2.2.2. Evaluation a posteriori : méfiance ou pratique de la gestion de succès

Ayant du mal à savoir s’il s’agit d’un outil à leur disposition ou d’un système de contrôle, les acteurs locaux font preuve d’une méfiance et d’une frilosité vis-à-vis de l’évaluation a posteriori. Comme le montre V. Gamon, dans le cadre des bilans L.O.T.I., obligatoires après la réalisation de grandes infrastructures 20 , cette relation des acteurs locaux aux procédures évaluatives viendrait d’une «définition imparfaite des rôles [de l’évaluation] (qui) expliquerait en partie la réticence […] à une diffusion publique » [Gamon et al, 1999, p.121]. Peu de bilans L.O.T.I. – et donc peu de diffusion publique – sont faits. Lorsque des évaluations a posteriori sont réalisées, elles restent descriptives et superficielles [Gamon et al, 1999] et ce, même si les exigences ensont toutes autres. Non seulement, elles doivent mesurer les résultats de l’action, rendre des comptes et se soumettre au jugement public, mais elles doivent aussi permettre de préparer et améliorer les processus de l’action future. Ces réticences sont inhérentes à la crainte qu’ont les acteurs de s’exposer au public en leur donnant les armes pour contester toute action à venir. Pour cela, la pratique de l’évaluation a posteriori n’est pas aussi développée que l’évaluation a priori.

Cependant, la pratique évaluative des collectivités locales ou territoriales est plus forte que celle de l’Etat. J.-M. Offner [1998] montre comment se développe cette pratique qui apparaît assez loin des objectifs premiers de l’usage de l’évaluation. Selon J.-M. Offner, il y a un mouvement d’appropriation pragmatique par les responsables locaux de l’évaluation dans le but de la «gestion du succès » pour légitimer une politique mise en œuvre. « Tout se passe comme si les acteurs locaux reconnaissent la nécessité d’une rationalisation a posteriori. Ils cherchent ainsi à améliorer les modalités d’action, et non à juger de la pertinence de cette action par rapport à des objectifs initiaux ou de la pertinence même des objectifs. » [Offner, 1998, p.225]. L’évaluation se trouve, selon V. Chanut [2003(b)], dans une position ambiguë, vouée à rester une action de liaison et un enjeu de lutte entre la vérité et le pouvoir.

Malgré cela, ce mouvement est tout de même assez restreint. Peut-on vraiment dire que les acteurs locaux font de l’évaluation et se l’approprient ? Si les acteurs locaux recherchent une légitimation a posteriori de leur politique, ce ne serait que « pour montrer que la politique qu’ils ont suivie est la bonne » ? J.-M. Offner précise tout de même que les collectivités locales font preuve d’un manque de légitimité scientifique et politique de l’évaluation analytique. N’ayant pas les compétences techniques ou les connaissances requises, les acteurs locaux se préservent de l’évaluation qui apparaît comme un outil pouvant remettre en cause leurs compétences à décider, et ce, même si elle est réalisée.

Aussi bien au niveau de l’Etat central qu’au niveau des collectivités locales, l’évaluation apparaît comme une activité faiblement identifiée. Peu ont pris conscience que l’évaluation pouvait être un outil de régulation et de pilotage des affaires publiques, ou encore qu’elle pouvait déboucher sur une amélioration et une évolution des processus d’action publique. Les acteurs publics s’approprient lentement l’évaluation qui n’est pas perçue comme un outil d’aide à la décision, mais interprétée comme un outil technocratique. Ainsi, même si une évaluation est faite, il existe un décalage entre la perception des résultats bruts de l’évaluation et les finalités plus larges qu’elle peut susciter – dont l’une est de rendre perfectible les processus d’action politique.

Si l’évaluation est devenue une nécessité reconnue, et est renforcée par les lois de décentralisation, « elle doit […] encore clarifier ses modes et ses champs d’intervention, refuser le « faire valoir » et convaincre pleinement de son utilité pour voir ses préconisations prises en compte. Autant de défis d’une intégration définitive qui ne seront relevés qu’avec les élus et les fonctionnaires territoriaux eux-mêmes… » [Pouvoirs Locaux, 2003, p.1].

Notes
20.

L’article 14 de la L.O.T.I. [1982] prévoit que les grands projets d’infrastructures de transports fassent l’objet, s’ils sont réalisés avec le concours de financements publics, d’une évaluation a posteriori (bilan LOTI) des résultats économiques et sociaux dans un délai de cinq années après la mise en service de l’infrastructure.