Quelles perspectives politiques pour lutter contre les inégalités de chances ?

L’ensemble des résultats obtenus milite dans le sens qu’une politique de transports ne peut de manière universelle prétendre améliorer l’accessibilité et réduire les inégalités de capabilités de chacun des quartiers sans prendre en considération les contextes locaux et globaux de la morphologie urbaine. Elle ne peut guère plus prétendre, à elle seule, améliorer les chances de tous les quartiers, sans conjointement mener une politique sur la localisation des activités dont les individus ont spécifiquement besoin. Cette affirmation ne dénigre pas la nécessité de développer les réseaux de transports collectifs urbains qui sont indispensables aux plus déshérités. Les politiques de transports le permettraient si – en s’en donnant les moyens politiques, juridiques, techniques et financiers – elles s’inscrivaient dans un faisceau de politiques d’aménagement du territoire urbain, afin de lutter contre l’exclusion d’une frange de la population – ou de certains territoires - par rapport aux aménités de la ville.

Toutefois, la croissance forte de l’offre de transports collectifs, simulée sur l’interprétation du P.D.U. de l’agglomération lyonnaise [SYTRAL, 1997, 2003] apporte des réponses concrètes, même si elles sont imparfaites et limitées, sur les conditions d’accessibilité aux activités de la ville. Dès lors, on ne peut pas attendre autant d’une politique telle que le Plan de Mandat 2002-2008 [SYTRAL, 2002] prévoyant la réalisation par phase de certains axes forts du P.D.U.. Il va de soi que les améliorations de l’accessibilité qu’elle pourrait susciter se situent en deçà de celles évaluées avec la mise en œuvre de l’intégralité des axes forts du P.D.U. (scénario AMART), toutes choses égales par ailleurs à la date de 1999. Des améliorations d’accès au mieux égales à celle du scénario AMART pourront toutefois être espérées pour les quartiers très défavorisés desservis par des axes forts du Plan de Mandat 2002-2008.

Rappelons que dès que les individus ont accès à la voiture particulière et l’utilisent pour atteindre les activités de la ville, il y a peu ou pas d’inégalité de chances entre eux, quel que soit leur lieu de résidence (quartier riche ou pauvre). Si « le recours à la voiture apparaît comme un facteur de protection contre les éventuels risques de chômage ou de difficultés d’emploi provoqués par une mauvaise accessibilité au marché de l’emploi » [Wenglenski, 2003, p.285], il en va de même pour l’accès aux autres aménités de la ville. Nous avons vu sommairement que, pour la collectivité, les subventions d’acquisition d’une voiture neuve ou d’occasion ainsi que les subventions forfaitaires de son usage (assurances, entretien / réparation, stationnement, carburants) pour les ménages les plus pauvres de l’agglomération lyonnaise représenteraient des montants financiers moindres que ceux de l’investissement du fonctionnement des axes forts du Plan de Mandat 2002-2008. Dès lors, pour réduire les inégalités de chances entre les pauvres et les riches, ne faudrait-il pas mieux équiper les ménages les plus démunis d’une voiture particulière ? Bien évidemment, cette interrogation est quelque peu provocatrice. Les estimations faites des coûts pour la collectivité sont sommaires et ne prennent pas en compte l’ensemble des externalités que représenteraient une telle politique et notamment les conflits avec les objectifs environnementaux. Toutefois, compte tenu du pouvoir d’égalisation des chances que représente l’usage de la voiture, sa « privation ou un changement intervenant dans les conditions de la mobilité apparaissent comme de sérieux facteurs de risque » [Wenglenski, 2003, p.285] d’aggravation des inégalités sociales. Les politiques actuelles, soutenues par les préoccupations environnementales, ne devraient-elle pas alors se donner les outils d’évaluation et les moyens d’identifier les impacts sociaux qu’elles pourraient susciter au nom de la maîtrise des conditions de mobilité ou de la réduction drastique de l’usage de la voiture particulière en zone dense urbaine ? Pour cela, il conviendrait qu’elles s’inscrivent dans un cadre plus global, en prenant en compte les localisations des dynamiques urbaines, mais aussi en tentant de concilier les questions de justice sociale et de respect de l’environnement. Ce qui passerait par une connaissance et une identification des groupes d’individus socialement pénalisés ou les bénéficiaires, sans quoi les dynamiques de l’espace urbain risqueraient de maintenir, voire d’aggraver les inégalités de chances et d’accessibilité à la ville ainsi que les processus de séparation et de mise à distance sociale de certaines franges de la population urbaine.