3.4. Désagrégation des surplus et l’égalité des chances ?

Avant même de s’intéresser à une redistribution des biens entre les individus, pour rendre compte de la dimension sociale d’une politique de transports urbains, il est nécessaire de « s’accorder sur les phénomènes susceptibles de traduire un fait ou un changement » [Gallez, 2000, p.114] en relation avec ces critères d’égalités. En outre, selon C. Gallez [2000], les indicateurs traitant de la dimension sociale ne « se caractérisent pas par un contenu, mais par une mise en forme particulière des analyses menées » [Gallez, 2000, p.114] relativement à un projet de transports. Il est donc important de mettre en œuvre un outil permettant d’éclairer les décideurs sur les différences pouvant exister dans la distribution des inconvénients et des avantages, sur l’identification des impacts du projet ou d’une politique de transports sur différentes catégories sociales d’individus.

La prise en compte de la dimension sociale pourrait se faire par une analyse un tant soit peu désagrégée des résultats de chacun des critères mesurables d’un projet afin de caractériser les conséquences du projet sur chacun des individus (ou groupe d’individus). Rappelons que l’analyse coûts-avantages évalue l’ensemble des variations de surplus des avantages et des inconvénients avant même de les agréger. Dès lors, nous pourrions penser qu’une désagrégation des surplus par catégories d’individus permettrait d’analyser les différents groupes d’individus par rapport aux évolutions associées à un projet de transports urbains. La prise en compte de la dimension sociale pourrait se faire, par l’analyse coûts-avantages, en ne recherchant pas systématiquement à fournir un résultat fondé sur le bien-être collectif. Ce qui n’est pas fait dans les pratiques évaluatives françaises des projets de transports (urbains).

Mais, sila justice redistributive - en termes d’analyse désagrégée des surplus - peut être théoriquement prise en compte dans l’évaluation, elle ne correspond pas à la conception d’égalité des chances. Même si la « répartition [justice distributive en termes d’égalité de situation] se focalise sur les utilités, sur les revenus ou sur des biens premiers, elle ne tient pas compte de ces différences de capacités. Ainsi, […] que l’on choisisse n’importe quel point de la répartition, que l’on décide du moment de la répartition (avant ou après échange) ne suffit pas. Il faut tenir compte dans l’objet de la répartition, de la capacité des individus à réaliser leurs finalités » [Ballet et Mahieu, 2002, p.41].

Le fait de traiter de la justice redistributive en termes d’égalité de situation n’est pas suffisant, si en amont, il n’est pas possible de rendre compte des modes de vie et des pratiques sociales des individus [Sen, 1987, 1989]. En effet, « les fonctionnements [au sens de Sen] sont les modes de vie et pratiques sociales qui déterminent l’usage des biens et leur confèrent une plus ou moins grande utilité » [Perret, 2002, p.20]. Dès lors, avant même de s’intéresser aux résultats d’accomplissement des individus et d’en égaliser les situations entre les différents groupes, il convient d’évaluer les potentialités des individus [Perret, 2002]. Cela se traduit par la prise en considération des libertés individuelles des individus ou encore les possibilités qu’ils ont « d’accomplir certaines actions importantes de leur point de vue ». Ainsi, en s’appuyant sur les réflexions de A. Sen, B. Perret ajoute qu’« il serait intéressant de mesurer la capabilité des individus à faire face aux problèmes de leur vie quotidienne (déplacements, entretien du logement, soins, loisirs, [travail], etc.) et à choisir leur mode de vie » [Perret, 2002, p.21].