2.2. Changements de nature socioculturelle

Un premier changement d’ordre socioculturel dans les modes de vie de nos sociétés post-industrielles est celui d’une entrée croissante des femmes sur le marché du travail. Les années 1970 représentent à ce titre une grande évolution sur le regard du travail des femmes. Époque de forte croissance économique, les années 1970 sont celles d’une forte expansion de la consommation et d’une demande importante de la main d’œuvre. C’est à cette époque que les femmes commencent à entrer massivement sur le marché du travail. Le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans est passé de 41,5% à 80% entre 1962 et la fin des années 1990 [Méda, 2001]. Dans les années 1980, la part de l’emploi des femmes progresse et on compte plus d’emplois féminins que d’emplois masculins 48 . Le nombre de femmes ayant un emploi est passé en France de 8,5 millions en 1982 à près de 11,5 millions en 1999 [Lurol, 2001]. Ce changement sur le marché du travail correspond à une nécessité et une volonté d’autonomie économique et financière des femmes. Créant ainsi de nouvelles relations sociales en dehors de la sphère domestique, elles (re)trouvent une valorisation personnelle et professionnelle.

Ce changement socioculturel engendre des réflexions et des évolutions qualitatives et quantitatives plus ou moins rapides sur la nature même du travail. Alors que les femmes travaillent de plus en plus, ce sont principalement elles qui, au sein du ménage, continuent à exercer les tâches domestiques. Elles n’ont pas de rupture nette entre leur vie professionnelle et leur vie de famille [Boulin et al, 2002]. Elles se trouvent confrontées à des problèmes de chevauchement ou d’incompatibilité entre les activités professionnelles et les activités propres à leur vie familiale (notamment, liées aux enfants). Afin de concilier ces deux types d’activités, les femmes ont induit des évolutions dans la nature du travail 49 . Les contraintes et les aspirations des femmes conduisent à une revalorisation des autres activités dont elles ont besoin dans la sphère domestique. Néanmoins, si l’inscription croissante des femmes sur le marché de l’emploi implique une évolution de la nature du travail, cette dernière se fait plus ou moins lentement et ne s’adapte pas facilement aux préoccupations et aux volontés des femmes. Ces dernières se sont plus rapidement adaptées au marché du travail. « Aussi ont-elles développé un comportement différencié […] marqué par des allers et retours liés souvent aux responsabilités familiales, une mobilité professionnelle souvent limitée ou encore par une utilisation plus grande du temps partiel » [De Sève, 1999, p.12]. Si elles font le choix du temps partiel, cette décision est souvent contrainte par des contradictions sociales entre le droit au travail professionnel et le travail au sein du ménage [Lurol, 2001].

Ce « double emploi du temps » des femmes n’est pas sans cacher de nombreuses contraintes professionnelles qu’elles subissent. Elles ont peut-être recourt plus facilement au temps partiel afin de pouvoir bénéficier de temps pour d’autres activités que celles du travail professionnel. Il faut constater que le travail à temps partiel se développe surtout dans les secteurs d’activités et les professions où se trouvent une majorité de femmes actives 50 . D’ailleurs, « c’est à elles qu’on le propose ou qu’on l’impose en priorité ou en exclusivité » [Maruani, 1985, cité dans Lurol, 2001, p.14]. En outre, les femmes ont souvent des situations d’emploi plus instable, moins qualifié, moins payé 51 que pour les hommes actifs. Elles sont plus facilement sujettes aux aléas des conjonctures économiques et au chômage 52 . Elles ont des vies professionnelles plus discontinues et plus courtes que les hommes, sans forcément avoir la possibilité de concrétiser un projet de carrière possible. Tous ces critères se rattachent, de plus, à la place traditionnellement associée aux femmes dans la famille. En effet, d’après C. Sofer [1984], si une division et des différences de travail entre les hommes et les femmes règnent aussi bien sur le marché du travail que dans la vie familiale, c’est, entre autres et surtout, par la présence des enfants dans les ménages.

Par ailleurs, depuis la fin des années 1990, les conditions d’emploi des femmes s’améliorent lentement. Les femmes sont plus nombreuses à se construire des carrières professionnelles continues. Et ce, même si elles ont à leur charge des enfants. Cela peut s’expliquer par une nouvelle donne dans la répartition des tâches familiales ou par leur externalisation (le recours, par exemple, à des crèches ou garderies pour les enfants en bas âge). Même si l’entrée des femmes sur le marché du travail constitue un changement profond de nature socio-culturelle et si les conditions de travail des femmes tendent lentement à s’homogénéiser avec le travail des hommes 53 , ce changement ne s’effectue pas à la « même vitesse » selon les positions sociales ou les niveaux de vie des ménages. Dans le cas de l’aire urbaine de Lyon (Tableau 4), le taux d’activité des femmes vivant dans des quartiers (très) riches (dénomination liée à la surreprésentation des populations ayant des revenus élevés) dépasse celui des femmes vivant dans des quartiers pauvres 54 . En outre, les quartiers les plus riches concentrent plus d’individus ayant une position professionnelle hautement rémunératrice et inversement pour les quartiers les plus pauvres de l’agglomération lyonnaise. Si l’inscription des femmes sur le marché du travail varie en fonction des niveaux de vie des ménages, elle varie également selon la position sociale des ménages.

