Conclusion de la deuxième partie 

Ce travail de déconstruction et de construction de l’idéogramme, nous a permis de repérer les éléments fondamentaux dans le travail de la construction de la représentation à partir du corps, élément de base pour le déplacement vers la métaphore. Nous avons repéré les deux axes d’organisation dynamique de l’idéogramme, un dans la construction métaphorique de l’imaginaire, l’autre dans la construction métonymique du concrétisme.

La présence insistante des représentations de la main, du regard, de la bouche réouvre la notion d’emprise au sens d’« appareil d’emprise » décrit par Freud. Nous interrogerons la fonction d’emprise dans l’organisation de l’écriture idéographique : chercherait-elle à garder les éléments primaires au profit du narcissisme dans le travail de séparation d’avec l’objet maternel, ou s’agirait-il tout simplement de l’agrippement de ces images dans la construction du symbolique ? En tout cas, pour l’un comme pour l’autre, l’appareil d’emprise se constitue comme signe, symptôme dans une mise en scène de cet attachement.

L’idéogramme indique les aspects spécifiques à chacun de la triade de cet appareil d’emprise. Le corps a su utiliser tous ses objets (attitudes corporelles, gestuelles) dans la rencontre avec l’autre. Il ouvre l’espace de la métaphore, de l’imaginaire, du langage corporel non verbal. Le regard ouvre sur l’inconscient visuel et les processus de transformation dans le visuel. Il permet de cerner la question de l’intersubjectivité dans la rencontre immédiate dépliant sur les enjeux transférentiels avec l’objet primaire, ce qui met en évidence la problématique de la souffrance de chacun dans la problématique du manque ; nous soulignons la blessure narcissique dans le désir d’objet.

Le mouvement du pied dans l’idéogramme indique la motion psychique, dans une situation conflictuelle ou de compromis ; l’écriture de ce mouvement introduit les éléments spatiaux temporels, ce qui permet de construire la représentation, le sens du mot et ainsi de pouvoir mettre à distance ces conflits présents et actualisés sous le modèle de la compulsion de répétition. Ces transformations de la position du pied reflètent l’impasse d’un travail de refoulement, la mise en scène de ces angoisses (de mort, d’éclatement, de meurtre, de perte) recherche une mise au travail de la représentance de ces affects, de la mise en mots d’une scène déployée. Ces positions du pied introduisent la position phallique, de sa posture phallique, de son rejet, de son engagement comme son évitement de la conflictualité psychique. Ce qui permet de penser qu’il s’agit d’une position du sexuel dans l’équilibre du narcissisme. La démarche est organisée autour d’une solution psychique sous la forme de l’agir du moi dans la sexualité infantile, l’agir dans l’accomplissement du désir ou le renoncement face aux menaces de castration.

La figuration des transformations relève des processus de transformations psychiques dans l’organisation de la représentance. Les modèles de transformations semblent identiques au travail d’organisation et de séparation au niveau des images, de la structuration des processus primaires, de l’extraction de l’essentiel dans l’effacement d’images. La formation de représentation de chose permet d’unir et de représenter la chose en lui donnant une entité psychique ; la représentation de mot revêt cette fonction de contenance mais aussi de symbolisation de la représentation de chose puisque l’envahissement de la sensorialité de la chose entraverait l’intégrité du moi dans l’accès au symbolique.

Les transformations dans l’idéogramme proposent une réflexion sur les modes de déplacements physiques et psychiques dans la formation des symptômes, de la relation à l’objet et des enjeux psychiques face à l’exigence pulsionnelle, c'est-à-dire tout ce qui accompagne la conflictualité psychique dans le travail de renoncement au plaisir, à la jouissance du corps. La représentation de fonction propose une mission de sublimation, étayant tout déplacement de la jouissance du corps à la satisfaction du désir, un désir de transmission qui engage le trésor de l’héritage. Sous l’aspect de l’héritage, la transmission opère autour des fantasmes originaires, organisateurs de la psyché.

Nous avons construit quelques repères sur les modalités du refoulement dans l’écriture que nous pouvons reformuler ainsi :

1. Le refoulement sur l’image elle-même par une parcellisation de l’image (le pied pour le corps) et par la simplification de l’image (le trait horizontal pour le sol).

2. Le refoulement de la mise en scène par un symbole qui la représente conventionnellement entre lecteur et scripteur appartenant au même groupe (connivence de lettre), ce symbole est sous le statut d’unité discrète de sens (un trait au-dessus représente le toit par exemple). Ce qui construit la surmotivation des signes.

3. Par la formation de la représentation de mot (exclusion du mouvement de l’image)

4. L’utilisation d’une image comme syllabe, refoulement radical de l’image où le son seul garde sa place de construction ou d’outils de sens (morpho phonogramme).

