1.2 Structure des ménages, différenciation selon le genre et répartition des activités

La structure des ménages est un facteur déterminant des modes de vie et de fonctionnement des individus. Ce n’est pas tant les besoins des individus qui peuvent varier que la répartition éventuelle, entre les membres du ménage, des temps consacrés aux différentes activités dont ils ont besoin. Du fait de l’incompressibilité du temps vaqué ou pour accéder aux activités, les chances de bénéficier de ces biens dépendent fortement des disponibilités possibles que les individus leur accordent. Certaines structures de ménages auront alors plus de « facilités » pour se procurer les biens qu’ils souhaitent. D’autres se verront pénalisées faute de disponibilités temporelles. Des économies d’échelle (mise en commun de déplacements de plusieurs membres du ménage) ou une répartition des activités (et pratiques de déplacements) pourront se réaliser seulement au sein d’un ménage composé de plusieurs individus, contrairement à un ménage de une personne – ou monoparental. Ce phénomène d’économie d’échelle dans les pratiques de mobilité est très net sur l’agglomération lyonnaise. Alors qu’un célibataire actif sans enfant effectue en moyenne 2,8 déplacements par jour, les individus des couples bi-actifs sans enfant en effectuent 2,5 (Tableau 6). Il en est de même lorsque nous comparons les ménages monoparentaux actifs et les couples bi-actifs avec enfants, ou lorsque nous observons les pratiques de mobilité hors motif « travail ». Nous voyons alors que les célibataires effectuent 1,46 déplacements par jour contre 1,19 pour les individus des couples bi-actifs.

Tableau 6 : Pratiques moyennes de mobilité des individus des ménages pour différentes structures des ménages où le chef et le conjoint sont tous les deux actifs à temps plein
  Célibataires sans enfants (I)
Couples sans enfants( II)
Chef Conjoint Chef + Conjoint
Ménages monoparentaux
(III)
Couples avec enfants
Chef Conjoint Chef + Conjoint
Nombre moyen de déplacements par jour et par personne pour le motif de déplacements
Tous motifs 2,84 2,69 2,34 2,51 3,70 3,18 3,19 3,19
Tous motifs sauf travail 1,46 1,23 1,15 1,19 2,23 1,59 2,04 1,81
Travail 1,38 1,46 1,19 1,32 1,47 1,59 1,16 1,37
Achats quotidiens 0,30 0,18 0,23 0,21 0,30 0,14 0,24 0,19
Achats exceptionnels ou de la semaine 0,17 0,14 0,16 0,15 N.R. 0,15 0,15 0,15
Santé / Démarches 0,15 0,11 0,16 0,14 N.R. 0,15 0,13 0,14
Accompagnement 0,05 0,25 0,11 0,18 0,91 0,65 1,04 0,85
(I) Il s’agit de l’ensemble des individus d’un ménage d’une personne et sans enfant, ayant entre 21 et 59 ans et dont le statut est « actif à temps plein ». Ces personnes sont, de fait, chefs de leur ménage.
(II) Il s’agit de l’ensemble des individus formant un couple (2 personnes adultes entre 21 et 59 ans) et sans enfants. Ils ont comme statut « actif à temps plein ». S’agissant de couples, les individus sont chefs du ménage ou conjoints. Ces critères sont identiques pour les individus des couples avec enfants. Le chef du ménage est un homme et le conjoint une femme dans 94% des cas (96% pour les couples avec enfants).
(III) Il s’agit de l’ensemble des individus d’un ménage composé d’une seule personne adulte, entre 21 et 59 ans, et ayant au moins un enfant. Les individus sont « actif à temps plein » et chefs du ménage.

Sources : D. Caubel, d’après E.M.D. de Lyon de 1995

D’après les enquêtes d’emplois du temps des individus [INSEE, 2001], la majeure partie du temps quotidien et des ressources est dépensée pour les activités hors-travail qui assurent l’entretien des individus et des ménages. Ces activités hors-travail sont essentiellement les tâches ménagères, les courses et approvisionnements, la gestion du ménage, les démarches administratives et les soins à donner à une tierce personne (enfant, personne âgée ou dépendante). Une asymétrie de genre existe dans les usages du temps accordé à ces activités (Tableau 6) et dans les rythmes de vie sociale. Alors que les femmes sont entrées sur le marché de l’emploi et expriment leurs aspirations sociales et professionnelles, la participation des hommes aux différentes activités hors-travail a peu augmenté.

Les inégalités entre les sexes continuent à subsister au sein des ménages, même si on peut observer une légère évolution (plus ou moins nette suivant les groupes sociaux) des répartitions des activités et même si les femmes sont fortement présentes sur le marché du travail – non seulement à temps partiel mais aussi à temps plein. Le « libre choix du temps partiel féminin est souvent le fruit de l’intériorisation de la contrainte que représente un faible engagement masculin dans les activités domestiques [ou hors-travail]. Il va aussi de pair, semble-t-il, avec des horaires adaptés aux contraintes familiales qui consistent principalement dans une présence au domicile après l’école » [Lesnard et Chenu, 2003, p.10]. Le choix du temps partiel par les femmes se caractérise par un rôle accru dans les activités domestiques et hors-travail et par une diminution de la participation masculine pour ce type d’activités. Cette disparité tend à s’atténuer quand les femmes travaillent à temps plein. Une complémentarité commence à apparaître dans la participation des hommes et des femmes d’un ménage à l’ensemble des activités hors-travail nécessaires au ménage (Tableau 7). Même si la dissociation formelle entre le monde du travail et le monde du foyer familial tend à s’atténuer, elle reste encore fortement synchronisée par la division sociale entre les genres.

