3.2. Les modèles gravitaires simples ou avec effets de concurrences

Le concept de potentialité a été introduit au XIXème siècle par l’école de physiques sociales [Carey, 1858]. Ce n’est qu’au milieu du XXème siècle que ce concept fut utilisé pour décrire l’accessibilité [Hansen, 1959]. L’indicateur d’accessibilité potentielle repose sur un modèle gravitaire – au sens physique du terme (Encadré 20). Il mesure un volume potentiel d’opportunités qu’on peut atteindre dans l’ensemble de l’espace urbain, pondéré par une fonction de résistance liée au déplacement entre une zone d’origine i et une zone de destination j. Cette fonction de résistance traduit l’effort que doit fournir l’individu en se déplaçant pour atteindre une activité dont il a besoin. Elle permet donc de prendre en compte cette résistance au déplacement traduite par l’éloignement entre le lieu de résidence d’un individu et le lieu où se situe l’activité dont il a besoin. Le modèle tente également de prendre en compte les interactions spatiales qui « expriment la structure sous-jacente des objets dans un système spatial » [Kwan et al, 2003, p.4].

Encadré 20 : Modèle d’indicateur d’accessibilité potentielle gravitaire

Sources : d’après [Hansen, 1959]

W-G. Hansen [1959] traduit la mesure de l’accessibilité comme étant le produit d’une fonction d’attraction (les opportunités des zones de destinations) et d’une fonction de résistance (la distance de déplacement). Ce modèle gravitaire a été généralisé sous la forme présentée dans l’Encadré 21.

Encadré 21 : Modèle gravitaire généralisé

Le modèle gravitaire de W.-G. Hansen [1959] et sa généralisation sont soumis à de nombreuses critiques dans la littérature, quant à l’interprétation des résultats d’accessibilité qu’ils permettent d’obtenir. En premier lieu, les résultats du modèle gravitaire sont fortement tributaires de la forme de la fonction de résistance. La mesure de l’accessibilité par le modèle gravitaire est fortement influencée par les déplacements des individus localisés en i qui ont pour destination cette même zone i. La forme fonctionnelle de l’indicateur conduit à pondérer l’accessibilité interne à la zone i de localisation des individus, surtout si celle-ci est de grande surface. Deux solutions envisagées pour résoudre ce biais consistent soit à travailler sur un zonage fin du territoire, soit à évaluer le volume potentiel d’accessibilité sans tenir compte des opportunités de la zone i de localisation des individus. Cette seconde option pose le problème de la prise en compte des services de proximité, qui peuvent avoir un rôle important dans les modes de fonctionnement des individus (Chapitre 2). D’autre part, la fonction de résistance traduit l’effort ressenti par les individus se déplaçant depuis un lieu d’origine vers un lieu de destination en tenant compte des distances, des temps ou coûts des déplacements. Cependant, l’effort ressenti par un individu peut provenir de facteurs endogènes à leur groupe social, à leur localisation géographique, à la localisation des activités ou propres à leur subjectivité. « Alors que les individus n’ont toujours pas l’information sur l’ensemble des opportunités, leur environnement cognitif et leurs contraintes peuvent jouer un rôle important dans la détermination des opportunités qui leur sont accessibles » [Kwan et al, 2003, p.3]. Une autre critique apportée à ces modèles gravitaires est relative à l’absence des « effets de concurrence » entre les activités et les besoins des individus d’un territoire (composante spatiale de l’interprétation de l’accessibilité, Figure 23). En effet, considérons une zone de destination j où l’offre en ressources R dont les individus ont besoin dans l’espace urbain est faible. Considérons le nombre d’individus se rendant dans la zone j pour bénéficier de ces ressources. Il peut être défini, au sens économique, comme étant l’expression d’une demande d’accès aux ressources R. Dès lors, si cette demande est supérieure à l’offre, alors les individus sont en situation de concurrence par rapport aux ressources R présentes dans la zone de destination j.

Les modèles gravitaires qui prennent en compte ces effets ont commencé à être mis en œuvre dans les années 1950 et 1960. H.-R. Kirby [1970] et A.-G. Wilson [1971] formalisent ce modèle en se basant sur les principes de maximisation entropique sous contraintes (annexe 0. Ils mettent en œuvre une mesure de l’accessibilité, présentée succinctement dans l’Encadré 22.

Encadré 22 : Modèle gravitaire avec prise en compte des effets de concurrence

Sources : [Kirby, 1970 ; Wilson, 1971] et d’après [Bonnafous et Masson, 1999]

L’inconvénient majeur de ce modèle est que les mesures d’accessibilité résultent d’un processus itératif difficilement interprétable, qui tient compte des localisations des individus dans l’espace urbain, des localisations des opportunités dont ont besoin les individus et également d’une fonction de résistance relative au système de transport. D’autre part, A. Bonnafous et S. Masson [1999] montrent, à partir de ces modèles gravitaires, l’existence, d’une part d’un lien positif entre les trafics et la rentabilité socio-économique d’un projet de transports et, d’autre part d’un lien positif entre les trafics et la mesure de l’accessibilité. Ils en concluent « que les objectifs de rentabilité des investissements et ceux d’aménagement du territoire sont contradictoires, hors situation d’abondance de l’offre en transports » [Bonnafous et Masson, 1999, p.16].