2. … mais, la prise en compte de la dimension sociale trouve une légitimité théorique dans l’égalitarisme et les discours des décideurs

L’analyse des inégalités de mobilité et de la progression de la question sociale dans les discours des décideurs fait ressortir l’importance accordée au droit au transport et au droit aux aménités de la ville. Du fait des disparités sociales et spatiales, nous postulons et justifierons par la suite que les individus n’ont pas tous les mêmes chances de bénéficier des aménités de la ville. Pourtant, l’accès de tous les individus aux aménités de la ville serait la déclinaison, sur un espace urbain, d’un droit au transport pour tous. Nous avons vu que S. Wachter [2001] affirme que c’est en revenant sur ces valeurs de chances qu’il est alors possible de prendre en compte l’ensemble des individus qui veulent bénéficier des aménités de la ville.

En outre, les questions de justice sociale sont abordées dans les réflexions en termes d’éthique économique et sociale [Sen, 1987(a) ; Arneson, 1989 ; Cohen 1990]. Ces réflexions, issues des courants de pensée post-rawlsiens – ou égalitaristes –, mettent l’accent sur le fait qu’un minimum de justice sociale requiert la recherche d’égalité entre les individus, et notamment la recherche d’égalité des chances. Les égalitaristes accordent un rôle central aux choix des individus et préconisent d’évaluer les chances ou les opportunités des individus. Quand bien même ces théories égalitaristes abordent des notions relativement complexes, ces approches procurent une nouvelle légitimité – par rapport à la vision classique de l’éthique économique portée par l’économie du bien-être et l’utilitarisme – en matière de mesures des opportunités et des avantages des individus. Selon M. Fleurbaey [2001], ces conceptions égalitaristes permettent un ancrage théorique afin de développer les analyses des déterminants des inégalités entre les individus, et notamment dans le domaine de la mobilité.

Ainsi, les questions d’équité sociale dans les transports urbains et les conceptions philosophiques de mise en œuvre d’une justice sociale se recoupent à travers la notion d’égalité des chances entre les individus. Dès lors, nous affirmons qu’il est possible d’identifier la dimension sociale ou, du moins, un de ses aspects par rapport aux questions d’égalité des chances des individus. Cela suppose, en outre, de savoir de quelle égalité nous traitons, et que nous acceptons l’existence d’inégalités sur d’autres aspects de la dimension sociale [Sen, 1992]. Pour cela, nous avons recours au concept et à la légitimation théorique des égalitaristes et nous adoptons la réflexion théorique de A. Sen.

D’autre part, c’est parce que, selon A. Sen, il est nécessaire de prendre en compte les modes de fonctionnement des individus pour rendre compte de l’égalité des chances, que nous allons analyser, avant de proposer la mise en œuvre d’une méthodologie permettant de considérer l’égalité des chances dans la prise de décision, les modes de vie et les pratiques de mobilité des individus. Les modes de vie et les besoins des individus mettront en évidence les potentialités et « capabilités » [Sen, 1987(a)] qu’ont les individus de bénéficier des aménités de la ville et plus précisément des activités, biens et services.