Chapitre 4. Accessibilité à quoi ? Le panier de biens et les indicateurs d’accès

Compte tenu de la croissance des inégalités entre les individus et de la persistance du processus de ségrégation, C. Avenel affirme que ce dernier se propage de manière cumulative dans l’espace urbain et dans les temporalités des individus, tout en ayant des implications sur l’ensemble des « dimensions de la vie quotidienne » [Avenel, 2004, p.27] des citadins. Les incidences de la croissance des inégalités et de la persistance de la ségrégation spatiale se font ressentir non seulement sur le marché de l’emploi et l’accès à un emploi, sur les conditions de réussite scolaire et de constitution d’un capital humain [Bénabou, 1993, 1996 ; Maurin, 2004 ; Fitoussi et al, 2004], mais aussi « plus généralement sur les potentialités urbaines » [Avenel, 2004, p.27].

Les potentialités urbaines renvoient à l’ensemble des aménités de la ville, et en particulier à l’ensemble des activités au service des ménages, que nous analysons plus particulièrement dans nos travaux. L’analyse des modes de vie des individus et de leurs évolutions a permis de caractériser ce que pouvait être un « égal accès pour tous » aux potentialités de la ville. Nous l’avons caractérisé (cf. chapitre 2) par des possibilités– structure a minima - et des capabilités égales pour tous les individus sans aucune exception, quelle que soit leur appartenance sociale, leur niveau de vie ou leur position sociale, en termes d’accès aux activités de la ville dont ils ont besoin au quotidien.

Dès lors, la question se pose de savoir quels sont les activités, les biens et les services auxquels chaque citoyen devrait avoir les mêmes niveaux d’accès.

Pour y répondre, nous proposons, dans ce chapitre, de nous intéresser à l’identification et à la définition d’une série d’activités requises par les motivations de déplacements les plus récurrentes pour l’ensemble des individus. Nous faisons le choix de cibler, parmi l’ensemble des activités, sur celles qui peuvent correspondre aux besoins quotidiens des individus, quelle que soit leur appartenance sociale, et qui garantissent une égalité des chances 107 . Nous justifierons et définirons alors le panier de biens comme étant la structure a minima des motifs de déplacements récurrents pour l’ensemble des individus, précisée par les activités économiques de reproduction sociale [Beckouche et Damette, 1983] dans la ville.

Comme les individus se différencient territorialement et spatialement selon les niveaux de vie et les positions sociales (cf. chapitre 3), et compte tenu de l’hétérogénéité spatiale de la localisation des activités économiques, il peut exister des différenciations et des inégalités dans l’accès aux activités du panier de biens. Ce que nous traduisons par l’interrogation : Accessibilité à quoi ? Une fois que les disparités sociales et territoriales sont mises en évidence, l’objectif de ce chapitre est donc de mettre en œuvre une méthodologie permettant de mesurer et d’éclairer les questions d’(in)égalités de chances d’accès entre les individus et/ou entre les territoires aux opportunités de la ville. Il s’agit donc de poursuivre la construction d’un outil d’aide à la décision, en proposant des indicateurs de mesure de l’accessibilité aux activités du panier de biens.

Les éléments méthodologiques permettront d’apporter des éléments de réponse sur les conditions rassemblées pour que les individus des différents types de quartiers de la ville aient les possibilités et les chances d’atteindre leurs objectifs et leurs besoins. La méthode proposée, pour répondre à l’interrogation « accessibilité à quoi ? » tiendra principalement compte des conditions de mobilités et d’accès à différents modes de déplacements.

En effet, d’après l’article 2 de la L.O.T.I. [1982], l’accès aux diverses activités proposées par l’espace urbain fonde le « droit au transport » comme condition d’égalité des chances pour chacun. Suivant les groupes sociaux, les réponses que peuvent exprimer les individus en termes d’accès aux activités, biens et services peuvent être fortement conditionnées par l’accès à un ou plusieurs modes de déplacements (voiture particulière, transports collectifs). La mobilité qui permet l’accès au panier de biens est une mobilité contrainte par la nécessité qu’ont les individus de répondre à leurs besoins quotidiens. Ainsi, moins de mobilité ou une difficulté d’accès aux modes de transports pourraient entraîner une accessibilité contrainte, et donc des capabilités restreintes. Cela pourrait conduire, dans certains cas, à des inégalités fortes ou des phénomènes de ségrégation socio-spatiale, les individus ne pouvant atteindre les activités souhaitées et étant contraints à « vivre » avec ce qu’ils ont à proximité.

Dans la première partie de ce chapitre, nous identifions, à partir des pratiques de mobilité quotidiennes des individus, leurs besoins vis-à-vis des potentialités de la ville. Nous définissons alors un panier de biens qui rassemble les activités économiques correspondant aux motivations de déplacements les plus récurrentes pour tous les citadins. Cette définition normative occulte les comportements différenciés des individus pour répondre à l’objectif d’égalisation des capabilités en termes d’accès aux activités, biens et services.

La deuxième partie est consacrée à l’analyse du panier de biens pour le cas de l’agglomération lyonnaise, à la date de 1999. Nous analyserons également son évolution sur les différents territoires de l’agglomération en prenant en compte l’évolution de la localisation des activités économiques entre 1990 et 1999.

Dès lors, la troisième partie concerne la définition de l’accessibilité. Nous mettrons en évidence la manière dont l’accessibilité s’articule avec les sous-systèmes d’un espace urbain (cf. [Bonnafous et Puel, 1983]). Par ailleurs, nous réaliserons un état de la littérature sur les indicateurs d’accessibilité existants en montrant leurs avantages et leurs inconvénients pour rendre compte des (in)égalités de chances entre les individus, en termes de capabilités. Cela nous conduira à proposer et justifier un indicateur d’accès au panier de biens pour rendre compte, dans les choix des décideurs, de l’impact d’une politique ou d’un projet de transports sur les inégalités de chances entre les individus.

Afin de mesurer concrètement l’accessibilité au panier de biens, et de la décliner, dans le cas de l’agglomération lyonnaise - où nous avons analysé les disparités sociales des quartiers selon les niveaux de vie et les positions sociales-, la dernière partie de ce chapitre est consacrée à la définition de plusieurs scénarii. Un état des lieux de l’accessibilité en voiture particulière et en transports collectifs à la date de 1999 constituera le scénario de référence. Puis, nous présentons un scénario de croissance de l’offre en transports collectifs sur la base du Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération lyonnaise [SYTRAL, 1997]. Enfin, nous proposons et justifions la mise en œuvre d’un outil de modélisation des réseaux de transports nécessaire pour appréhender les conditions d’accès au panier de biens.

Notes
107.

Il conviendrait également de tenir compte de la diversité et de la qualité des services proposés au sein des activités ciblées. La prise en considération de ces aspects apporterait des éléments d’informations relatives aux inégalités des chances sur les territoires urbains à l’aune de la qualité des services d’une activité donnée. Par exemple, est-ce que les habitants de Vaulx-en-Velin ont accès à la même qualité de services postaux que les habitants du 6ème arrondissement de Lyon ? Même si l’ensemble des services proposés par un type d’activité est relativement important pour rendre compte des potentialités individuelles, l’approche méthodologique et les bases de données utilisées (cf. sections suivantes) ne permettront pas d’en rendre compte.