particulier le renforcement des contrôles et évaluations, qu'ils proviennent des services du Budget, avec le développement des batteries d'indicateurs et du système d'information financière et comptable ACCORD, ou des Assemblées parlementaires. » [Chabert, 2004, cité dans , 2005]

11.

Les auteurs de ce rapport plaident pour un renforcement de l’évaluation, la considérant comme « une démarche politique et un instrument au service d’une gestion publique performante, permettant de renouveler les modes de gouvernance du pays, si celle-ci est menée de façon indépendante, pluraliste, transparente et efficace » [Bourdin et al, 2004]. Ils insistent également sur les liens à mettre en œuvre entre le développement de l’évaluation et la réforme budgétaire engagée par la Loi Organique sur les Lois de Financements.