Chapitre 6. Quels impacts d’une amélioration des transports urbains en termes d’accès aux activités d’un panier de biens ?

Selon W. Alonso [1968] et L. Wingo [1963], la localisation résidentielle des individus les plus défavorisés traduit l’impossibilité de supporter à la fois un loyer et un coût de transports élevés. Par contre, les classes privilégiées, dans une logique de consommation d’espace et de temps, se localisent vers les zones de la périphérie des villes, sans souffrir du prix des transports. Ce schéma traduit le fait que « l’accessibilité viendrait en première urgence pour les pauvres » alors que « la demande d’espace serait essentielle pour les riches, ce qui n’exclut pas éventuellement, puisqu’ils ont les ressources suffisantes, d’autres localisations » [Roncayolo, 1997, p.123].

Nous constatons l’existence d’inégalités de chances vis-à-vis de l’accessibilité aux activités de la ville. Les individus des quartiers très défavorisés, qui ne peuvent pas supporter les coûts croissants du loyer et des transports, sont, compte tenu de leur niveau de vie, plus nombreux que ceux des quartiers très aisés à appartenir à des ménages non motorisés. Ils sont tributaires soit des activités de reproduction sociale à proximité de leur domicile, soit des transports collectifs pour atteindre les activités du panier de biens. Or ce mode de déplacement est, en moyenne, trois fois moins performant que la voiture particulière (Chapitre 5), largement utilisée par les individus des quartiers très aisés. Si ces inégalités de chances procèdent en premier lieu d’une inégalité de droit aux modes de déplacements – notamment de l’accès à la voiture particulière -, elles procèdent également des modes de vie des individus et, entre autres, de la localisation des activités de la ville. Nous avons vu de plus que les temps d’accès en transports collectifs à la structure moyenne du panier de biens varient dans un rapport de un à quatre parmi les quartiers très défavorisés.

Par ailleurs, l’évolution de la localisation des activités entre 1990 et 1999 montre que les activités s’éloignent en moyenne des quartiers pauvres et se rapprochent des quartiers riches de la périphérie. Si l’accessibilité aux activités de la ville est une urgence première pour les individus des quartiers très défavorisés [Roncayolo, 1997], nous constatons que le manque de maîtrise de localisation des activités conduit à en dégrader leur accessibilité, qui est pourtant primordiale. Par contre, elle améliore celle des individus des quartiers très aisés de la périphérie qui ne sont pas pour autant contraints selon les niveaux de vie et les positions sociales.

S. Henni [2004, p.13] rappelle que « l ’accessibilité doit conditionner la transformation des potentialités en fonctionnements individuels. Ces dernières ne peuvent être valorisées que si l’individu a l’opportunité sociale de le faire ». Dès lors, la réduction des inégalités de capabilités individuelles est « un facteur essentiel dans les politiques de développement et plus particulièrement des politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités » [Henni, 2004, p.13].

Afin de tester la capacité du système de transport à répondre à ces enjeux, nous avons construit un scénario d’amélioration des axes du réseau de transports collectifs (AMART) sur la base d’une interprétation du Plan de Déplacements Urbains de l’agglomération lyonnaise [SYTRAL, 1997, 2004] (Chapitre 4). Un des objectifs principaux du Plan de Déplacements Urbains est de desservir les zones fortement urbanisées et notamment les quartiers socialement les plus sensibles de l’agglomération en créant des liaisons avec les bassins d’emplois et les lieux de concentration des activités, biens et services de la ville. Nous pouvons considérer cet objectif comme celui d’une lutte contre les inégalités en améliorant les conditions de vie des individus les plus défavorisés. De plus, dans ce scénario, nous avons considéré la localisation résidentielle des individus et celle des activités de 1999. Nous allons donc voir dans quelle mesure l’amélioration de l’offre contribue à réduire ou à amplifier les inégalités de capabilités entre les habitants des quartiers riches de la périphérie et des quartiers très défavorisés.

La première partie de ce chapitre est consacrée à l’évaluation de l’accès au panier de biens pour le scénario AMART. Il s’agit d’en rendre compte de ce que serait l’accessibilité, si à la date de 1999, l’ensemble des axes forts du Plan de Déplacements Urbains ainsi que la mise en site propre du réseau de surface du bus étaient réalisés, toutes choses égales par ailleurs à la date de 1999. Nous montrons, par rapport au scénario de référence de 1999, les évolutions différenciées selon les quartiers très défavorisés et les quartiers très aisés, en fonction de l’éloignement relatif entre les quartiers et les activités. Nous analysons finement les évolutions de l’accès en transports collectifs à chacun des services du panier de biens. Nous montrons comment une croissance de l’offre en transports collectifs peut améliorer l’accessibilité, réduire ou amplifier les inégalités de capabilités entre les individus des différents types de quartiers et entre les individus des quartiers d’un même type.

La seconde partie s’intéresse aux impacts consécutifs de l’évolution de la localisation des activités entre 1990 et 1999 et de l’amélioration de l’offre en transports collectifs. L’analyse tente, en outre, de voir si les inégalités de chances entre les individus se cumulent avec les inégalités sociales et territoriales (inégalités intra et inter-territoriales) et les inégalités d’accès aux modes de déplacements. L’amélioration du système de transport, quant à lui, met en évidence une aggravation ou non des écarts d’accès entre les types de quartiers dus à l’évolution de la localisation des activités entre 1990 et 1999. Ces résultats sont analysés pour l’ensemble du panier de biens et pour chacun des services du panier.

La troisième partie est consacrée à une estimation sommaire des impacts sur les conditions d’accessibilité que pourrait engendre la politique de transports urbains du Plan de Mandat 2002-2008 de l’agglomération lyonnaise [SYTRAL, 2002]. Cette estimation est faite en analyse de l’offre du Plan de Mandat et en la comparant à celle du scénario AMART pour lequel nous avons évalué (estimation haute) les évolutions de capabilités d’accès aux activités de la ville. Ensuite, nous estimons sommairement quelles sont les politiques de transports envisageables, et à quels coûts, pour une amélioration des capabilités et des conditions d’accès à la ville pour les populations les plus pauvres. En revenant sur le résultat qu’il y a peu d’inégalité de chances dès que les individus accèdent à une voiture particulière, nous comparerons les impacts financiers du Plan de Mandat à ceux que représenterait, pour la collectivité locale, l’équipement d’une voiture particulière pour les ménages les plus pauvres.