Problématiques

Lors de notre rencontre avec l’univers et la langue de la psychose, avec ce trop de présence, ce trop d’images, qui submergent de sensations et saturent le psychisme des patients psychotiques, nous nous sommes interrogée sur cette incapacité à l’absence qui condamne le psychotique à la coupure d’avec la réalité extérieure. Cette rencontre a fait écho avec notre apprentissage de la calligraphie où il s’agissait de redéployer les images, de les lier. 

La calligraphie, l’écriture chinoise, le geste d’écriture à l’origine nous apparaît maintenant pour l’humain comme une manière d’inventer le lien. Inventer l’écriture c’est inventer la relation, relation avec soi-même, la relation avec l’autre ; c’est aussi inventer l’imaginaire et sa mise au silence, de reconnaître la limite entre imaginaire et réalité. En inventant l’écriture, l’humain a créé le sujet, inventé l’individu ; c’est une manière de naître au dialogue avec la réalité comme un engagement au plaisir, de la construction identitaire, de l’auto-représentation, de l’invention, de la groupalité interne dans une perspective d’ouverture externe.

La façon dont Freud met au travail la question du rêve nous semble assez proche de ce que nous venons d’évoquer sur l’origine de l’écriture. Freud en effet comprend le rêve comme une interprétation par le moi du rêveur, des matières visuelles, des images produites par le ça. La matière du rêve est-elle ou non interprétable par le moi du rêveur ?

Cette question du visuel est abordée par J. Guillaumin dans son travail sur le fétichisme dans le rêve. La vision reliée à la castration traite sous un autre angle, la question du primaire et du secondaire et déplace les enjeux de la psychose vers le fétichisme. L’écriture alphabétique pourrait être un évitement de la vision de la chose. Le rêve permet-il une traduction du primaire au secondaire ? S’il y a une frontière entre primaire et secondaire qu’en est-il du trajet et du destin de la pulsion ?

Il nous semble que l’histoire de l’organisation de l’écriture idéographique, par intégration du pictogramme et des images, est une approche représentative de la construction psychique du sujet humain. Plus précisément le travail de liaison, voire de déliaison, des divers composants de l’idéogramme ainsi que leur spatialisation et leur mobilité nous paraissent représentatifs de ce même travail de construction psychique du sujet.

Nous soutenons l’hypothèse que les modalités de refoulement ne sont pas identiques entre les différentes écritures. Serait-il possible de mettre au travail, à travers la nature différente des écritures et de la manière dont le refoulement secondaire laisse apparaître la trace des images ? Est- il possible de prendre en compte et de modéliser les organisateurs visuels de l’écriture, de distinguer et de différencier les formes et les modalités du refoulement ?

Notre problématique nous permet de mieux mettre en forme l’objet de notre recherche autour des questions suivantes : quels sont les processus de transformation du pictogramme qui permettent d’accéder à la construction de l’idéogramme, aux mots, à la pensée symbolique ? Quelles sont les conditions d’accès aux processus de transformations ?

La modélisation de l’interaction entre une écriture et le développement de l’espace de représentation culturelle qui lui est lié pourrait nous permettre d’approcher les modèles et les organisateurs de l’appareil psychique individuel. Ceci en mettant l’accent sur les formalisations différentes du refoulement qui nous semble une distinction, très significative et peut-être intéressante, pour comprendre les aléas défensifs de la dynamique des processus psychotiques.

L’écriture idéographique permet-elle de passer sous la barre saussurienne puisque cette coupure si elle est la marque du refoulement originaire nécessaire, garde la trace dans le pictogramme de la confusion originaire entre le signifié et le signifiant ? Quels enjeux psychiques mobilisent ces interactions ?

La trace de la perception du corps et du plaisir d’organe visibles dans l’idéogramme nous permet-elle, grâce au modèle de la métapsychologie freudienne, de comprendre la place de l’image dans la symbolisation et dans l’écriture ?

Si on accepte que l’écriture suppose un travail d’exclusion dans le visuel de la représentation de chose, dans quelles conditions l’écriture idéographique négocie-t-elle cette contrainte de déplaisir-plaisir ?

Quelle est la nature des liens entre la représentation de chose et la représentation de mot dans l’écriture idéographique ?

Comment l’idéogramme dans son apport de textures visuelles peut-il nous permettre d’avancer la réflexion sur la dynamique du rêve dont l’interprétation s’étaye sur le travail des images visuelles comme choses vues ?

La présence massive des traces corporelles, apports sensoriels dans l’idéogramme introduit les mouvements psychiques par le biais des identifications, identification projective, introjective et adhésive chez le lecteur vis-à-vis du scripteur. En nous étayant sur la clinique des signifiants tels que les signifiants formels de D. Anzieu, les signifiants de démarcation de G. Rosolato et le pictogramme de P. Aulagnier, l’idéogramme permettrait-il de nous éclairer sur la nature et la fonction des représentants psychiques de la pulsion, terme freudien repris par A. Green ?

Comment penser la place des signifiants dans la formation du symbolique à partir de l’organisation de l’écriture idéographique ? La construction d’un test projectif constitué des signifiants formels permet-elle de penser les processus primaires et secondaires ?