Chapitre II : L’écriture et la métapsychologie : la métapsychologie de l’écriture

L’écriture idéographique porte en elle les traces de ses transformations jusqu’à sa finalité symbolique. Elle met en scène cette accession à la symbolisation grâce à un procédé qui ressemble à la théorie du jeu telle que Winnicott l’a décrite chez les enfants. Sans entrer dans le débat sur la reprise ontogénétique de la phylogenèse, l’analogie entre le jeu de transformation de l’idéogramme et le jeu chez l’enfant tel que Winnicott le théorise nous semble éclairer la construction de la réalité psychique.

Le jeu de l’idéogramme vise à représenter le deuil de la dépendance de l’objet à la réalité extérieure, ainsi que le deuil de l’immédiateté de la jouissance du corps : double origine portée en miroir des découvertes de Leroi-Gourhan sur la double origine de l’écriture : origine votive et origine dénotative. La découverte des inscriptions divinatoires sur écailles de tortue du IIè millénaire avant notre ère remet en question l’hypothèse de l’origine de l’écriture chinoise, c’est-à-dire l’hypothèse d’une origine strictement dénotative de la réalité perceptive de l’écriture.

L’origine de l’écriture idéographique nous semble métonymique de l’origine de la réalité psychique. Nous faisons l’hypothèse que la métapsychologie freudienne peut éclairer l’origine et la transformation de l’écriture et que certains aspects de la construction des idéogrammes peuvent nous aider à ouvrir ce champ de recherche que constituent pour la psychanalyse les fantasmes originaires et les théories du signifiant.

L’organisation de cette forme idéographique de l’écriture propose un espace de projection, de figuration des formes et des kinesthésies ; l’écriture se construit ainsi comme un miroir dans lequel la culture produit le reflet de l’origine et assure sa transmission. Elle pourrait être le résultat d’une inscription de l’aller-retour de la réalité externe à la réalité psychique. Cet aller-retour, ce va-et-vient est le fondement de la construction de l’appareil psychique. C’est ce même mouvement de va-et-vient qui organise la construction de l’écriture idéographique dans laquelle s’inscrivent les mythes fondateurs de la culture.

L’écriture idéographique par les six procédés de formation dont les deux premiers sont des procédés descriptifs avec des positions corporelles et gestuelles incite à penser qu’il s’agit de la construction de l’objet et de la destructivité dans cette construction. Elle est de ce fait la trace de cette consistance de l’objet qui a survécu à l’attaque. Ce chapitre est un travail de traduction de l’écriture chinoise au regard de la métapsychologie freudienne. Cette traduction a pour objectif de trouver une langue commune dans le domaine de la psychologie et de la psychopathologie qui constitue comme un cadre de recherche d’une tiercéïté permettant une rencontre intersubjective avec l’idéogramme.

Dans la première partie de ce chapitre nous proposons de travailler à partir de l’écriture selon l’approche de la métapsychologie et de ses objets organisateurs : les fantasmes inconscients de la sexualité infantile. Dans la deuxième partie, nous travaillerons l’écriture sous l’aspect de la transitionnalité. Nous rapprocherons cette construction de l’écriture de la construction de l’objet chez le jeune enfant comme un trouvé/créé au sens winnicottien ; l’idéogramme sera ce support visuel pour penser la pulsion de destruction dans ce passage du trouvé/créé. La troisième partie reliera la métapsychologie des processus et la transitionnalité ; le visuel comme processus dans la construction de la réalité psychique. Nous essayons à notre manière dans le fondement de cette recherche de nous aventurer dans le trouvé/créé d’un outil visuel pour penser les processus psychiques dans la rencontre avec la métapsychologie.

La métapsychologie est pour Freud une « re-création » de sa théorie et un ressaisissement personnel de celle-ci. En 1915, Freud a décidé de mieux cerner et de reprendre les concepts fondamentaux de la psychanalyse. Ce qui conduit à toute une série de travaux sur l’inconscient, la pulsion, le refoulement, la régression, la perte de l’objet, apportant un regard nouveau et une personnalisation de l’outil théorique. La psychanalyse est avant tout une pensée, une mise au travail de nos croyances sur l’existence de l’inconscient.

