Hypothèses

L’écriture chinoise est porteuse d’un dynamique spécifique qu’elle transmet en permanence : la représentation du passage du visuel au psychique et, en même temps, le refoulement de cette même représentation. Cette dynamique est très précieuse car elle nous permet de mieux comprendre le passage d’une représentation de chose à une représentation de mot et de là l’articulation entre inconscient primaire et inconscient secondaire. De ce fait l’écriture idéographique met en évidence, par l’histoire de sa constitution et par les transformations qui lui donnent sa forme actuelle, la façon dont on passe du visuel au psychique, de la symbolisation primaire à la symbolisation secondaire.

La construction symbolique s’établit sur le croisement de deux tensions psychiques liées à des perceptions créant un espace de pensée. L’écriture met en scène cette conflictualisation entre des logiques formelles qui amènent la construction de la représentation. Les voies par lesquelles l’écriture idéographique accède à une forme symbolique puis dans d’autres cultures à la forme alphabétique présentent peut-être quelque analogie avec les processus par lesquels le primaire et le secondaire s’articulent et s’organisent dans le psychisme humain.

- Premier axe de travail : examiner l’histoire de la création, de la construction du sens de l’écriture idéographique. Cette partie s’étaye sur l’hypothèse que l’écriture chinoise dans sa forme actuelle garde les traces de son origine qui restent visibles dans sa construction. Elle est, par son histoire, sa construction progressive et sa structure propre, une sorte de reflet, miroir de la traduction des exigences psychiques internes dans l’intra et l’intersubjectif.

Le moi organise, filtre et rend représentable la réalité psychique de l’inconscient et la réalité extérieure et objectale. Cette interface crée la conflictualité qui s’intègre comme un processus, qui rend la réalité psychique prééminente par rapport à la réalité extérieure, construction qui se retrouve à l’origine même de la construction de l’écriture. L’idéogramme est alors un espace d’auto-représentation de la culture orale. C’est une sorte de doublure narcissique du sentiment identitaire qui unifie le groupe social ; ombre portée de la mort du sujet qui engage l’écrivain dans un discours singulier de soi à soi, entre ce qu’il reconnaît de ce qui lui échappe malgré lui, comme le messager de l’inconscient.

Relation d’inconnu qui est l’enjeu de toute écriture mais qui est présente dans l’auto-engendrement de l’écriture elle-même Elle se présente comme le discours difficile que la culture orale d’un groupe projette en miroir dans l’espace de la page blanche. Cette genèse des formes originaires de l’écriture permet de proposer un modèle compréhensif des conditions et des processus psychiques dans la construction de l’identité, ce qui permet de penser la conflictualisation psychique du va-et-vient entre intra et intersubjectivité. Ainsi dans notre travail de recherche sur les livres anciens la juxtaposition, la confrontation entre des logiques formelles et visuelles différentes permet d’engager la compréhension d’un modèle de construction de l’idéogramme comme la réalisation d’un objet « trouvé-créé ».

Il y a visiblement à l’œuvre dans cette forme d’écriture une organisation du symbolique, étayée sur les éléments « sur motivés » 2 dans le visuel. La mise en place d’un modèle d’organisation du passage, de la transformation des images primaires en représentations mentales, psychiques, secondarisées conduit à la production d’un espace, d’une scène qui est traduite par un mot. Ce mot se présente comme une enveloppe contenant et masquant l’image. La métapsychologie est appelée dans ce travail de recherche à construire un modèle de compréhension des processus impliqués dans l’organisation de cette forme d’écriture.

Notes
2.

Terme utilisé par les linguistes, décrit l’existence d’une correspondance entre « signifiant » et « signifié »