Tableau 7 : Pratiques moyennes de mobilité des individus des couples où l’homme est actif à temps plein et la femme active soit à temps plein, soit à temps partiel(I)
Nombre moyen de déplacements par jour et par personne pour le motif de déplacement
Couples avec
Homme actif à temps plein Homme actif à temps partiel Femme active à temps plein Femme active à temps partiel
Tous motifs 2,98 2,98 2,85 3,21
Tous motifs sauf travail 1,41 1,45 1,71 2,25
Travail 1,57 1,54 1,14 0,96
Achats quotidiens 0,15 0,14 0,24 0,32
Achats de la semaine 0,04 N.R. 0,07 0,12
Achats exceptionnels 0,11 N.R. 0,09 0,11
Santé / Démarches 0,13 0,10 0,15 0,16
(I) Il s’agit de l’ensemble des individus formant un couple (2 personnes adultes entre 21 et 59 ans) avec ou sans enfant. L’homme a comme statut « actif à temps plein ». La femme a comme statut « active à temps plein » dans un cas et « active à temps partiel » dans l’autre.

Sources : D. Caubel, d’après E.M.D. de Lyon de 1995

Liée à la structure des ménages et aux inégalités de genre, la présence d’enfant(s) est un facteur déterminant de l’accès aux activités souhaitées et en relation avec ces enfants (Tableau 6). Les rythmes relatifs à l’enfant sont très contraignants et conditionnent fortement les programmes d’activités des ménages. Les membres du ménage doivent organiser leur quotidien en tenant compte des temps et des activités nécessaires aux enfants. Les exigences qui résultent des horaires de travail habituels dans les différentes professions (organisation plus ou moins flexible du temps de travail) ont une forte incidence sur la disponibilité des parents auprès des enfants, et pour accéder aux activités en relation avec les enfants.

Dans le cas de l’agglomération lyonnaise, pour les couples bi-actifs sans enfant, la conjointe effectue plus de déplacements pour les activités rattachées à la sphère domestique et notamment pour les achats (quotidiens et de dépannage), la santé et les démarches que le chef du ménage. A l’inverse, le chef du ménage effectue plus de déplacements d’accompagnement que la conjointe.

L’arrivée d’enfants dans les couples bi-actifs change quelque peu la donne. En effet, les pratiques des hommes des couples avec enfants sont légèrement différentes de celles des hommes des couples sans enfants (Tableau 5). Même si ces derniers se déplacent légèrement plus pour le « travail » et un peu moins pour les motifs d’achats quotidiens, les pratiques d’« accompagnement » triplent par rapport aux hommes des couples sans enfants. Mais, ce sont les femmes qui assurent les activités relatives à l’arrivée de l’enfant dans le ménage (Tableau 5 et Tableau 6). Alors que les conjointes se déplacent toujours autant pour les achats, elles assurent, de plus, une grande part des déplacements d’accompagnement (9 fois plus que les conjointes des couples sans enfants) et ce, même si les chefs de ménage se déplacent également plus pour ce motif. Le nombre moyen de déplacements par jour et par personne des hommes ou des femmes des couples avec enfants est, en outre, globalement plus important que pour les individus des couples sans enfants. Ces évolutions traduisent, dans la limite de l’interprétation de l’enquête ménages déplacements de l’agglomération lyonnaise, les besoins relatifs à l’enfant (accès aux activités correspondantes et accompagnements).

Il en est de même pour les ménages monoparentaux actifs par comparaison avec les célibataires actifs (Tableau 6). Ceci est essentiellement du à l’accompagnement des enfants aux activités correspondantes. Par contre, les pratiques de mobilité relatives aux autres motifs de déplacements et surtout pour les achats sont identiques, du fait de la structure nucléaire de ces ménages (pas d’économie d’échelle possible dans les déplacements quotidiens).

Même si les relations internes aux ménages et aux activités évoluent de paire avec les modes de vie des sociétés modernes, la « répartition » des activités reste encore lourdement tributaire de représentations sociologiques des relations humaines. « La libéralisation des mœurs est effective, mais l’égalité au sein du ménage bute sur l’organisation traditionnelle du travail domestique qui, malgré leur entrée massive dans la vie salariale, revient encore majoritairement aux femmes. » [Bailly et al, 2001, p.14]. De plus, il existe des « obstacles liés aux ordres temporels des divers membres de la famille, parmi lesquels les rythmes scolaires restent les plus rigides. » [Bailly et al, 2001, p.14].