Le titre de ce recueil d’article étant « Zur Vorbereitungeiner Metapsychologie » 16 (Préliminaire à une métapsychologie) doit comprendre douze essais, mais contient déjà, à la date de 1915, cinq articles achevés, regroupés sous le titre de Métapsychologie. En août de la même année, sept autres articles complètent l’ensemble des écrits. Ils traitent les thèmes tels que la conscience, l’angoisse, l’hystérie de conversion, la névrose obsessionnelle, les névroses de transfert, la sublimation et la projection.

Freud précisera le terme de métapsychologie, en lien avec les processus psychiques dans ses relations dynamiques, économiques et topiques. La métapsychologie représente donc cette enveloppe conceptuelle de recherche d’élaboration, d’hypothèses sous-jacentes à la psychologie psychanalytique présentée sous l’aspect des « principes », des « concepts fondamentaux », des modèles théoriques de la théorie des pulsions, des processus psychiques, de transformations.

La théorie de la pulsion conduit à l’usage des termes comme poussée, but, objet, source de la pulsion. Le but de la pulsion est toujours la satisfaction, dont l’obtention dépend de la suppression de toute source d’excitation. La psychanalyse arrive à ne s’occuper qu’uniquement des pulsions sexuelles qui sont nombreuses et cherchent à apaiser la tension psychique. Le but de chacune d’elle est l’accomplissement du plaisir. Quels sont les destins des pulsions ?

La diversité des transformations des pulsions dans la recherche du soulagement de la tension psychique, justifie le déplacement et la condensation des pulsions dans le renversement dans le contraire, le retournement sur la personne propre, le refoulement, la sublimation. Le refoulement est donc un compromis de ce travail d’éloignement, de mise à l’écart des représentations menaçantes. La théorie de l’inconscient permet de confirmer la place du refoulement dans la gestion psychique des pulsions ; elle propose l’étayage théorique de l’objet du refoulement et nous permet de nous engager dans une description des processus de transformation auxquels se plie ce mécanisme de défense.

Le travail sur les formes de l’écriture idéographique nous a permis de repérer en dehors des objectifs que chaque écriture cherche à atteindre (communication, expression et autres), quelque chose de comparable aux signifiants dans notre rencontre clinique. Ces « signifiants » qui sont traduits par  :

- soit les insistances de certains modes pour le procédé du morpho-phonogramme pour lequel la phonétique n’est qu’une reprise de la forme originelle de l’objet. (la phonétique de « coq » reprend la forme du coq)

- soit l’incohérence des liens dans la formation d’un caractère (le « filet » de poisson + « enveloppe » forment le caractère « couverture »),

- soit les divers facteurs opposants de la constitution (taille, place, attitude).

L’écriture suppose la réussite du refoulement de la chose dans le visuel tel que le montre l’exemple de l’alphabet. L’écriture idéographique, quant à elle, propose de penser qu’il est possible de garder ces images visuelles tout en restant une écriture symbolique sous le contrat narcissique d’une conventionnalité. Notre travail sur la construction de l’écriture dans la première partie de ce dossier permet de souligner :

1° Les repérages processuels au sens d’une méta psychologie ; la procédure minimum c’est la représentation directe de la chose,

2° La spatialisation de l’espace, de la verticalité ; la construction chronologique de l’histoire ; le temps (notion transférentielle) ; la construction diachronique,

3° La construction de l’objet et du sujet par le regard ; la construction de la réalité psychique.

Le début de cette investigation qui met au travail la transformation de l’image de la chose en « représentation » suppose un échange avec d’autres chercheurs en clinique et en psychopathologie. La métapsychologie est donc ce dictionnaire clinique et langagier nous permettant de convertir nos représentations de chose en représentations de mot. Cette partie mettra au travail, à partir de l’écriture, les organisateurs psychiques  des fantasmes inconscients qui ouvrent sur la question du père dans la construction des fantasmes originaires, le principe de plaisir dans l’organisation des fantasmes sexuels et le travail du « comme si… » dans l’écriture.

L’écriture se constituera comme un modèle analogique pour penser les organisateurs psychiques. L’analyse des idéogrammes propose des similitudes avec les fantasmes inconscients, ce qui nous permettra de représenter les processus dans la construction de la réalité psychique.

Notes
16.

S. Freud, Métapsychologie, Gallimard, Paris, p.7