2. Qualité de vie et services de proximité

L’intérêt est alors porté ici, non seulement sur la qualité de vie et les inégalités des individus, mais aussi sur la qualité des services auxquels peuvent avoir accès les individus, aussi bien sur l’ensemble du territoire urbain, qu’à « proximité » de leur lieu de résidence. Des dissemblances très nettes sont apparentes dans la relation des individus aux services de proximité. Les travaux de G. Martin-Houssart et N. Tabard [2002], à partir de l’enquête « Vie de Quartier » de l’I.N.S.E.E. [2001] 75 , montrent l’existence d’une organisation spatiale des activités en fonction de la position géographique et de l’éloignement des quartiers. Il est possible de « hiérarchiser » les différentes activités en fonction des possibilités que les individus expriment pour les atteindre, et ainsi d’élucider la notion de proximité (Encadré 16) des activités par rapport aux quartiers.

Encadré 16 : Concept de proximité dans l’enquête « Vie de Quartier » (2001)
« Dans l’enquête, le concept de proximité s’éloigne du découpage strictement administratif en communes et repose plutôt sur des notions de distance ou d’appartenance au quartier ou au village. Toutefois, la distance ne se mesure pas en kilomètres mais en minutes, selon le temps d’accès au service. La notion de quartier quant à elle n’implique pas une distance précise et peut donc différer selon les personnes ; elle permet toutefois d’évaluer la présence près de chez soi des différents types d’équipements telle qu’elle est ressentie par les ménages. »

Sources : [Martin-Houssart et Tabard, 2002, p.124]

La logique de hiérarchisation en fonction des potentialités d’accès des individus est corrélée à une logique de répartition plus ou moins hétérogène sur le territoire 76 . Les activités ressenties comme les plus accessibles par les individus sont celles qui sont, généralement, les mieux réparties sur le territoire et qui participent à la qualité de vie des individus. Ce sont celles qui correspondent particulièrement aux principaux besoins quotidiens des individus ou ménages. A l’opposé, les moins accessibles sont celles qui sont réparties de manière plus hétérogène. Elles correspondent à des activités rares ou à vocation territoriale 77 . Ce sont également celles qui répondent le moins directement aux besoins quotidiens des individus ou ménages.

En outre, à part l’opposition classique entre le centre et la périphérie des espaces urbains 78 , la structure des quartiers en termes d’habitat, d’appartenance sociale des ménages ou de leur composition socio-professionnelle laissent apparaître de fortes différences en termes d’activités sur les territoires concernés. Les ménages les plus équipés en biens de proximité disposent, de fait, d’un bon niveau d’équipement public et de services marchands courants. A l’opposé, les ménages les plus mal lotis ont peu de biens d’équipements publics et de services marchands à disposition [Martin-Houssart et Tabard, 2002]. De plus, les grands ensembles d’habitat ou les quartiers d’Habitat à Loyers Modérés (H.L.M.) se trouvent pénalisés en services de proximité par rapport aux quartiers aisés 79 . Les habitants en subissent les inconvénients et une qualité de vie non choisie, d’autant plus que les réseaux de transports collectifs y sont moins denses. Ces individus ne sont pas dans une situation de choix de leur localisation résidentielle et de leur cadre de vie (à cause de facteurs socio-économiques, culturels, sociaux…) contrairement aux individus des quartiers aisés.

