3.5. Modèles d’accessibilité et égalité des chances ?

Les récentes avancées dans la recherche ont conduit, depuis la mise en œuvre des isochrones, à une complexification des mesures d’accessibilité, avec la prise en compte de l’ensemble des éléments et des systèmes en interaction dans l’espace urbain (Figure 23) et notamment les interactions spatiales [Hansen, 1959 ; Wilson 1971 ; Kirby, 1970] ou les interactions temporelles [Hägerstrand, 1970]. L’application des mesures d’accessibilité n’a jamais été aussi développée pour analyser les inconvénients subis par les individus vis-à-vis de l’accès au marché de l’emploi ou de l’accès à des services sociaux tels que les services de santé ou l’école. La recherche privilégie les analyses sur les relations pouvant exister entre l’accès aux services sociaux et d’autres phénomènes sociaux de l’espace urbain. D’après M.-P. Kwan et al. [2003], les modèles d’accessibilité (isochrones, modèles gravitaires ou prismes spatio-temporels) sont particulièrement appropriés pour traiter des questions d’équité sociale, mais seulement en termes de justice distributive. Ces modèles conduisent à évaluer, de manière cardinale, les résultats des objectifs de réalisation des individus. Ils peuvent rendre compte des (in)égalités de distribution des ressources accessibles entre les individus, mais sans considérer leurs besoins, leurs modes de vie et leurs pratiques de l’espace urbain.

En outre, la mesure de l’accessibilité fondée sur le calcul économique [Koenig, 1974] semblerait prendre en compte le critère d’équité en intégrant l’accessibilité dans la fonction de surplus de l’usager et exprimerait une logique redistributive que ne permet pas le modèle gravitaire de W.-G. Hansen (cf. Bonnafous et Masson [1999]). Toutefois, ce ne serait qu’une « pure coïncidence, dans la mesure où le calcul économique n’intègre pas une norme explicite et autonome de la justice » [Bonnafous et Masson, 1999, p.21]. En effet, ces deux auteurs montrent que la conciliation entre l’efficacité économique et le critère d’équité par les mesures d’accessibilité de G. Koenig ne saurait être possible, puisqu’elle dépend des hypothèses de la théorie micro-économique (rationalité des agents, répartition optimale…) et du choix a priori de la forme de l’utilité des agents qui « permet de retrouver la forme souhaitée de l’indicateur d’accessibilité ». Ainsi, les mesures d’accessibilité mises en formes par G. Koenig ou sur la base de la théorie des choix discrets [Ben-Akiva et Lerman, 1979] ne sont rien d’autres que des mesures de surplus dans le but de la maximisation du bien-être collectif.

L’ensemble des indicateurs d’accessibilité présentés évalue seulement les résultats des objectifs des individus, sans s’intéresser aux modes de fonctionnement des individus. Pourtant, ce sont les modes de fonctionnement et les libertés d’opportunité qui permettent à ces derniers d’accomplir les objectifs qu’ils se sont fixés. Or, vouloir traiter d’égalité des chances entre les individus ne revient pas à égaliser les résultats d’accomplissement des individus. C’est pourquoi nous proposons un modèle d’indicateurs permettant d’être cohérent avec l’objectif d’évaluation des capabilités individuelles [Sen, 1987(a)] en termes d’accès aux activités du panier de biens. Nous en présentons l’intérêt par rapport à notre questionnement sur la prise en compte des inégalités de chances entre les individus.