Conclusion. Mesure des inégalités de chances entre les territoires riches et pauvres de l’agglomération lyonnaise

Le panier de biens est défini comme étant l’interprétation des motifs de déplacements, structure a minima de l’ensemble des individus, quelle que soit l’appartenance sociale ou le niveau de vie des individus. Ce panier de biens est identique pour tous les citadins, puisque les pratiques de mobilité sont relativement comparables selon leurs niveaux de vie ou leurs positions sociales [Claisse et al, 2000 ; Mignot et al, 2003]. Comme notre approche n’est pas comportementale, nous ne définissons pas des paniers de biens différenciés selon les groupes d’individus, qui conduirait à une analyse différenciée des surplus d’accessibilité, et donc des résultats d’accomplissement des individus. Ce type d’analyse consisterait à rendre compte du principe d’égalité de situation et de justice redistributive, alors que nous avons noté que la prise en compte de l’égalité des chances consistait à considérer les capabilités et les potentialités des individus [Sen, 1987(b), 1989] en occultant les préférences individuelles.

L’approche adoptée n’est aucunement coercitive et n’a pas pour objet de dicter les comportements des individus de telle manière qu’on optimise le panier de biens offerts. Elle est au contraire normative et positive, puisque l’objectif est de rendre compte si tous les citoyens ont un même niveau ou les mêmes potentialités d’accès à une série d’activités, biens et services de la ville considérés comme essentiels pour les individus, sans restreindre leurs libertés d’opportunités et leurs choix, compte tenu de leurs besoins et désirs. Cela nous a conduit à proposer un panier de biens unique et à le préciser en identifiant les activités de l’espace urbain auxquels les individus accèdent, à l’aide des Nomenclatures d’Activités [1973, 1993] relatives à la description des activités principales exercées par les établissements inscrits dans les fichiers SIRENE [1990, 1999].

Le panier de biens proposé a alors été présenté pour l’agglomération lyonnaise. Il se compose des quatre grands motifs de déplacements suivant : les achats, la santé, les démarches et services d’aide à la personne, et enfin les loisirs. Nous en avons présenté les structures simple et moyenne en 1999. La rétrospective de la localisation des activités a mis en évidence les évolutions de la structure du panier de biens entre 1990 et 1999 sur l’agglomération lyonnaise. Ces évolutions concernent tout aussi bien le volume des activités (une perte globale d’activités commerciales contre un gain d’activités de loisirs), que leur localisation géographique : légère perte de poids du centre (Lyon et Villeurbanne), même s’il reste le lieu de concentration de plus de la moitié des activités de reproduction sociale de l’agglomération ; gain en seconde couronne de l’agglomération, avec une croissance de la densité des activités. Ces évolutions ont été également mesurées selon les quartiers très aisés du centre et de la périphérie, ainsi que sur les quartiers très défavorisés. A quelques nuances près, elles reprennent les évolutions observées sur la localisation entre le centre et la périphérie.

Au terme de ces analyses, l’interprétation de l’égalité des chances entre les individus vis-à-vis des activités de l’espace urbain conduit à aborder le concept d’accessibilité. Nous proposons et retenons alors un indicateur d’accessibilité à la structure moyenne du panier de biens, prenant en compte les différents sous-systèmes de l’espace urbain et permettant d’évaluer l’espace potentiel d’accès aux activités du panier de biens pour les différentes catégories de population. Cette structure moyenne est définie sur l’ensemble de l’espace urbain indépendamment des localisations résidentielles, des niveaux de vie ou de l’appartenance sociale des individus. L’évaluation de l’espace potentiel accessible – en termes de temps d’accès – décrivant l’ensemble des choix des destinations possibles, tend à rendre compte des capabilités et des chances des différentes catégories d’individus, en considérant les différenciations des positions sociales et niveaux de vie des individus et des hétérogénéités de l’espace urbain. C’est en ce sens que l’évaluation de cet indicateur, lors de la mise en œuvre de projet ou de politique de transports, tentera de mettre en évidence des réductions ou des amplifications des inégalités de chances entre les individus.

Pour cela, nous avons défini différents scénarii afin de décliner sur les territoires très aisés et très pauvres de l’agglomération lyonnaise les conditions d’accès – en voiture particulière et en transports collectifs - des individus et leurs évolutions. D’une part, l’état de lieux, représenté par la population et leur localisation résidentielle de 1999, par la localisation des activités exercées par les établissements de un salarié et plus à la date de 1999, et par l’offre du système de transports collectifs urbains en service en 2001, constitue le scénario de référence. D’autre part, un scénario d’amélioration de l’offre en transports collectifs a été mis en œuvre. Il comprend, toutes choses égales par ailleurs à la date de 1999 (population et activités du panier de biens), une amélioration de l’offre en transports collectifs interprétée à partir du Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération lyonnaise [SYTRAL, 1997] et de la mise en site propre intégrale du réseau de surface de bus.

Nous avons alors présenté l’outil méthodologique nécessaire à la mesure des temps d’accès en voiture particulière et en transports collectifs à la structure moyenne du panier de biens pour les différents scénarii.

Pour la voiture particulière, nous avons géocodé les vitesses de circulation automobile à l’heure de pointe du soir à partir des réseaux routiers disponibles de Bdcarto© et Georoute©.

Les fonds numériques des réseaux de transports collectifs n’existaient pas ou n’étaient pas disponibles. Les informations sur les temps de déplacements et d’accès, à un niveau infra-communal, n’étaient également pas disponibles par ailleurs. Nous avons alors consacré une partie de notre travail à leur modélisation, en numérisant exhaustivement les réseaux de transports collectifs sous S.I.G. Géoconcept©. Ce travail préliminaire, ainsi que les géocodages des vitesses et fréquences des lignes de transports collectifs sont indispensables pour évaluer les temps de déplacements. Ils conditionnent l’ensemble des résultats d’accessibilité au panier de biens pour les scénarii de référence et AMART (chapitres 5 et 6). Le géocodage de l’offre en transports collectifs des différents scénarii a été fait en considérant un niveau de service, en termes de fréquences et de vitesses commerciales des lignes de métro, de tramway et de bus, correspondant à celui de la période de pointe du soir. Nous avons géocodé ce niveau de service, en tenant compte des caractéristiques des lignes du réseau de transports collectifs et des conditions de mobilité, en termes de vitesses sur voirie de la circulation automobile.

Nous présentons, dans le chapitre suivant, l’état des lieux de l’accessibilité à la structure moyenne du panier de biens en 1999 et voir dans quelle mesure l’évolution de la localisation des activités entre 1990 et 1999 a un impact sur l’accessibilité des différents quartiers au panier de biens.