G. Martin-Houssart et N. Tabard [2002] montrent une « adéquation » entre les inégalités spatiales et sociales en termes d’accès aux activités et la présence dans les quartiers des différents types d’activités. Les ménages qui choisissent un cadre de vie ou pour qui la mobilité n’est pas subie, bénéficient globalement d’une bonne qualité de vie, dans le sens où de nombreux biens de proximité – souvent des biens marchands - sont présents sur leurs territoires. Ou alors, ces biens de proximité sont aisément accessibles, notamment pour les ménages pour qui la mobilité n’est pas subie et qui choisissent un cadre de vie plus rural. Le choix de la localisation résidentielle de ces individus s’effectue selon une logique consommatrice d’activités, aussi bien à proximité de leur lieu de résidence que sur l’ensemble du territoire. Les individus des quartiers défavorisés ou pauvres et certaines catégories sociales modestes sont dans une situation évolutive entre une dépendance locale et une assignation territoriale [Coutard et al, 2001, 2004]. Alors que les territoires de mobilité spatiale des classes sociales modestes sont circonscrits à un espace restreint, surtout si l’accès aux modes de transports contraint les déplacements à proximité du lieu de résidence, ces individus sont dépendants des activités présentes sur les territoires qu’ils pratiquent. Cependant, l’accès et la fréquentation de ces activités de proximité dépendent du niveau de concentration et de diversité des services au sein du quartier [Martin-Houssart et Tabard, 2002]. « La concentration d'un minimum de ressources est indispensable aux ménages pauvres qui n'ont qu'un accès limité ou nul à l'automobile » [Coutard et al, 2001, p.7]. La dépendance locale se traduit également par les réseaux informels ou sociaux – notamment familiaux – qui sont, pour ces populations, une ressource riche d’entraides et d’accès à certains services. Cependant, D. Mignot et al. [2001, p.132] ont montré que cette ressource d’entraides est utilisée, mais n’est pas systématique. « Deux types de contraintes économiques et sociales pourraient expliquer cette situation : le faible équipement en voiture particulière de leur réseau de sociabilité et un relatif rétrécissement de ce dernier avec l’expérience de la précarité ». Ces conditions d’ancrage local ou de dépendance locale sont tributaires de facteurs endogènes ou exogènes à la population vivant dans ces quartiers. Contraints à la plus ou moins forte rareté des services de proximité 80 , ces individus sont confrontés à des problèmes d’accès à ces activités dont ils peuvent tout aussi bien exprimer le besoin que les personnes « biens loties ». « La place laissée aux pauvres dans l'espace péri-urbain [et les « quartiers pauvres »] leur est chichement mesurée par des conditions géographiques, sociales et économiques particulières. […] Pourtant, comme naguère les grandes villes, la péri-urbanisation, ou plutôt l'ex-urbanisation, menace aussi ces petits noyaux urbains et les services qu’ils fournissent aux populations pauvres. L'aspiration à l'automobile, portée par les jeunes, les nécessités de l'emploi et le relâchement des relations familiales pourraient donc à terme conduire les pauvres vers une dépendance automobile à la britannique... ou pire, à l'américaine » [Coutard et al, 2001, p.15].

Notes
75.

Les travaux G. Martin-Houssart et N. Tabard [2002] portent sur la répartition des activités sur les territoires urbains et les relations des individus à ces activités.

76.

Les activités, des « plus accessibles » aux « moins accessibles », sont les équipements de base et les services publics (alimentations, écoles primaires…), les services de proximité (boulangerie, poste, café…), les services marchands (commerces…), les équipements intermédiaires de type supermarchés, les services rares (tels que les laboratoires d’analyse médicale, les hôpitaux, les services administratifs territoriaux…) et enfin, les équipements qui demandent des infrastructures lourdes (telles que les cinémas).

77.

L’implantation de ces activités dans tel ou tel territoire ne résout pas les questions d’inégal accès des individus, puisqu’il s’agit d’activités rares (préfecture, multiplex cinématographiques, musées…). Cependant, l’amélioration de l’offre en transports - collectifs - pourrait améliorer leur accès. Mais, du fait de leur rareté, les populations de l’ensemble de l’espace urbain n’auront pas toutes les mêmes possibilités d’accéder à ces équipements, et ce, quelle que soit la nature des différents réseaux de transports.

78.

Des disparités spatiales sont apparentes dans l’opposition entre les centres-villes et les périphéries. Ces dernières sont, de manière générale, moins biens équipées que les centres villes. Cela suppose une nécessité supplémentaire aux individus de se déplacer en dehors de leur quartier périphérique pour accéder aux activités.

79.

G. Martin-Houssart et N. Tabard montrent que les quartiers défavorisés le sont moins par rapport aux biens d’équipements publics (postes, écoles maternelles et primaires, centres socioculturels, équipements sportifs…) que par rapport aux services marchands tels que les « commerces ». Les biens d’équipements publics semblent être répartis plus équitablement sur l’ensemble de l’espace urbain. Si les quartiers défavorisés se trouvent assez bien équipés en services publics, cela peut heureusement provenir de la mise en œuvre de la politique de la ville volontariste dans ces quartiers.

80.

Du fait de l’étalement urbain et de l’usage généralisé de la voiture particulière, les logements, les activités et l’emploi sont globalement de plus en plus éloignés les uns des autres. « Le transport collectif peine à suivre ce mouvement et l'accessibilité tend à se dégrader pour les non-automobilistes ». [Coutard et al, 2001, p.12].