2. Utilitarisme et analyse coûts-avantages

2.1. Les fondements de l’évaluation économique : une conception utilitariste

Les fondements des outils de l’évaluation des choix d’investissements de transport relèvent du calcul économique – analyse coûts-avantages - qui repose sur la représentation d’un système à l’aide d’une théorie microéconomique normative : l’utilitarisme. Ce cadre d’analyse a longtemps constitué le cadre dominant de la réflexion éthique des économistes (Encadré 7). Sous des conditions de concurrence pure et parfaite, la finalité de l’utilitarisme est de maximiser la satisfaction ou le bien-être collectif. L’utilitarisme entend ainsi satisfaire les préférences de tous les individus, avec pour seule restriction qu’elles soient rationnelles. L’utilitarisme peut être qualifié de conséquentialiste dans le sens où les politiques sont jugées en fonction des conséquences qu’on peut, avec plus ou moins de certitude, leur attribuer. Il est également individualiste, dans le sens où l’évaluation d’une politique se réduit à « l’agrégat des biens individuels et le « tout social » […] n’excède pas la somme des parties » [Arnsperger et Van Parijs, 2003, p.16]. Enfin, il est qualifié de welfariste 34 , car la seule chose qui intervient dans l’évaluation est le bien-être, mesuré par l’utilité, des individus et de la société.

Encadré 7 : Les quatre courants de la réflexion contemporaine en éthique économique et sociale
La réflexion en éthique économique et sociale, « centrée sur l’élaboration de principes caractérisant des institutions justes, même si les traditions dans lesquelles elles s’inscrivent contiennent indiscutablement […] des visions de la société bonne « perfectionnistes », c’est-à-dire fondées sur une conception préalablement établie de ce qu’est la vie bonne ou la perfection humaine » [Arnsperger et Van Parijs, 2003, p.12], est dominée par quatre grands courants :
- L’utilitarisme est une doctrine éthique dont l’hypothèse de départ est que ce qui est « utile » est bon et que l’utilité peut être déterminée rationnellement. Les pères de cette philosophie sont J. Bentham [1789] et J. Stuart Mill [1861]. Le postulat de départ de la théorie utilitariste est qu’on peut constater et démontrer le bien éthique. Il est défini à partir des motivations élémentaires de la nature humaine qui sont celles de la recherche du bonheur et la fuite de la souffrance. Ainsi, l’utilitarisme affirme qu’il ne peut pas y avoir de conflit entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs dans le sens où leurs intérêts sont identiques s’ils se fondent sur l’utilité.
- Le libertarisme puise ses fondements dans la pensée libérale classique de J. Locke [1690] à W. Von Humboldt [1792], et dans les écrits philosophiques des économistes autrichiens L. Von Mises [1940] et F. Von Hayek [1960]. Il est une doctrine se basant sur l’individualisme libre en considérant les agents individuels comme les objets fondamentaux de préoccupation morale. Il s’attache au respect pour les droits des agents et considère les droits de propriété comme étant le type de droit pertinent des agents. Il s’affiche en alternative à l’utilitarisme dans les années 1970, entre autres, sous l’influence de D. Friedman [1973] et R. Nozick [1974] (cf. Arnsperger et Van Parijs [2003]).
- Le marxisme, quant à lui, trouve ses origines dans le vaste mouvement intellectuel impulsé par Karl Marx, notamment à travers les œuvres Le matérialisme historique [1845] et La contribution à la critique de l’économie politique [1859]. C’est une doctrine affirmant qu’une société juste est une société sans rapport de domination. Elle considère donc injuste une situation d’exploitation ou de domination de certains individus. Le marxisme s’est affiché en alternative à l’utilitarisme dès les débuts du XXème siècle.
- Enfin, l’égalitarisme, « conception libérale-égalitaire », trouve ses fondements dans l’œuvre Théorie de la Justice de J. Rawls [1971]. L’égalitarisme est une idéologie qui attribue à l’égalité des individus une place prépondérante dans les systèmes de valeurs, en matière politique, économique et sociale. « Rawls n’a cessé d’occuper depuis lors une position pivot, au carrefour des débats substantiels avec les vénérables traditions utilitariste, libertarienne et marxiste qu’il a forcées à se reformuler, mais aussi avec les tentatives de fournir une base éthique cohérente aux mouvements tiers-mondiste, féministe et écologiste » [Arnsperger et Van Parijs, 2003, p.56].
Même si ces quatre approches se confrontent et ouvrent des débats éthiques contemporains, depuis la réflexion Rawlsienne, l’utilitarisme est demeuré jusqu’au milieu des années 1970, le courant dominant de la réflexion en éthique économique.

Sources : d’après [Arnsperger et Van Parijs, 2003]

Notes
34.

Le welfarisme est un anglicisme du langage des économistes qui pourrait être traduit par « politique du bien-être ». Au début du 20ème siècle, on nommait « économie du bien-être » (welfare economics) la branche de l’économie qui stipule que le bien-être collectif est conçu comme étant l’agrégation du bien-être de chacun des individus composant la société.