Tableau 4 : Taux d’activité des hommes et des femmes en fonction du niveau moyen de richesse des quartiers de l’aire urbaine de Lyon, au regard des revenus par unité de consommation de la population
Taux d’activité
Quartiers avec surreprésentation de la population ayant des revenus
Très élevés Élevés Moyens Faibles Très faibles
Ensemble
Masculine 52,3% 52,1% De 52,6% à 54% 55,7% 56,5% 53,3%
Féminine 47,7% 47,9% De 46,1% à 47% 44,3% 43,5% 46,7%

Sources : D. Caubel, d’après [I.N.S.E.E. et D.G.I e 2004] et R.G.P. de 1999

Ce premier changement d’ordre socioculturel implique une réflexion en termes d’égalité des chances à plusieurs niveaux. Du fait des contraintes auxquelles sont soumises les femmes sur le marché de l’emploi, des niveaux de vie et positions sociales des ménages et du fait de la valorisation des activités autres que le travail professionnel, des inégalités de chances en termes de conditions d’emplois apparaissent entre les hommes et les femmes.

Un second changement d’ordre socioculturel concerne les structures familiales et la composition des foyers. Elles sont la traduction d’une entrée croissante des femmes sur le marché de l’emploi et correspondent aussi à d’autres facteurs tels que l’allongement de l’espérance de vie, l’individualisme croissant ou encore l’instabilité des unions familiales. De nouvelles structures familiales (augmentation du nombre de ménages dits « bi-actifs ») et un phénomène de « contraction » de la taille des ménages (augmentation de la part des ménages d’une personne ou des familles monoparentales) apparaissent. Cela influence directement les modes de vie des individus. A une nouvelle structure de ménage, on peut associer un nouveau mode de fonctionnement, avec un enchaînement spécifique d’activités et une répartition différente des temps alloués aux activités.

Notes
48.

« Cette progression est cependant due essentiellement aux emplois à temps partiels d’une part, à la répartition sectorielle du volume de travail, c’est-à-dire à un déplacement d’une logique industrielle vers une logique de services, du travail ouvrier vers des postes d’employés. Ceci explique par exemple la diminution dans le même temps des emplois masculins. La progression du travail des femmes serait donc liée en grande partie aux transformations dans la structure de répartition du travail et relativise la dynamique de l’emploi des femmes (Husson, 1996). De plus, entre 1983 et 1989, les augmentations d’emploi à temps partiel les plus élevées ont été enregistrées dans les sous-secteurs où l’emploi féminin est déjà fort élevé : la restauration et l’hébergement, les services d’hygiène publique, la santé et les services médicaux, les services domestiques, les services récréatifs et culturels, les services personnels (Meulders, 1995a). » [Lurol, 2001, p.13].

49.

On peut penser aux congés parentaux, aux congés pour responsabilités familiales, aux assurances collectives ou encore aux développements des services de garde d’enfants.

50.

Selon l’enquête « emploi du temps » de l’I.N.S.E.E. [1999(a)], 32% des femmes actives, contre 6% pour les hommes, travaillent à temps partiel en 1998.

51.

Même toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire avec un niveau de formation, de qualification, d’expérience, pour une classe socio-professionnelle, pour un âge et un secteur d’activité équivalent, les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes. Les écarts peuvent être de 10% à 15% [Silvera, 1995].

52.

En 1998, le taux de chômage des femmes est supérieur de près de 4 points à celui des hommes (13,8% contre 10,2%) [Lurol, 2001].

53.

Les institutions gouvernementales oeuvrent dans le sens de l’homogénéisation des conditions de travail entre les femmes et les hommes et tentent de mettre en place des procédures pour réduire les inégalités existantes. En 1983, la loi Roudy porte sur l’égalité professionnelle. « Cette loi prévoit notamment un principe général de non-discrimination selon le sexe, une possibilité de négocier un plan d'égalité dans l'entreprise et l'obligation de produire un rapport annuel sur la situation comparée des hommes et des femmes. » (Extrait d’article du journal Le Monde, 7 mars 2000). En 2001, la loi Génisson vient compléter la loi Roudy dont le bilan est souvent présenté comme un échec. Moins de la moitié des entreprises concernées produisent le rapport annuel stipulé dans la loi Roudy. Dès lors, la loi Génisson oblige « les entreprises à négocier, tous les ans, de manière " spécifique ", sur l'égalité professionnelle hommes - femmes, le non-respect de ce devoir entraînant des sanctions pénales (délit d'entrave). » (Extrait d’article du journal Le Monde, 7 mars 2000).

54.

Pour une définition plus précise des quartiers riches et des quartiers pauvres, nous renvoyons au chapitre 3 où nous analysons les disparités territoriales infra-communales de l’agglomération lyonnaise.