3. Accès aux services de proximité et (in)égalités de chances

Les besoins des individus se manifestent par un recours formel ou informel de plus en plus important aux services de proximité de leur lieu de résidence, car ils sont considérés comme un « confort minimum » pour les ménages. En se focalisant sur les services d’aides domestiques courantes, d’aides aux enfants de moins de 11 ans ou d’aide à la dépendance, A. Flipo montre qu’en 1996, environ un tiers des ménages français affirme avoir recours à un service de proximité 81 (Tableau 10). Néanmoins, malgré le recours important à ces types de services, les ménages sont encore nombreux à en exprimer le besoin d’accès sans pour autant que ceux-ci en soient satisfaits 82 . Ceci est, en partie, dû à des contraintes financières, des effets culturels (« c’est un luxe d’avoir recours à ces services ») ou des difficultés de trouver le service ou une personne qui convienne [Flipo, 1996].

Tableau 10 : Services de proximité réguliers de la vie quotidienne des ménages français en 1996
Nature du service Ménages signalant un service de proximité
Aide domestique courante 5 000 000 21% des 23,5 millions de ménages
Aide aux enfants de moins de 11 ans 2 100 000 43% des 4,9 millions de ménages avec au moins un enfant de moins de 11 ans
Aide à la dépendance (aide ménagère, auxiliaire de vie, garde malade, aide soignante, infirmière…) 1 200 000 55% des 2,2 millions de ménages avec au moins une personne dépendante
Ensemble 7 700 000 33% des 23,5 millions de ménages

Sources : A. Flipo [1996], Enquête Services de proximité [I.N.S.E.E., 1996]

Au début des années 2000, ces tendances se confirment avec le développement des services payants [Aliaga et Flipo, 2000]. Si les ménages ont de plus en plus recours à ces services, ce sont surtout ceux qui ont des revenus élevés qui se les procurent. Selon A. Flipo et C. Aliaga, l’accès aux services – notamment pour les services relatifs aux enfants - peut varier du simple au double entre les ménages les plus modestes (premier quartile de revenu) et les ménages les plus aisés (dernier quartile). Néanmoins, d’autres facteurs sont également apparents dans ces différences entre les ménages, tels que le « diplôme », les catégories socio-professionnelles ou le statut des différents membres du ménage.

Contrairement à d’autres pouvant être sources d’inégalités, l’accès à certains types de services de proximité (services sociaux, centres communaux d’actions sociales, centres de réinsertion professionnelle…) peut aller dans le sens du développement d’une égalité des chances entre les individus. S’inscrivant dans une logique de (ré)insertion, les chômeurs, les personnes à plus faible revenu ou en situation de précarité ou de grande pauvreté 83 peuvent exprimer un besoin d’accès à l’emploi, à la formation, aux stages, ou à d’autres activités, comme le montrent D. Mignot et al. [2001]. Ces demandes sont fortement liées au besoin d’une reconnaissance personnelle et sociale. Elles impliquent souvent le recours à une aide à la personne, à des services sociaux ou à des structures d’accueil « institutionnelles ». Ces services et ces structures pourraient être considérés comme une « passerelle » ou un intermédiaire entre ces catégories de la population et le marché de l’emploi ou la société. A la frange de l’exclusion de la société, au sens de T. Burchardt [1998] 84 , ces groupes sociaux expriment le souhait de pouvoir bénéficier de structures et services qui les aident à se réinsérer dans la société et à retrouver une dignité et une reconnaissance. L’accès à ces structures et ces services peut être considéré comme un moyen de (re)créer des possibilités ou des capabilités pour les individus dont la situation sociale est difficilement soutenable.

Ces exemples montrent bien l’expression de besoins partagés par l’ensemble des ménages, qui sont plus ou moins bien réalisés par un accès aux services de proximité correspondants. L’accès à ces services peut traduire une égalité des chances entre les individus, comme révéler des différenciations entre ceux qui pourront - formellement ou pas, ou avec des ressources financières – y accéder et ceux qui n’en auront pas les opportunités même s’ils en expriment le besoin. Les efforts pour une égalité des chances entre les individus ne vont donc pas uniquement et systématiquement dans le développement tous azimuts des services de proximité, mais dans le sens d’une prise en considération des besoins et des attentes de l’ensemble des individus. C’est d’ailleurs ce qu’ont tenté, en vain [Siblot, 2005], de faire les politiques des années 1990 relatives à l’implantation de services dans les quartiers sensibles. Elles se sont, en partie, appuyées sur les rapports d’expertises commandés par le Comité Interministériel de l’Evaluation des politiques publiques [1993] et la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique [1997] 85 . Ces rapports mettaient en exergue les relations entre les services publics, les attentes et les besoins des populations défavorisées.

Notes
81.

Parmi l’ensemble des ménages déclarant accéder à ces services de proximité, 13% ont recours à une aide informelle, contre 8% à une aide formelle. De plus, un ménage sur cinq affirme avoir recours à une aide domestique courante. Les services concernant les enfants de moins de 11 ans (garderie en journée ou le soir, crèche, activités extra-scolaires, centre aéré, etc.) sont utilisés par près de 43% des ménages avec enfants. Enfin, la moitié des ménages ayant une personne dépendante se procurent des services d’aide à la personne.

82.

D’après A. Flipo [1996], près de 1 million de ménages ont une personne dépendante à domicile et ne reçoivent aucune aide extérieure. Si les besoins des ménages en termes de services d’aides et de soins à apporter à des personnes âgées ou dépendantes croissent, cela est dû au vieillissement de la population et à une descendance moins nombreuse et moins disponible. Enfin, parmi 1,4 millions de familles ayant un enfant en bas âge indiquant n’avoir aucun recours à des services de proximité, un demi million sont des couple bi-actifs et 100 000 sont monoparentaux dont la personne de référence du ménage est active ou au chômage.

83.

Dans Mobilité et Grande Pauvreté [Mignot et al, 2001], il est fait un état des lieux de la notion de pauvreté et de la grande pauvreté. Il en est rappelé les définitions données par J. Wresinski [1987] : « La précarité est l’absence d’une ou plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte […] conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible » [cité dans Mignot et al, 2001, p.34].

84.

L’exclusion sociale est définie par T. Burchardt [1998] par le fait qu’un individu résidant géographiquement dans la société mais dont le lien social avec les différentes sphères de la vie collective est relâché (ne participent plus aux activités de la société) est exclu socialement.

85.

Nous faisons ici référence à deux ouvrages cités par Y. Siblot [2005, p.75] qui sont respectivement Les Services publics et les populations défavorisées. Evaluation de la politique d’accueil [C.I.M.E. et C.G.P.C., 1993] et Les Agents des services publics dans les quartiers difficiles entre performance et jusice sociale [Maguer et Berthet, 1997].