1.3. Inégalités sociales / spatiales de la mobilité urbaine

Durant ces vingt dernières années, une très large partie de la population a pu bénéficier d’une amélioration générale de l’accessibilité dans les territoires urbains. La démocratisation de la voiture, ainsi que l’amélioration des performances des transports collectifs permettent aux individus de bénéficier d’un potentiel de ressources de plus en plus important. Cependant, la mobilité urbaine des individus révèle des différenciations et des inégalités. Les inégalités sociales ou spatiales sont le résultat de nombreux paramètres concomitants, dont, entre autres, les conditions de la mobilité urbaine au sens de M. Wiel, fortement contraintes par les activités que réalisent les individus. Les inégalités de la mobilité urbaine peuvent être caractérisées par des pratiques de déplacements spécifiques et différentes selon les territoires urbains ou selon les profils socioprofessionnels des individus (cf. Chapitre 2).

Les caractéristiques sociales, professionnelles et économiques des individus renvoient à des différenciations sociales et à des inégalités verticales – en fonction des ressources des ménages – qui s’accompagnent d’inégalités en termes d’accès aux modes de déplacements ou de motorisation, contraintes de la mobilité individuelle. G. Claisse et al. [2002] montrent que « les inégalités verticales de niveau de mobilité, lorsqu’elles existent, sont liées aux inégalités verticales d’accès à la voiture particulière ; dès lors qu’on neutralise cet accès différencié à la voiture particulière, les niveaux de mobilité quotidienne des individus sont peu sensibles à leur niveau de vie » [Claisse et al, 2002, p.13].

D’autre part, les évolutions des espaces géographiques et des modes de vie des individus s’accompagnent d’une différenciation des territoires dans les milieux urbains. La spécialisation ou stratification sociale des territoires peut avoir pour conséquence une ségrégation sociale et spatiale de certaines catégories d’individus. Elle peut se traduire par une assignation territoriale [Coutard, et al, 2001, 2004] plus ou moins contrainte de certains individus, qui, de fait, se retrouvent pénalisés en termes d’insertion sociale et d’accès aux activités de la ville ou au marché de l’emploi. En outre, l’évolution des territoires urbains a dissout les adéquations existantes, par exemple, entre les lieux d’habitat et les lieux d’emplois. Cette évolution fonctionnelle des espaces urbains et l’évolution de la localisation des activités créent des disparités territoriales qui agissent sur la mobilité des individus. Comme le montre D. Mignot [2002] sur l’exemple de Vaulx-en-Velin, alors que cette commune a connu dans les années 1980 un développement des activités économiques, elle a aussi un fort taux de chômage. Il n’y a donc pas d’adéquation entre l’offre d’activités et la demande des habitants de Vaulx-en-Velin. Cette dégradation d’accès aux activités, biens et services de la ville devient plus forte lorsque les individus se trouvent confrontés aux problèmes d’accès à un mode de transport en particulier. S. Wenglenski [2005] montre, à ce titre, dans le cas de l’Ile-de-France, qu’« en termes de potentiel de déplacement, d’une part, les différentiels de localisation des résidences et des emplois, d’autre part, l’inégal accès des actifs à la voiture sous-tendent pour une large part le constat de marchés de l’emploi inégaux entre actifs des différentes catégories socio-professionnelles au détriment des plus modestes » [Wenglenski, 2005, p.13]. Elle montre que, dans la région parisienne, s’il y a un maintien des niveaux moyens d’accessibilité à l’emploi des cadres, cela est dû à « l’alternative fournie par un dispositif collectif (les transports en commun) » [Wenglenski, 2005, p.13]. A l’opposé, la situation des ouvriers est tributaire d’un recours nécessaire à la voiture particulière. Cette situation est quelque peu paradoxale, puisque ce sont ces derniers qui ont les contraintes financières les plus fortes pour accéder à la voiture. De plus, S. Wenglenski [2003, 2005] montre que les distances importantes à parcourir peuvent être un frein aux déplacements des individus défavorisés, contraignant, avec d’autres facteurs endogènes ou exogènes à leur personne, les droits et les libertés dont ils jouissent. C’est le cas de « ceux […], qu’en plus des difficultés matérielles, [dont] l’épreuve douloureuse d’une expérience sociale adverse expose à des empêchements liés à des représentations et des perceptions négatives de l’espace ; ceux dont les marges de manœuvre en matière de localisation résidentielle – stratégique en termes de potentiel de mobilité – sont peu extensibles ; ceux dont l’accès à la voiture demeure discriminé ; ceux enfin dont la précarisation de l’emploi exige le plus de mobilité » [Wenglenski, 2005, p.2].

Se pose alors la question du droit au transport, mais plus encore, la question de l’égalité des chances entre les individus.