2. Prise de conscience de l’importance de la dimension sociale

La notion de développement durable, l’évolution des territoires urbains, l’évolution des modes de vie des individus, la croissance des inégalités et les processus de ségrégation urbaine [Bassand et al, 2001 ; Mignot et Buisson, ed, 2005] changent les visions et les pratiques des décideurs en matière d’aménagement du territoire. Elles conduisent notamment à considérer, dans les processus décisionnels, des aspects de la dimension sociale [L.O.T.I., 1982 ; L.A.U.R.E., 1996 ; L.O.A.D.T., 1995 ; S.R.U., 2001]. Un des objectifs des politiques de transports concerne de plus en plus les inégalités de chances qui risquent de s’instaurer ou de s’accroître entre les individus qui, selon leur profil socioprofessionnel, seront ou non en mesure de saisir les chances offertes et de bénéficier des aménités de la ville.

Ces principes d’égalités sont présents à tous les niveaux de décisions - et pas seulement dans le domaine des transports - et notamment au niveau de « l’Etat-providence » [Rosales et al, 2002] 38 . A une nuance près, c’est que les changements que la société et les secteurs économique et social ont connus, modifient les notions d’égalité. S. Rosales et al. [2002] montrent l’existence, de la part des acteurs publics, d’une recherche permanente de l’égalité entre les individus ou entre les territoires. Cette recherche est un moyen de préserver la société et ses fondements. Même si l’égalité des droits est toujours une préoccupation majeure des planificateurs et reste un trait majeur de la société et de l’Etat français 39 , la recherche d’une égalité des chances entre les individus ou les territoires devient de plus en plus préoccupante dans les réflexions et les documents d’orientation étatiques et locaux de la société française (Encadré 11). Cela s’affirme par la recherche d’une cohésion sociale et une réduction des disparités socio-économiques [Vandersmissen, 2002], notamment dans le domaine des transports urbains. L’accès de tous aux activités de la ville – entre autres, aux services pour les individus et les ménages - serait la déclinaison d’un droit au transport pour tous comme condition d’égalité des chances.

Encadré 11 : De l’égalité de droit à l’égalité des chances, une préoccupation de la société française
« Les inégalités croissantes et les nouvelles inégalités, leurs causes multiples et les conséquences à tous niveaux rendent compte qu’il y a des problèmes fondamentaux au sein de la société et de ses choix économiques. […]
Le Conseil d’Etat, dans son rapport public de 1996 sur le principe de l’égalité, affirme que « le principe d’égalité est menacé si la société dont il fonde l’ordre juridique voit s’étendre de nouvelles et graves inégalités », ce qui est le cas en France aujourd’hui. Dans ce cas, le principe d’égalité joue davantage sa crédibilité sur le terrain de l’égalité des chances. Compromise par une précarisation d’une partie de la population et notamment de la jeunesse, cette égalité ne peut être confortée que par une conception plus active de la solidarité […] On voit d’ailleurs se dessiner de nouvelles figures de l’égalité des chances autour des thèmes de l’équité économique et sociale, de l’égalité des territoires […] Le rétablissement de l’égalité des chances est devenu un objectif nécessaire à la préservation du principe d’égalité au centre de notre Etat de droit.
Cette évolution de l’égalité des droits à l’égalité des chances est relativement récente. Comme l’analyse le Conseil d’Etat dans son rapport cité, l’idée d’égalité s’est élargie petit à petit dans le siècle qui vient de s’achever au domaine économique et social : égalité des droits économiques et sociaux (sécurité sociale, salaire minimum, RMI) et égalité des chances (école, université…). Ces dispositifs, constituant ce qu’on appelle l’Etat-providence, sont fortement ancrés dans le droit français.
Mais s’il est évident que ces dispositifs ne peuvent assurer à eux seuls le principe d’égalité et surtout l’égalité économique et réelle au sein de la société, il est clair qu’ils produisaient jusqu’il n’y a pas si longtemps « le sentiment d’un certain progrès vers cette égalité réelle ». En effet, ce sentiment de progrès pour tous est mis en cause par les crises économiques et sociales et par les inégalités produites, et de ce fait l’Etat-providence est critiqué de tous bords, pour son apparente incapacité à faire face et par rapport aux coûts et à l’efficacité de ses investissements. […]
C’est pour cela qu’on est dans une transition entre l’égalité des droits, qui reste fondamentale et permanente, et l’égalité des chances, car il est devenu de plus en plus difficile de lutter contre l’exclusion dans une société où la solidarité se fragilise et où la montée de l’individualisme suscite un certain retour du citoyen vers la sphère du privé, en se renfermant.
De ce fait, et malgré les mises en cause de l’Etat-providence, celui-ci reste, et encore plus depuis ces dernières années, le vecteur essentiel de la solidarité nationale. Si les garanties instaurées sont insuffisantes pour éviter les fractures constatées aujourd’hui, celles-ci restent quand même le soubassement d’une « égalité minimale » des individus au sein de la société française. »

Sources : [Rosales Montano et al, 2002, p.81]

D’autre part, S. Wachter [2001] affirme que c’est à partir de ces valeurs qu’il est possible de prendre en compte à la fois l’ensemble et la diversité des individus. C’est bien par le développement de politiques sur l’égalisation des chances et des possibilités de réalisation (« capabilités » selon A. Sen [1982]) des individus en termes d’accès aux activités (logement, éducation, santé, culture, travail…) qu’il est possible, au sens de Fitoussi et Rosanvallon [1996], de prendre en compte les inégalités et questions d’équité sociale dans la prise de décision. L’égalité des chances est consubstantielle de la démocratie.

Notes
38.

L’ouvrage de Sylvia Rosales et al. [2002], Différences et Inégalités Territoriales, quel lien avec la mobilité ?, fait un tour d’horizon des différentes notions d’égalité / inégalité rencontrées dans les recherches, dans les discours, dans la planification et dans la société française.

39.

« Les hommes naissent et demeurent égaux en droits » [article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1789].