3.2.1. Les commerces : activités volatiles des quartiers très défavorisés

La fermeture de petits commerces en faveur de l’implantation de grands centres commerciaux, ainsi que l’évolution de leur répartition dans l’espace urbain entre 1990 et 1999 engendrent globalement, pour l’ensemble des quartiers très défavorisés, une dégradation des conditions d’accès en transports collectifs estimée à 3,9 minutes (Tableau 78). Cela représente une baisse de 16,9% du temps d’accès estimé à 23,1 minutes pour la rétrospective de la localisation des activités de 1990 155 . Cette dégradation est l’expression d’une part d’un nombre de commerces en déclin au sein même des quartiers pauvres (chute moyenne de 13%) et d’autre part, d’un éloignement relatif croissant à ces territoires. Ce qui crée une amplification des inégalités d’opportunités d’accès aux commerces.

A ce titre, c’est quasiment la moitié de la population des quartiers très défavorisés (16 quartiers) qui est perdante (Tableau 79). La dégradation de l’accès en transports collectifs aux commerces est très variable selon les quartiers. Les individus les plus pénalisés (8 quartiers sur les 16 perdants, dont principalement les quartiers de Vaulx-en-Velin ; annexe 0) subissent des pertes de temps d’accès systématiquement supérieures à 11,4 minutes [jusqu’à 24,1 minutes (Ecoin - Thibaude)]. Cela représente une dégradation de leur potentialité d’accès de 45,2% (Mas du Taureau Nord et Grolières – Noirettes) à 323% (Latarget – Mermoz) par rapport à la situation de 1990. Dans une moindre mesure, les habitants de cinq autres quartiers (annexe 0) subissent l’éloignement des commerces avec des pertes de temps d’accès comprises entre 5 et 7,1 minutes.

Tableau 79 : La moitié des quartiers très défavorisés « éloignés » des commerces entre 1990 et 1999
Accès en TC aux commerces, en 1999 Nombre de quartiers [population en 1999] Perte de temps d’accès
En moins de 15 minutes / /
En 15 à 30 minutes 6 [11 916] Entre +17,1 minutes (Parilly Sud)
et +1,7 minutes (Grappinière Petit Pont)
En plus de 30 minutes 10 [21 387] Entre +24,1 minutes (Ecoin-Thibaude et
Vernay) et +0,2 minutes (Langlet Santy)
Ensemble des quartiers très défavorisés perdants 16 [33 303] 8 quartiers : perte supérieure à 11,4 minutes
5 quartiers : perte entre 5 et 7,1 minutes
3 quartiers : perte entre 0,2 et 1,7 minutes

Sources : D. Caubel

Ces résultats s’expliquent par la fermeture de commerces au sein des zones dites « en difficulté » de la première couronne Est de l’agglomération, mais aussi dans leur environnement géographique immédiat. L’univers des choix possibles des individus en étant alors amoindri, ils doivent fournir un effort plus important pour accéder aux commerces (temps d’accès supérieur à 30 minutes pour les deux tiers de la population perdante).

Ces impacts de l’évolution de la configuration urbaine des commerces ne sont toutefois pas généralisés à l’ensemble des quartiers les plus défavorisés, puisque les conditions d’accès en transports collectifs de près de 38,9% de la population (11 quartiers) restent inchangées (annexe 0). Par ailleurs, les habitants de La Duchère (Lyon 9ème arrondissement) et de Parilly Nord (Bron) en ont, au contraire, bénéficié positivement (Tableau 80). Leurs gains de temps d’accès non marginaux s’expliquent par plusieurs phénomènes. D’une part, l’activité commerciale a augmenté de plus de 60% au sein des quartiers de La Duchère durant les années 1990. D’autre part, l’axe de tramway T1 desservant Parilly Nord lui permet un accès rapide à des territoires voisins où l’activité commerciale n’a pas diminué. Par comparaison, les habitants de Parilly Sud, n’étant pas desservis par le tramway, ne peuvent pas en bénéficier directement et sont pénalisés par une offre de moins bonne qualité (en termes de correspondance, de fréquence et de vitesse commerciale). C’est pour cela, qu’en plus de la baisse de son activité commerciale, Parilly Sud est « perdant ».

Tableau 80 : Trois quartiers pauvres « privilégiés » par l’évolution de la localisation des commerces
Accès en TC aux commerces, en 1999 Nombre de quartiers
[population en 1999]
Gain de temps d’accès
En moins de 15 minutes 2 [5 762] -18,6 minutes (La Sauvegarde)
-4,9 minutes (Le Plateau)
En 15 à 30 minutes 1 [3 041] -5,6 minutes (Parilly Nord)
Ensemble des quartiers très défavorisés gagnants 3 [8 803] Entre -4,9 et -18,6 minutes

Sources : D. Caubel

Les quartiers pauvres sont très sensibles à la dynamique de localisation des activités commerciales. A l’exception de quartiers qui, si nous osons, ont le privilège relatif d’être localisés dans des territoires encore attractifs pour les commerces, les capabilités des habitants des zones « sensibles » se dégradent. Cette dégradation est d’autant plus préoccupante que le renouvellement des commerces se réalise difficilement dans ces zones, dès lors que les « boutiques ferment ». Pour faire face à cet état de fait, nous soulignons l’importance de la maîtrise de la localisation des activités dans les politiques d’aménagement ou de redynamisation urbaine. Ces dernières ne peuvent améliorer les conditions des habitants des quartiers qu’au prix de la mise en œuvre de politiques conjointement liées à celle des transports. Nous pouvons également formuler l’hypothèse que la mise en œuvre d’incitations fiscales (exonération d’impôts et de charges fiscales) pour le « retour » d’activités commerciales 156 pourrait, conjointement aux politiques d’aménagement du territoire, contribuer à améliorer les conditions d’accès des individus.

Notes
155.

Nous renvoyons en annexe 3.2. Evolution des temps d’accès en transports collectifs aux commerces pour les quartiers très défavorisés le détail pour les quartiers très défavorisés de l’évolution des temps d’accès, en transports collectifs, aux commerces entre la rétrospective de la localisation des activités de 1990 et le scénario de référence de 1999.

156.

A titre d’exemple, nous pouvons citer le centre ville de Vaulx-en-Velin correspondant au quartier des « Verchères » qui est en pleine redynamisation urbaine depuis le début des années 2000.