1.2. Système urbain et système de transport urbain

Selon A. Bailly [1995], le système de transport est un ensemble composé des véhicules, de l’infrastructure et des techniques d’exploitation afin de remplir une fonction donnée. Cette fonction définit la finalité des éléments du système et est définie par l’aire géographique au sein de laquelle s’effectue le transport. Néanmoins, cette approche est relativement limitée, puisqu’elle ne perçoit le système de transport que par les caractéristiques d’un réseau physique de communication. La notion du système de transport urbain peut être beaucoup plus complexe, en replaçant la compréhension de ce système dans l’espace géographique au sein duquel il évolue : la ville, entendue comme étant un lieu de concentration des activités et des hommes. Néanmoins, la conception de la ville n’est pas « anarchique ». Nous pouvons reprendre la représentation systémique de la ville faite par A. Bonnafous et H. Puel [1983]. Ces auteurs posent l’hypothèse que le milieu urbain peut être interprété comme étant l’imbrication de trois sous-systèmes. Chacun d’entre eux est doté d’une logique de fonctionnement et de transformation, qui s’articule avec les autres sous-systèmes selon des relations de causalités.

Les trois sous-systèmes sont le système de localisation des dynamiques urbaines, le système des pratiques et rapports sociaux et le système de transport. Le système de localisation des dynamiques urbaines se réfère à la localisation des résidences, des différentes activités, biens et services, et renvoie à l’aménagement du territoire urbain et aux questions d’urbanisme. Il se réfère à l’histoire de l’espace urbain et à sa morphologie. Parce que les mutations des espaces urbains sont fortement corrélées à l’évolution du système de transport (la spirale de la transformation urbaine [Wiel, 1999]), les localisations des dynamiques urbaines sont en interaction avec le système de transport. Rétroactivement, le système de transport réagit aux différentes évolutions de l’urbanisme pour s’adapter et répondre à la demande de mobilité quotidienne et à la dynamique propre des localisations des activités et des résidents. Les interactions internes au système de localisation des dynamiques urbaines se traduisent par la mobilité spatiale, reflet de la relation entre différents points de l’espace et par une accessibilité traduisant la motivation des déplacements des individus entre lieux de résidence et lieux d’activités. Cette composante spatiale de l’espace urbain [Geurs et Ritsema, 2001] influence donc l’accessibilité par un jeu de confrontation entre la localisation des activités et la localisation des individus.

Le système des pratiques et rapports sociaux se réfère à une forme du vécu du temps urbain. Ces pratiques et rapports sociaux sont en relation directe avec les caractéristiques sociales et professionnelles intra et intergénérationnelles des individus, et de ce fait, avec les activités journalières des individus (programme quotidien d’activités) qui constituent un mode de fonctionnement de la société. Cette forme de temps vécu s’articule autour de l’espace vécu par les individus. La relation entre les pratiques et rapports sociaux se caractérise par une mobilité sociale, qui renvoie à leur position dans un espace social. La mobilité sociale selon la recherche sociologique se définit par la position socio-professionnelle et son évolution dans le temps en termes de parcours et en termes inter-générationnels 126 [Kaufmann, 2000 ; Sorokin, 1927, Anderson, 1961, Boudon, 1973, Bourdieu et Passeron, 1966, 1970]. Cette composante individuelle met en avant les caractéristiques et positions sociales des individus. Elle détermine les besoins, les capacités et les opportunités des individus en termes d’accessibilité [Geurs et Ritsema, 2001]. Cette distinction de la société en classes sociales ou catégories socio-professionnelles a fait l’objet de nombreux travaux, notamment anglo-saxons et américains, dans les études d’accessibilité [Hanson, 1995 ; Hanson et Pratt, 1990 ; Ihlanfeldt, 1993 ; Kwan, 1998 ; McLaferty et Preston, 1992 ; Shen, 1998].

Le système de transport constitue le support entre les interactions des deux systèmes précédents et permet la réalisation des mobilités sociales et spatiales. Ces deux types de mobilité sociale et spatiale sont en interaction directe 127 , du fait de l’interdépendance entre les activités quotidiennes des individus (modes de vie) et leur héritage social dans la société. Les individus sont contraints ou motivés non seulement par leur programme quotidien d’activités, mais aussi par leurs caractéristiques et leurs positions dans la « hiérarchie sociale ». Ces interactions se réalisent via le système de transport, mais ce n’est pas lui qui a priori les conditionne. Cette composante « transport » traduit le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande de déplacement, déterminant la distribution spatiale des déplacements, les temps, les coûts de déplacements et l’effort que les individus fournissent pour atteindre les activités de la ville [Geurs et Ritsema van Eck, 2001].

Notes
126.

Quand bien même nos sociétés exaltent l’égalité des conditions et les libertés de choix, la mobilité sociale – fruit du hasard ou d’un projet individuel - fait figure d’exception à la règle. Situation quelque peu paradoxale avec l’égalité des conditions ou l’égalité des chances, ce paradoxe a donné lieu à différentes interprétations sociologiques de la mobilité sociale. P. Sorokin [1927] démontre que, pendant le processus de socialisation, l’école et la famille diffusent des valeurs propres à chaque groupe social qui ont tendance à limiter la mobilité sociale. Le « paradoxe de Anderson » [1961], quant à lui met en évidence un autre facteur d’inertie de la mobilité sociale : avoir plus de diplômes que son père n’est pas garant d’une systématique ascension sociale, compte tenu de la structure des marchés de l’emploi et des résultats du système éducatif [Boudon, 1973]. Enfin, P. Bourdieu et J.-C. Passeron [1966, 1970] mettent en avant le phénomène d’entretien et de reproduction sociale des inégalités de chances – et de mobilité sociale - par le système éducatif, pour lequel la réussite scolaire est le reflet de l’organisation sociale.

127.

V. Kaufmann [2000] met en avant l’existence d’interrelations entre ces deux types de mobilité, sans prétendre l’existence de liens étroits entre elles ; ce qui lui permet de les distinguer l’une de l’autre.