Chapitre IV : les processus de transformation dans l’idéogramme

La question de la transformation du changement qualitatif est impliquée dans tout changement, toute évolution de la matière vivante. Les processus psychiques sont particulièrement sensibles aux transformations subies ou opérées à chaque changement du milieu ambiant. L’expérience clinique à la rencontre de Mireille nous a orientée vers une découverte de l’écriture idéographique comme un médium malléable. Du fait de cette malléabilité de l’idéogramme Mireille a pu exprimer et tenter de représenter l’insupportable et mettre en jeu la séparation.

La malléabilité de l’écriture possède ses lois propres qui sont l’organisation interne dans la construction des signes, des symboles et donc de l’idéogramme. Le médium malléable selon Marion Milner permet à l’enfant d’éprouver l’expérience du trouvé/créé. Ce concept repris par R. Roussillon possède des constantes telles que l’imperméabilité, la fluidité, la résistance, la transformabilité, ce qui permettra à l’objet de résister à l’attaque de l’enfant et de pouvoir être pensé à l’extérieur. Ce déplacement du dedans vers le dehors a été travaillé ultérieurement dans ce dossier, nous essaierons d’avancer notre réflexion à travers les transformations dans le spectacle des changements dans l’idéogramme afin de pouvoir repérer la dynamique des transformations psychiques.

Le travail sur l’archéologie de l’écriture permet de relever les processus de transformations complexes pour exprimer les idées abstraites. Ces transformations sont généralement réalisées par les gestes indicateurs. La représentation du geste d’une main passant par le milieu de quelque chose est employée pour exprimer l’idée du milieu, comme les idées de « diviser » « partager » par les dactylogrammes correspondants. La construction de ces pensées abstraites s’appuie sur le corps. D’autres modalités de transformations impliquant d’autres processus sont aussi à l’œuvre ; elles peuvent s’appliquer sur les objets, sur la nature, sur leur mouvement d’évolution ou d’involution : l’idée de sommet par l’indication du sommet d’un arbre, l’idée du talent par la pousse d’une plante, l’idée de la fin par le petit trait situé en dessous de l’ouverture de la plante, l’idée du début par le petit trait au-dessus de cette ouverture. Dans ces exemples, la construction des représentations abstraites s’étaye sur les représentations corporelles déplacées sur le tronc d’arbre, sur la plante.

Ainsi l’étymologie concrète des caractères est renforcée par le procédé même de leur constitution, par les voies de transformation. Certains des processus de transformations sont plus apparents que d’autres. Nous distinguons des processus « directs », ceux qui appartiennent à la kinesthésie, mouvement externe appliquée sur soi ou sur autrui ; ces processus sont visibles, processus qu’on peut suivre dans le visuel ; mais aussi des processus « indirects », qui dépendent du mouvement interne, de la vivance de la chose et non directement avec l’autre, avec l’environnement. Ces processus « indirect » sont moins visibles.

Le passage de la représentation de chose à la représentation de mot est possible si les éléments de la représentation ainsi que son environnement sont favorables à cette transformation. Nous avons repéré les éléments fondamentaux dans l’organisation de l’idéogramme (corps, gestualité, mouvement) ainsi que la base symbolique de la pensée fondatrice qui est masquée sous l’aspect du concrétisme.

On peut penser que l’écriture idéographique est une figuration de gestes figés qui président à l’exécution de la gesticulation et à la formation des caractères. Ces gestes étalés, schématisés dans l’espace et dans le temps sont des représentations de gestes vivants, indicateurs des processus de transformations. Ce sont des projections graphiques, des gestes que nous faisons sans doute encore, mais qui prennent un sens conventionnel, une forme apte à être partagée et reprise par chacun.

Pour cette partie du travail, nous procéderons à une analyse de la forme initiale, archaïque dans la construction de la représentation de chose  et de son évolution vers sa forme actuelle pour les processus « indirects » ; parallèlement nous étudierons les processus « directs » intersubjectifs impliqués dans le passage du morphogramme à l’idéogramme et aux autres catégories d’idéogrammes (principes de « déplacement du sens » et d’« emprunt »). Nous analyserons tout particulièrement les processus impliqués dans la gestualité de ces formes. En prenant conscience de l’importance de la spatialisation, de la gestualité de chaque élément composant, leur étude est indispensable pour pouvoir trouver la place et la fonction de ces éléments visuels dans la construction de la représentation.

La malléabilité de l’idéogramme réouvre la compréhension d’un médium malléable dont la résistance permet à l’enfant de construire l’objet. L’analyse de la typologie des transformations opérées dans l’idéogramme par les patients psychotiques nous permet d’une part de relier l’idéogramme et la réalité psychique. D’autre part par ce va-et-vient entre notre hypothèse théorique et la rencontre de la clinique nous essaierons de repérer les conditions et les stratégies psychiques dans la formation des symboles, des signifiants chez ces sujets psychotiques.

Ce travail vise à repérer cette fois-ci les catégories de processus de transformation. L’analyse des mouvements psycho-dynamiques de Ahmed sera une réflexion en après-coup d’un travail sur ce médium malléable tel que l’idéogramme. Deux chapitres seront consacrés pour cette mise en scène du travail de refoulement d’image, d’affects. Le premier traitera les processus de transformations dans la construction des catégories de représentations et le deuxième se consacrera par contre aux transformations dans la déconstruction de ces représentations. Les mots étudiés sont présentés systématiquement puisqu’il s’agit d’étudier un autre aspect du caractère.

Deux temps sont repérés : Dans un premier temps, ces formes de transformation du passage de la réalité extérieure à la réalité intérieure et puis de la réalité intérieure à la réalité extérieure nous semblent relever de ce que Freud développe dans sa théorie des processus primaires. Les morphogrammes forment des images de chose dans lesquelles on peut suivre le travail de refoulement dans la dégradation progressive de l’image vers la construction d’un signe accepté, transmis culturellement, puis symbole et enfin symbolique. Ces modalités de transformation apparaissent comme une mise en jeu au sens des transformations du squiggle ; encore faut-il qu’il existe dans la scène extérieure un objet symbolisant pour traduire et transformer des formes, de l’informe perceptive à former une représentation de chose.

Dans un deuxième temps, ces signes, ces symboles sont associés, organisés en une forme complexe, un rébus qui constitue l’idéogramme. Sur le blanc du cadre de l’idéogramme un travail de secondarisation s’effectue ; travail de transformation de l’image primaire, d’élaboration de scènes complexes propres à traduire des pensées. La résistance et la souplesse dans les transformations permettent à l’idéogramme de prendre cette fonction de médium malléable qui engage la construction symbolique.

Deux catégories de transformations se distinguent ainsi :

- La transformation de l’intérieur du morphogramme (intrapsychique) qui s’appuie sur l’animé du caractère (vivance de la chose), en évolution sur elle-même et dépendant d’une loi propre aux besoins existentiels (de la pulsion). Les transformations s’observent de l’écriture ancienne vers l’écriture actuelle.

- La transformation de l’intra à l’inter subjectivité s’appuie sur l’animé de l’être dans sa capacité d’adaptation à autrui, dans son environnement. Cette capacité de transformation dépend de sa place auprès des autres composants de l’idéogramme (de son environnement). Les processus de transformation de la gestualité se positionneront comme des organisateurs de l’interface dedans/dehors, mettant en jeu un espace transitionnel ouvrant sur les processus intra, intersubjectifs.