2.3. « Complexité » du temps de travail et des autres activités des individus

Les évolutions des modes de vie sont à l’origine d’une accélération de la dilution des localisations des activités dans l’organisation urbaine héritée de la révolution industrielle. Ces évolutions montrent également que les lieux du travail dépassent la sphère strictement professionnelle, pour empiéter sur la sphère familiale ou sociale. A cause de nombreux facteurs concomitants dont un travail plus cognitif, à cause du développement de nouvelles technologies de l’information et de communications (N.T.I.C.), les sphères du travail et des autres activités non professionnelles ont tendance à s’enchevêtrer ou se brouiller. De plus, les changements socioculturels (atomisation de la structure des ménages, émancipation et inscription des femmes sur le marché du travail) sont l’expression d’une volonté d’autonomie, afin d’obtenir une meilleure qualité de vie. L’intégration sociale, l’accomplissement personnel et professionnel passent par cette recherche d’autonomie (en termes financiers, de mobilité, d’opportunités et d’accès aux activités). Cette volonté affirmée correspond à un souhait de pouvoir s’organiser et choisir son emploi du temps, son programme d’activités, sa localisation résidentielle… afin de répondre au mieux à ses besoins personnels.

L’ensemble de ces changements pourrait conduire à une accentuation de la dispersion des activités dans l’espace urbain et une dilution des liens sociaux des individus et ce, par une fragmentation et un éclatement des différents temps que ces derniers peuvent allouer aux activités. Les changements des modes de vie, l’évolution des territoires urbains, les dilutions des activités et des hommes ne conduiraient-ils pas à créer ou amplifier les inégalités de chances entre les individus vis-à-vis de l’accès aux activités au service des ménages ? Ils pourraient également conduire à une amplification ou un renforcement des phénomènes de ségrégation socio-spatiale 55 ou d’exclusion sociale 56 de certaines catégories d’individus, mis à distance sociale et n’ayant plus la possibilité ou les chances de bénéficier de l’ensemble des activités – capabilités de réalisation au sens de A. Sen [1992] - dont ils ont besoin.

Les facteurs d’évolution des modes de vie, qui correspondent à des aspirations individuelles ou à des facteurs externes de changements de nature de la société post-industrielle, peuvent tout aussi bien être des accélérations sociales bénéfiques pour certaines catégories de population, que des « assignations » sociales ou territoriales pour d’autres. Ces évolutions des modes de vie conduisent à des réflexions sur les changements dans ce qui est nécessaire à l’équilibre personnel et social des individus. L’éventuelle mise à distance sociale de certains groupes sociaux et les processus de ségrégation socio-spatiale vis-à-vis des activités des territoires urbains conduisent à s’interroger sur l’égalité des chances entre les catégories d’individus d’accès à ces activités. Il est alors nécessaire d’identifier et de définir l’ensemble des activités - panier de biens - nécessaire à l’accomplissement personnel des individus pour favoriser une égalité des chances entre tous les citadins. Ce que nous traduisons par la question : Quelles activités pour quelle égalité des chances ?

Avant d’amener des éléments de réponse à cette interrogation, nous analysons, dans partie suivante, la relation entre l’évolution des modes de vie et les besoins des individus / ménages et rendons compte de différenciations au sein de la population urbaine.

Notes
55.

La ségrégation peut être définie comme « la division sociale de l’espace résidentiel urbain, de la constatation de caractéristiques sociales différentes des habitants selon les quartiers d’une ville » [Préteceille, 2001, cité dans Rosales Montano et al, 2002, p.49].

56.

G.-H. Burchardt et al. [1999, p.230] définissent l’exclusion sociale comme étant : « An individual is socially excluded if (a) he or she is geographically resident in a society and (b) he or she does not participate in the normal activities of citizens in that society ».