Conclusion. Inégalités de chances d’accès à la ville en transports collectifs

La méthodologie proposée qui s’est fixé pour but d’éclairer les politiques urbaines sur les questions d’égalités de chances entre les individus vis-à-vis des activités de la ville, est centrée sur la construction d’un panier de biens et la mise en œuvre d’indicateurs d’accessibilité à la structure moyenne de ce panier de biens. Appliquée à différents scénarii de localisation des activités ou d’offre en transports collectifs, elle permet de mesurer la contribution des évolutions de l’urbanisme (localisation des activités) ou des améliorations de l’offre en transports collectifs sur l’accessibilité des quartiers au panier de biens. Elle permet également d’en mesurer la création, la réduction ou l’amplification des inégalités de capabilités des individus des différents types de quartiers, parmi lesquels nous mettons en exergue les extrêmes (les plus riches, les plus pauvres).

Pour l’agglomération lyonnaise, nous avons fait, dans ce chapitre, l’analyse de deux scénarii. Le premier dit « scénario de référence de 1999 » est basé sur les activités et le système de transports de 1999. Le second scénario étudié est basé sur la localisation des activités en 1990, tout en gardant le système de transports de 1999. La comparaison des deux scénarii permet d’analyser l’évolution des capabilités des habitants des différents types de quartiers.

Sur le scénario de référence de 1999, nous avons montré que pour la voiture particulière, il n’y a pas ou peu d’inégalités de chances entre les individus vis-à-vis des activités du panier de biens. Et ce, aussi bien pour les quartiers les plus riches que pour les quartiers les plus pauvres. Dès que les individus ont la possibilité d’utiliser une automobile, ils accèdent très rapidement aux activités de reproduction sociale. Les temps d’accès à la structure moyenne du panier de biens - et à chacun de ses services - sont comparables pour les différents quartiers.

D’autre part, s’il existe des inégalités de chances entre les individus des quartiers étudiés vis-à-vis de l’accessibilité à la structure moyenne du panier de biens, elles procèdent d’abord d’un inégal accès aux modes de déplacements. Ainsi, les individus des quartiers très aisés de la périphérie et des quartiers très défavorisés qui utilisent potentiellement les transports collectifs accèdent au panier de biens avec un mode de déplacement qui est trois fois moins performant que la voiture particulière.

Nous observons également des inégalités de chances entre les individus susceptibles d’utiliser les transports collectifs pour atteindre les activités du panier de biens. Ces inégalités ne procèdent pas tant de la performance des transports collectifs (vitesse et fréquence) que de la répartition hétérogène des activités dans l’espace urbain. Les temps d’accès au panier de biens varient de un à quatre – voire plus – entre les quartiers très défavorisés ou entre les quartiers très aisés. De plus, ces derniers quartiers se distinguent des précédents puisqu’une part moindre de leurs habitants (la moitié contre les trois quarts) est très éloignée des activités (plus de 30 minutes). Ces résultats montrent qu’un droit aux transports collectifs identique pour l’ensemble des individus (présence de l’offre en transports collectifs sur les différents quartiers) peut se traduire par des différenciations selon la proximité ou de l’éloignement relatif des activités aux quartiers.

L’évolution de la localisation des activités entre 1990 et 1999 explique, quant à elle, les différenciations entre les quartiers observées sur le scénario de référence. Même si nous ne pouvons prétendre à une analyse exhaustive de l’impact de l’évolution de la localisation des activités pour chacun des quartiers, nous en avons présenté les principales évolutions. Si les quartiers pauvres perdent en moyenne du temps pour accéder au panier de biens, les quartiers très aisés de la périphérie en gagnent. Cela s’explique par le fait qu’en moyenne, le volume et la densité des différents services du panier de biens ont augmenté dans les années 1990 à proximité des quartiers très riches localisés principalement en deuxième couronne de l’agglomération lyonnaise. En se rapprochant de ces quartiers, les activités contribuent à une amélioration très importante de l’accessibilité, notamment en transports collectifs.

