1. Modes de fonctionnement des individus et inégalité de chances

Nous avons rendu compte des facteurs influant sur l’évolution des modes de vie des individus et des ménages. Alors que les déplacements exprimant les besoins des individus se diversifient, ceux ayant pour motif le travail restent un élément fort du cadencement de la vie sociale. C’est autour de l’activité professionnelle que s’organisent les modes de vie. Ceux-ci sont influencés par le développement et les progrès économiques des sociétés post-industrielles. Alors que les secteurs industriels sont en déclin, le secteur des services se développe. Cela implique un changement de la forme des activités professionnelles qui sont plus cognitives, plus denses et plus flexibles. En tenant compte de la complexité des temps de travail, ces changements conduisent à une fragmentation et une dispersion des temps alloués à chaque activité au service des ménages. Ces évolutions accentuent la dispersion des activités et des individus dans l’espace urbain. Les territoires vécus par les citadins sont de fait plus complexes. Cela conduit à s’interroger sur la création, l’amplification d’inégalités entre les individus ou entre les classes sociales vis-à-vis des potentialités d’accès aux activités et services aux ménages du quotidien, mais aussi à un renforcement des phénomènes de ségrégation socio-spatiale. Est-ce que les différentes catégories d’individus sont en mesure de pouvoir bénéficier des activités, biens et services élémentaires dont ils expriment le besoin ?

Les modes de vie et les besoins des individus déterminent les usages des activités, biens et services de la ville. Nous avons rappelé que les positions dans le cycle de vie et les structures des ménages (taille des ménages, présence ou pas d’enfants, activités professionnelles à temps plein ou à temps partiel) induisent des pratiques de mobilité différenciées selon les individus.

Des facteurs d’ordre sociologique, socioprofessionnel ou socioculturel déterminent également les usages qu’ont les individus des activités et services de la ville. En effet, même si nous verrons que les individus, quelle que soit leur appartenance sociale ou leur niveau de vie, expriment globalement les mêmes motifs de déplacements (chapitre 4), les revenus contraignent les capabilités et les possibilités qu’ont les individus d’accéder aux activités de la ville. Des inégalités entre les individus vis-à-vis des activités et des services proviennent également du statut professionnel ou d’une stratification sociale [Herpin et al, 2001] selon le profil d’emploi. Les individus accéderont à certaines activités, en tenant compte des contraintes budgétaires en rapport avec leurs contraintes socioprofessionnelles ou l’intériorisation qu’ils auront faite de leur appartenance à un groupe social.

D’autre part, l’analyse de l’évolution des niveaux de vie et des positions professionnelles des individus montre que les inégalités entre les individus, en termes de revenus, croissent et que le processus de ségrégation spatiale des catégories d’individus a tendance à augmenter [Mignot et Buisson, ed., 2005]. Ces inégalités entre les catégories sociales et la ségrégation résidentielle ont une incidence sur les modes de fonctionnement et les pratiques et relations sociales des individus. Cela se traduit, entre autres, par une ségrégation aussi bien sur le marché de l’emploi que sur les autres potentialités de la ville, pouvant être renforcée par les possibilités d’accès à un ou plusieurs modes de déplacements.