Méthodologie d’évaluation de l’égalité des chances des politiques de transports urbains

La première difficulté à laquelle nous sommes alors confrontés est celle de la définition et de l’identification des territoires et des groupes sociaux les composant afin de traiter des questions d’(in)égalité d’accès aux activités de la ville. Comme le cite Fleurbaey [1999, p.7], cette difficulté est celle de la « délimitation même de la population à des entités justiciables ». Compte tenu de l’analyse des modes de vie, nous avons construit une méthodologie donnant « une photo » de la fragmentation sociale des territoires urbains en tenant compte des niveaux de vie et des positions sociales des individus. Cette photographie est « un marqueur au repérage des groupes sociaux » [Grafmeyer, 2000, p.32]. L’objet n’était pas d’expliquer les processus de ségrégation résidentielle ou de division sociale, mais d’avoir un référentiel géographique des groupes sociaux dans l’espace urbain afin d’analyser l’accessibilité aux activités de la ville. Pour cela, nous faisons l’hypothèse d’une réduction des capabilités individuelles aux états de la caractérisation de tous les citadins par leur niveau de vie et leur position socio-professionnelle. Ainsi, sur l’aire urbaine de Lyon, nous avons identifié les quartiers qualifiés de « très défavorisés », caractérisés par une surreprésentation de la population dont les revenus par unité de consommation sont très faibles et par une surreprésentation des populations ouvrières, employées ou au chômage. Par opposition, nous avons identifié les quartiers qualifiés de « très aisés », caractérisés par une surreprésentation de la population ayant des revenus très élevés et une surreprésentation de cadres, ingénieurs, chefs d’entreprise ou des personnels de catégorie A de la fonction publique.

La seconde difficulté de la méthodologie est relative à la détermination des activités pour traiter d’un « égal accès pour tous ». Suite à une présentation théorique du concept de besoin, l’analyse empirique menée sur l’agglomération lyonnaise a conduit à définir un ensemble d’activités, dit « panier de biens ». Le panier de biens est la structure a minima des motifs de déplacements les plus récurrents de l’ensemble des individus, indépendamment de leur appartenance sociale ou leur niveau de vie. La définition retenue est une approche normative. Elle est justifiée par le fait que l’amélioration globale de l’accès géographique aux biens permet à l’ensemble des individus de prétendre aux mêmes types de biens (commerces, santé, démarches, loisirs) [Dubet, 2000]. Malgré cela, les individus des différents groupes sociaux peuvent accéder, en fin de déplacements, à des services différents, reflets de leur mode de vie et de l’intériorisation qu’ils ont faite des caractéristiques correspondant à la position à laquelle ils participent dans l’espace social [Bourdieu, 1979]. Par ailleurs, l’approche normative est justifiée théoriquement. Rendre compte des inégalités de chances en termes de capabilités [Sen, 1987(b), 1989], en amont de l’« avoir » [Perret, 2002, p.20] des individus, revient à évaluer les potentialités individuelles vis-à-vis des activités de la ville. Il ne s’agit pas d’une approche comportementale supposant une analyse différenciée de l’accessibilité aux activités. Avec une approche comportementale, les préférences révélées des différents groupes d’individus ne seraient pas occultées. Cela reviendrait à définir des paniers de biens différenciés et à évaluer la distribution des biens selon les groupes sociaux.

Dès lors, pour procéder à la mise en œuvre d’une méthode répondant à l’interrogation « accessibilité à quoi et comment ? », l’indicateur élaboré est un indicateur d’accessibilité rapproché au panier de biens, qui tient compte du système de localisation des dynamiques urbaines, du système de transports et de la composante individuelle de l’espace urbain [Geurs et Ritsema van Eck, 2001]. De nombreux auteurs ont souligné l’importance des interactions entre les différentes composantes de l’espace urbain pour comprendre le concept d’accessibilité [Hägerstrand, 1970 ; Chapin, 1974 ; Bruns, 1979 ; Kitamura et Kermanshah, 1984]. L’indicateur proposé prend en considération non seulement la localisation des activités du panier de biens dans l’espace urbain, mais aussi leur répartition géographique hétérogène et les densités différenciées rapportée à la population des différents territoires urbains. La structure moyenne du panier de biens a ainsi été définie, en rapportant le nombre d’activités à la population d’un territoire (nombre d’activités pour 1 000 habitants). Par ailleurs, la définition de l’indicateur d’accessibilité autorise des analyses aussi bien globales – sur l’ensemble des quartiers de la ville – que désagrégées – par types de quartiers ou par quartiers. En outre, elles permettent de considérer les différents modes de déplacements. Nous avons évalué distinctement l’accès potentiel à la structure moyenne du panier de biens pour la voiture particulière et pour les transports collectifs.

Le principe d’évaluation de l’accessibilité repose sur la détermination, depuis un quartier donné, du territoire de l’espace urbain sur lequel la structure moyenne du panier de biens est atteinte pour la première fois avec un mode de transports en particulier. A la suite, nous évaluons le temps d’accès, pour le mode de transports étudié, correspondant au temps de déplacement maximum recouvrant le territoire déterminé. Rappelons que les mesures de temps de déplacements sont conditionnées par les méthodes et les hypothèses de modélisation des réseaux de transports. Si ces méthodes sont perfectibles, elles ne prétendent pas donner une exactitude des temps de déplacements et d’accès des individus. Elles en donnent une interprétation qui se rapproche le plus possible des observations révélées. L’analyse faite revient alors à rendre compte des territoires potentiels – et de l’ensemble des choix de destinations possibles depuis un lieu de résidence – sur lesquels les individus ont les chances d’accéder à la structure moyenne du panier de biens. Ces territoires représentent, schématiquement, les espaces des libertés d’opportunités des habitants des différents types de quartiers, riches ou pauvres.