2.3. Une politique de transports urbains plus « onéreuse » que l’acquisition de voiture pour les plus démunis

Pour synthétiser les impacts financiers pour la collectivité des deux politiques envisageables, la Figure 44 présente les coûts cumulés sur la période 2002-2019 en euros 2000 constants :

Nous montrons ainsi que les subventions d’acquisition d’une voiture pour les ménages les plus modestes (voiture neuve ou d’occasion) sont, sur l’ensemble de la période allant de 2002 à 2019, en deçà du montant des investissements et de fonctionnement des axes forts du Plan de Mandat et du P.D.U. de l’agglomération lyonnaise (Figure 44). Qui plus est, la réalisation et l’exploitation des transports collectifs se chiffrent, en cumulé sur la période d’évaluation, à près de 2,9 milliards d’euros (en € 2000 constants), contre 1,7 milliards d’euros pour la subvention d’une voiture neuve (1,4 milliards d’euros pour une voiture d’occasion). Sans prendre en compte les externalités environnementales, la réalisation et l’exploitation d’infrastructure lourde de transports collectifs urbains s’avèrent presque deux fois plus onéreuses que l’équipement des ménages les plus démunis en voiture.

Figure 44 : Comparaison des coûts cumulés pour la collectivité de la mise en œuvre des axes forts du P.D.U. et des subventions de voiture pour les ménages les plus démunis

Sources : D. Caubel

Compte tenu de l’effet « égalisateur » de la voiture et des effets escomptés relativement limités suite à la réalisation des axes forts du P.D.U., en termes des chances d’accès aux activités de la ville, les résultats de l’évaluation sommaire interrogent sur l’efficacité et les coûts des politiques de transports collectifs lourds dans une perspective de prise en compte de la justice sociale. Selon J.-P. Orfeuil et M.-H. Massot [2005], un des enjeux à venir et occultés est bien celui de l’évolution des coûts de transports publics. « Vecteur institutionnel du droit au transport et vecteur technique du combat contre l’usage de la voiture, le développement de l’offre en transport public » implique depuis une trentaine d’année, « un taux de croissance annuel [des dépenses publiques] trois fois supérieur à la croissance de la demande de transports publics et deux fois supérieur à la croissance de l’offre. […] La question pour l’avenir est simple : le fonctionnement du système de transports collectif coûte à la collectivité plus cher que le fonctionnement du système routier » [Orfeuil et Massot, 2005, p.11]. Ne faudrait-il alors pas subventionner l’accès à la voiture pour les plus démunis ? Cette assertion va à l’encontre des objectifs environnementaux des politiques de transports actuelles, que l’évaluation présentée ci-dessus ne prend pas en compte dans la politique d’équipement en voiture des ménages les plus modestes. D’autre part, même si les évolutions des conditions d’accès sont relativement limitées, la réalisation des axes forts du P.D.U. permet toutefois des gains d’accessibilité pour l’ensemble des individus de la ville. Sans leur réalisation, nous pouvons émettre l’hypothèse que les conditions d’accès aux aménités de la ville se dégraderaient au détriment des plus démunis – sauf s’ils ont une voiture -, sachant que l’évolution de la localisation des dynamiques urbaines suit en partie la logique consommatrice d’espaces des classes sociales dominantes [Halbwachs, 1932 ; Roncayolo, 1997].

Dès lors, ne conviendrait-il pas de réaliser des axes forts et structurants de transports collectifs avec des technologies moins onéreuses que des axes lourds de tramway, par exemple des axes de trolleybus en site propre avec priorité aux feux de circulation ? Ce qui limiterait fortement l’enveloppe des dépenses budgétaires de la collectivité pour des résultats d’amélioration de l’accessibilité comparables à ceux de la réalisation d’un P.D.U., tels que ceux du scénario AMART. C’est d’ailleurs ce que nous montrons dans la Figure 45. A l’horizon 2019, le coût cumulé d’une telle politique est du même ordre de grandeur que celui de la subvention de voiture pour les plus démunis. Cela représente une économie de près de 50% par rapport à la mise en œuvre du P.D.U. tel qu’envisagé précédemment dans le scénario AMART.

Figure 45 : Comparaison des coûts cumulés pour la collectivité de la mise en œuvre des axes forts du P.D.U. en type trolleybus et des subventions de voiture pour les ménages les plus démunis

Sources : D. Caubel

Nous pourrions pousser l’exercice plus loin, en affirmant que la subvention d’une voiture pour les plus pauvres conjointement menée à une politique de développement des axes forts prévus dans le P.D.U. sur la base de transports en site propre en trolleybus représentent des coûts cumulés à l’horizon 2019 comparables à ceux de la seule mise en œuvre des axes forts du P.D.U. en type tramway. Cette alternative politique permettrait d’améliorer les conditions d’accès aux aménités de la ville pour les plus déshérités, du fait du caractère « égalisateur » de la voiture, tout en améliorant par ailleurs les conditions d’accès en transports collectifs. S’il est alors possible de prendre en compte les questions de justice sociale, les préoccupations environnementales ne manqueront pas de se poser. Dès lors, afin de ne pas occulter la problématique de justice sociale, une politique de maîtrise des conditions de la mobilité urbaine prenant en compte les objectifs environnementaux, devrait identifier les groupes d’individus pour lesquels les impacts sociaux, en termes de risque de dégradation des capabilités, sont plus ou moins directement néfastes.