2. Egalité d’accès pour tous aux activités, biens et services

« Le développement socialement durable peut s’entendre comme un développement qui préserve (et si possible améliore) la cohésion sociale d’une société toute entière (et non pas seulement d’une partie de celle-ci), l’accessibilité des populations aux services sociaux et aux biens publics, la transmission des capacités aux générations futures » [Boidin, 2003, p.3]. La prise en compte dans les processus décisionnels de la dimension sociale, en termes d’égalité des chances, passe par la considération de la cohésion sociale et de l’accessibilité des individus aux activités dont ils ont besoin.

Les analyses sur l’évolution des modes de vie et sur la qualité des services impliquent que, pour rendre compte des possibilités égales ou inégales des différentes catégories de la population urbaine vis-à-vis des activités, il est nécessaire de définir ce que pourrait être un système fondé sur un égal accès de tous - quelles que soient les considérations socio-professionnelles et socioculturelles des individus ou les différences territoriales - aux activités, biens et services de l’espace urbain. Les activités de l’espace urbain sont très variées. Il peut s’agir de biens d’équipements, de biens publics, de services marchands ou non, d’activités professionnelles, éducatives, ludiques ou récréatives, etc. Traiter d’un « égal accès de tous aux activités » ne doit pas passer par une prise en compte de l’ensemble des activités. Au contraire, il s’agit de voir dans quelle mesure nous pouvons définir un panier de biens correspondant aux activités dont la population urbaine exprime le besoin.

Nous devrions également prendre en considération le marché de l’emploi. Toutefois, nous restreignons notre analyse aux activités, biens et services de reproduction sociale [Beckouche et Damette, 1993]. Nous optons pour ce choix compte tenu de la non-disponibilité des informations et bases de données nécessaires pour rendre compte des inégalités de chances vis-à-vis du marché de l’emploi à un niveau infra-communal. Pour une analyse des inégalités d’accès au marché de l’emploi, nous renvoyons aux travaux de S. Wenglenski [2003] qui ont mis en évidence les disparités d’accessibilité au marché de l’emploi sur l’Ile de France.

Nous définissons alors un « égal accès pour tous aux activités » comme étant une chance équivalente pour tous les individus, sans aucune exception, quelle que soit leur appartenance sociale, leur niveau de vie ou leur position sociale, par rapport à un ensemble d’activités, de biens et de services qui correspondent, a minima, à l’ensemble de leurs besoins.

Les besoins peuvent être communément partagés par l’ensemble des individus, indépendamment de leurs différences socio-professionnelles, socio-culturelles ou autres. Ils peuvent également être propres à certains groupes sociaux qui exigent des activités particulières. Pour traiter « d’un égal accès aux activités, biens et services », nous devons considérer les différences, les disparités sociales et spatiales ou les contraintes individuelles. La prise en compte de ces éléments dans la définition des besoins et l’identification des activités pour un « égal accès pour tous » permettra de mettre en évidence les structures a minima des pratiques de mobilité communes aux différentes catégories d’individus – par exemple, les motifs de déplacements les plus récurrents à partir des enquêtes ménages déplacements 88 -, et donc les principaux types d’activités requis par tous les citadins.

Les activités, les biens et les services ne sont qu’une partie des aménités de la ville. Classiquement, nous distinguons les activités à la disposition des secteurs de la production de biens économiques, industriels, les services d’intermédiation de la production, et les activités et les biens correspondant à des services aux individus ou aux ménages [Beckouche et Damette, 1993]. Ces dernières activités correspondent à des services tentant d’apporter une (des) réponse(s) aux besoins ou assurant la reproduction sociale élémentaire 89 des individus ou ménages aussi bien au quotidien que dans des occasions particulières, dans le cadre de leur qualité de vie, et ce pour l’ensemble de la population ou pour un groupe social particulier. Ce sont ces activités que nous prendrons en considération, dans les chapitres 4 à 6 pour caractériser un égal accès pour tous.

Auparavant, afin d’éclairer sur l’égalité des chances entre les individus vis-à-vis des activités de la ville, nous déclinons et précisons « un égal accès pour tous » par l’interrogation « accessibilité de qui, à quoi et comment ? », qui présente la mise en œuvre d’un outil d’analyse des impacts sociaux des politiques de transports.

Cette interrogation montre que, pour traiter des inégalités de chances entre les individus, il ne s’agit pas uniquement de déterminer les activités au service des ménages auxquelles ont accès les citadins (« accessibilité à quoi ?). Il convient de savoir, en premier lieu, quelles sont les catégories de population qui ont accès aux activités de la ville. C’est parce que les individus n’appartiennent pas tous au même milieu social, parce qu’il y a, d’une part, des différences ou des contraintes socio-professionnelles, culturelles, financières ou géographiques endogènes et d’autre part, des contraintes externes aux volontés individuelles, entre autres, que les populations n’ont pas les mêmes capabilités de réalisation et les mêmes modes de fonctionnement vis-à-vis de l’accès aux activités dont ils peuvent avoir besoin. Ce qui peut se traduire par une accessibilité différenciée selon les individus et les groupes sociaux : Accessibilité de qui ?

L’évolution des modes de vie montre que les répartitions hétérogènes des individus dans l’espace urbain selon leur position sociale ou leur niveau de vie peuvent être à l’origine de disparités, d’inégalités, voire de ségrégations socio-spatiales vis-à-vis des activités – et plus largement vis-à-vis des aménités – de la ville. Afin de répondre à la question « accessibilité de qui ? » dans le chapitre suivant, nous privilégions donc une analyse des disparités et de la stratification sociales de l’espace urbain. Cette analyse mettra en évidence des inégalités sociales des territoires urbains, en réduisant la prise en compte des capabilités individuelles aux dimensions des niveaux de vie (revenus) et des positions sociales (catégories socio-professionnelles). Par ailleurs, ce travail permettra de définir et d’identifier les différents types de quartiers que nous considérerons pour une analyse de l’accessibilité aux activités au service des ménages (« Accessibilité à quoi ? ») selon différents modes de déplacements (« comment ? » ; chapitre 4).

Notes
88.

Nous rappelons que les mesures des pratiques de mobilité et des modes de vie à partir de l’enquête ménages déplacements est réducteur. Nous ne prétendons pas être ainsi exhaustif sur la définition des besoins individuels et l’identification des activités pour un « égal accès pour tous ». Toutefois, l’enquête ménages déplacements est une des seules sources de données à notre disposition renseignant sur les pratiques de mobilité des individus un jour ouvrable de la semaine.

89.

Une première approche consisterait à dire que les besoins des individus peuvent être, de manière générique, des besoins nutritionnels, éducatifs, des soins, professionnels ou encore des besoins satisfaisant à l’entretien du ménage (tâches ménagères, courses et approvisionnements, gestion du ménage, démarches administratives, soin à donner à une tierce personne…) ou encore des besoins d’aide à la personne.