4. La dimension sociale absente des pratiques évaluatives…

Le concept du développement durable comprend également la question de l’équité sociale. Contrairement aux deux dimensions économique et environnementale, la dimension sociale n’est pas, jusqu’ici, prise en compte dans les pratiques de l’évaluation de projets 25 , ni dans les rapports Boiteux [1994, 2001], ni dans les circulaires relatives à l’évaluation [Idrac, 1995, Brossier 1998, Circulaire 2004]. Aucun élément n’apparaît dans les résultats des évaluations sur les effets des projets de transports au niveau des individus, si ce n’est par les seuls gains de temps procurés par le projet. Pourtant, les effets des projets de transports peuvent être différents pour chacun des individus et ne se caractérisent pas nécessairement et uniquement par des gains de temps. Les politiques peuvent créer, amplifier ou réduire des inégalités, des iniquités…

De plus, les évaluations des projets de transports urbains sont souvent des évaluations socio-économiques qui tentent de prendre en compte l’ensemble des avantages et des inconvénients du projet. Non seulement les critères économiques, mais également d’autres critères, tels que l’équité sociale, sont théoriquement à considérer. Même si des critères économiques ou environnementaux peuvent être évalués pour chaque usager du système de transports lors d’un projet (gain de temps, conséquences sanitaires…), les résultats d’évaluation de ces impacts ne sont pas différenciés en fonction des caractéristiques des individus – par exemple, selon les niveaux de vie ou la position sociale. En effet, les variations de surplus collectifs sont estimées à partir de l’agrégation des variations de surplus individuels 26 afin de donner des informations quant aux impacts d’un projet sur la collectivité. Les surplus collectifs, sauf à les décliner par groupes de personnes, ne permettent donc pas de mettre en avant les possibles inégalités ou iniquités des individus vis-à-vis d’un projet de transports. Compte tenu que ceci n’est pas fait dans les pratiques d’évaluation en France, la dimension sociale des projets de transports n’est pas prise en considération.

Alors que le concept de développement durable se voit largement diffusé, même si les procédures d’évaluation de l’intérêt des projets ne sont pas toujours utilisées, un développement et un renouveau des outils et des méthodes d’évaluation sont donc nécessaires [Vivier, 1998] si on veut prendre explicitement en compte les attentes des décideurs et l’opinion publique - et notamment la dimension sociale. Les attentes des projets de transports urbains sont relatives à la problématique de la ségrégation urbaine et à leurs rôles dans la réduction des inégalités entre les individus [L.O.T.I., 1982 ; LOADT, 1995 ; S.R.U., 2001 ; Rosales et al, 2002 ; Fitoussi et Rosanvallon, 1996]. Il importe donc d’établir un nouveau cadre d’analyse, mettant en valeur la spécificité des projets et des politiques, et d’étendre le champ d’évaluation aux critères propres aux transports urbains, afin de mettre en valeur l’apport de ces projets / politiques par rapport aux enjeux de développement urbain.

De cette première analyse, nous retiendrons l’existence d’une volonté d’institutionnaliser les procédures d’évaluation qui est passée par des choix d’harmonisation méthodologique et des évolutions aussi bien sur la forme que sur le fond des méthodes d’évaluation. Cette institutionnalisation étatique suscite de nombreux débats, notamment par rapport à l’appropriation, au fond et à la forme des méthodes d’évaluation vis-à-vis des attentes des décideurs et de l’opinion publique. De ce point de vue, alors que la mise en œuvre de politiques de développement « durable » conduit les acteurs à prendre en considération des préoccupations environnementales et sociales, notamment en termes d’équité, d’égalité des chances ou de cohésion sociale (chapitre 2), les méthodes et les résultats des évaluations ne reflètent pas ces attentes. Même si la question de l’équité sociale est de plus en plus présente dans les discours des décideurs, elle n’est pas prise en compte actuellement dans les pratiques d’évaluation, dans les rapports, dans les recommandations, ni dans les circulaires d’évaluation.

Notes
25.

Les exemples de projets interurbains de l’Encadré 4 sont assez éloquents sur la non prise en compte de la dimension sociale dans les résultats d’évaluation [Maurice et al, 2001]. Il en est de même sur les projets de transports urbains dont nous donnons quelques références : « Projet de prolongement Ouest de la première ligne de tramway de Nantes » [Monge, 1997], « Expertise des projets ÉOLE et MÉTÉOR » [Bouzy et Smagghe, 1995], « Expertise des investissements éventuels sur la ligne C du RER de l’Ile de France » [Smagghe et Desbazeille, 1998], « Plan des Déplacements Urbains de l’agglomération toulousaine » [AUAT, 2000], « Ligne D Toulouse / Muret. Evaluation socio-économique » [Corinthe Consultants, 2002], « Caractéristiques principales des ouvrages. Métro de l’agglomération toulousaine. Ligne B » [SMTC, SMAT, AUAT, 1999]. Ce dernier exemple d’évaluation est peut-être le plus avancé dans la prise en compte de certains aspects sociaux. Sont abordés succinctement et de manière littérale les impacts globaux du projet sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, la cohésion sociale entre les quartiers, ou la création d’emploi inhérente à la réalisation du projet. Toutefois, au-delà de l’aspect littéral, ces éléments ne sont pas pris en compte dans les résultats de l’évaluation socio-économique. Cette dernière intègre les coûts d’investissement et de fonctionnement de l’infrastructure, les gains de temps, les gains dus à la décongestion et les externalités environnementales.

26.

Dans la théorie utilitariste et l’analyse coûts-avantages, le surplus individuel est la somme de l’ensemble des avantages moins la somme des inconvénients procurés par un projet. La variation de surplus est donc le différentiel de surplus entre une situation de référence et une situation avec la réalisation du projet.