L’interprétation réductrice des capabilités

Une autre principale limite de notre travail est relative à l’interprétation que nous avons faite de la définition théorique de la capabilité au sens de A. Sen [1987, 1992] pour mettre en œuvre une méthodologie d’évaluation de l’accès aux activités de la ville.

Selon les termes théoriques de A. Sen [1992], la capabilité est définie à partir d’un ensemble de vecteurs de fonctionnements de l’espace multidimensionnel composé d’états et d’actions. La réalisation d’un individu est un vecteur des fonctionnements qui représente les choix de ses actions et des états qui le caractérisent.

Afin d’analyser les modes de vie et les pratiques de mobilité, nous avons considéré les seuls états de caractérisation sociale supposés identifiables pour tous les individus et qualifiables à partir des bases de données disponibles. Il en a été de même pour analyser la fragmentation sociale des territoires urbains, en considérant les niveaux de vie (revenus fiscaux) et les positions sociales des individus (classes socio-professionnelles). Ces choix méthodologiques sont une première réduction identifiant les vecteurs de fonctionnement des individus à partir d’un ensemble non exhaustif d’états. Il est réducteur de pouvoir comprendre et expliquer pleinement les disparités sociales des territoires urbains uniquement par ce jeu d’états restreints.

D’autre part, nous avons interprété l’égalisation des capabilités par l’égalisation de l’action de l’accès à un ensemble d’activités de reproduction sociale pour tous les individus. Dès lors, pour traiter d’une égalité des chances d’accès, nous supposons que cette action soit commune à tous les individus. C’est ce que nous avons tenté de vérifier en définissant empiriquement un panier de biens unique à partir des motifs de déplacements les plus récurrents indépendamment de l’appartenance sociale ou des niveaux de vie de la population.

Il est évidemment réducteur d’évaluer l’égalisation des capabilités en ne considérant que les états de caractérisation sociale des individus et en ne minimisant que les écarts entre les individus sur la seule action de l’accès aux activités de la ville. Cette limite méthodologique pose le problème du passage de la conception théorique des capabilités à l’interprétation empirique que nous pouvons en faire. A l’instar des besoins individuels, peut-on déterminer précisément les capabilités des individus ? Peut-on identifier l’ensemble des libertés et des choix possibles que les individus ont de mener telle ou telle vie, d’agir de telle ou telle manière ? Dans l’absolu, il serait prétentieux d’affirmer pouvoir être exhaustif en identifiant tous les modes de fonctionnement des individus pour expliquer certains phénomènes sociaux. Les réductions envisagées sont, entre autres, dépendantes des modes de représentation que nous avons de la construction, de l’analyse empirique et de la compréhension des phénomènes sociaux selon les disciplines économiques ou sociologiques auxquelles nous pouvons avoir recours. Elles sont également dépendantes du mode de représentation et de construction des sources d’informations statistiques mobilisables pour comprendre les dynamiques urbaines de population et d’activités.