En revanche, le volume et la densité des activités diminuent dans le centre (Lyon et Villeurbanne). Toutefois, les pertes de temps d’accès en transports collectifs pour les quartiers très aisés du centre restent marginales, compte tenu de la concentration des activités du panier de biens sur Lyon et Villeurbanne, aussi bien en 1990 qu’en 1999, et compte tenu de la performance de l’offre en transports collectifs (vitesse, fréquence, densité des réseaux).

Enfin, la part des activités du panier de biens diminue, durant les années 1990, à proximité des quartiers très défavorisés localisés principalement en première couronne Est de l’agglomération. Cet éloignement relatif des activités engendre des pertes moyennes de temps d’accès. Les individus de la majorité de ces quartiers mettent alors, en transports collectifs, plus de 30 minutes, sur le scénario de référence, pour atteindre les différents services du panier de biens.

Ainsi, de manière globale, les inégalités de chances entre les quartiers les plus défavorisés, pour bénéficier en transports collectifs des services de la ville, croissent du fait de l’évolution des configurations urbaines des localisations des activités (croissance des écarts absolus moyens couplée avec une croissance du temps moyen d’accès en transports collectifs, notamment dans le cas des quartiers très défavorisés). En revanche, l’évolution des localisations des activités contribue à une amélioration sélective de l’accessibilité en transports collectifs pour les quartiers très aisés de la périphérie (croissance de l’écart absolu moyen mais gain moyen de temps d’accès). Certains d’entre eux bénéficient fortement de cette évolution, alors que d’autres en sont pénalisés mais dans une moindre mesure par rapport à l’ensemble des gains apportés par le rapprochement global des activités de ces quartiers aisés de la périphérie.

Malgré la relative stabilité des services de santé et de démarches / aide à la personne, l’implantation de ces services au sein d’une part des quartiers très aisés pour lesquels l’accessibilité en transports collectifs en était handicapée en 1990, contribuent à une réduction des écarts absolus moyens et à une amélioration plus ou moins forte des temps d’accès. Ainsi, il y a une réduction des inégalités de capabilités entre les habitants des quartiers très aisés de la périphérie, tributaires des transports collectifs pour accéder à la santé et aux services de démarches et d’aide à la personne. La relative stabilité des services de santé n’engendre pas, à quelques exceptions près, de modifications majeures des conditions d’accès en transports collectifs et des capabilités pour les habitants des quartiers pauvres (temps moyen d’accès et écart absolu moyen inchangés).

En revanche, si les services de démarches et d’aide à la personne sont en apparence relativement stables dans l’espace urbain de l’agglomération lyonnaise, l’évolution de leur localisation n’apporte pas d’amélioration notable de l’accessibilité pour les quartiers très défavorisés. Cependant, conformément aux volontés de la charte des services publics de 1992, le nombre d’établissement de services sociaux et d’aide à la personne a augmenté au sein des quartiers très défavorisés entre 1990 et 1999. L’objectif de cette charte était, en ce sens, de réduire ou de minimiser les écarts d’accès à ces services entre les quartiers sensibles et les autres types de quartiers. Or, sur la même période, le nombre de ces établissements a diminué dans les quartiers voisins de ceux étant les plus défavorisés. L’ensemble de ces évolutions contribue à une légère croissance des temps d’accès et de l’écart absolu moyen. Ce qui traduit une croissance des inégalités de capabilités pour les habitants de ces quartiers. Selon nos critères d’analyse, une politique volontariste de renouvellement urbain à vocation sociale semble avoir un impact limité si elle est conçue à un niveau très local sans prendre en compte l’urbanisation et la présence de services dans l’environnement géographique des quartiers concernés. Ce qui conduit à relativiser l’efficacité sociale des interventions préconisées par la charte des services publics de 1992, malgré le développement constaté des services sociaux au sein des quartiers les plus pauvres.

Pour conclure, la situation de 1999 met en évidence des inégalités de capabilités et d’accès en transports collectifs aux activités de panier de biens. L’évolution de la localisation des activités, entre 1990 et 1999, a contribué à la croissance des inégalités de chances entre les populations aisées et pauvres, mais aussi entre les utilisateurs potentiels des transports collectifs urbains. Dès lors, comment une politique d’amélioration de l’offre transports peut-elle agir sur les conditions d’accès au panier de biens et / ou à chacun de ses services ? C’est l’objet du chapitre suivant que de tenter de répondre à cette question.