5. Le refoulement de l’image par création de la représentation, du sens

6. Le refoulement de l’image par la construction de la temporalité et de l’historicisation de l’image même (l’oiseau n’est que la représentation du mot « oiseau » ; le pied est le symbole du temps par le mouvement, ainsi que la lune qui désigne le mois).

7. D’autres procédés de transformation de l’image (principe de déplacement, de faux-emprunt), des procédés d’inscription et de transformation de l’identification au regard du scripteur.

Gérard Pommier dans sa recherche de compréhension pour rendre compte de la naissance de l’écriture 18 , propose un tableau qui permet de travailler, en termes, de logique de l’inconscient, des « moments » d’articulation dynamique qui permettent à l’écriture de passer des systèmes pictographiques au système alphabétique. Le tableau suivant permet de repérer les articulations de ses systèmes de représentation

Jouissance de L’Autre Refoulement primordial Refoulement secondaire Retour du refoulé
Pictogramme
Idéogramme
Hiéroglyphe
Idéophono-Gramme
Rébus
Syllabisme
Consonantisme
Ecriture de la loi
Vocalisme
Alphabet

Notre travail dans la déconstruction de l’idéogramme et de ses objets organisateurs nous a permis de déployer les catégories de processus de transformation propres à ce modèle de construction du symbolique. D’après le tableau ci-dessus à propos des modalités de refoulement dans l’écriture, nous essaierons de comprendre la question de la jouissance du corps dans l’écriture, de représenter l’écriture à partir de la notion de la dimension spatiale de l’inconscient.

Le modèle de mise au travail dans l’organisation de l’idéogramme au premier abord montre la permanence de la place du corps, ce qui permet de penser que la jouissance du corps pouvait être à l’œuvre. Nous avons constaté que le corps est très présent dès l’origine de l’écriture, ce n’est plus la chose « corps » mais le corps de la scène, du mouvement, de l’activité de l’homme. Comme dans un langage gestuel, c’est le sens que l’auditeur ou le lecteur cherche à saisir et à interpréter. L’idéogramme permet de représenter la construction de la représentation de mot même si les images du corps sont présentes dans le visuel.

Des images sont conservées dans l’idéogramme parce qu’elles ne sont que les éléments composants du sens et non les éléments purs de la chose. Ce qui semble important pour notre recherche c’est de pouvoir travailler sur la paradoxalité dans la formation de la représentation de mot. Tout se passe comme si l’idéogramme se constituait comme un processus de transformation de la chose en mot. Il propose des espaces de croisement de la tridimensionnalité à la bidimensionnalité de la corporéité, c'est-à-dire du mouvement vers l’espace bidimensionnel de l’image dans le travail de l’intrapsychique, dans le morphogramme et aussi des espaces de rencontre, permettant le passage de la bidimensionnalité à la tridimensionnalité et à la re corporéisation de l’intersubjectivité dans l’idéogramme.

En fait ces éléments de l’espace bidimensionnel et tridimensionnel se croisent et se retrouvent dans une logique et une cohérence d’organisation de l’animé, du vivant. Dans la construction de la représentation de chose, nous sommes dans la corporéité où la bidimensionnalité va vers la tridimensionnalité dans la recherche d’un volume, d’une profondeur. Dans la construction de la représentation de mot, c’est l’effacement de la tridimensionnalité du corps, d’un volume dans un travail de refoulement du mouvement de cette corporéïté pour aller à la tridimensionnalité de l’intersubjectivité.

La tridimensionnalité du corps s’étaye sur la vivance de la chose et la tridimensionnalité de l’intersubjectivité s’appuie sur la kinesthésie externe qui construit la vivance du mot. Ce qui ouvre la profondeur de l’espace de pensée. La kinesthésie externe organise et favorise, grâce aux transformations, le maintien ou la suppression de ces éléments intrapsychiques dans l’espace même de la pensée, du symbolique. Cela dépend des modèles d’écriture, des organisations culturelles.

L’idéogramme ainsi organisé et construit ne propose pas l’espace de jouissance du corps, seulement il propose des formes du corps, de la chose, qui ont perdu leur statut de chose. La jouissance est alors une érotisation de toute forme dans le visuel qui présente le mouvement, la souplesse rappelant les traces mnésiques de la chose. C’est alors une érotisation de la vivance des objets primaires. Par contre il nous semble que dans l’organisation de morpho phonogramme, le refoulement primordial ne se situe pas dans l’hypothèse que la phonétique, le son ne chasse pas l’image, mais se situe dans le déplacement de la chose primaire vers la généralité suivant une conventionnalité. Nous avons constaté que le caractère « coq » a gardé sa forme d’origine, forme d’oiseau, dédoublée de la partie phonétique. Dans ce cas, « coq » met sous le regard la trace de la représentation de chose. De même pour le caractère chat, la prononciation de « chat » ramène au son d’origine du miaulement du chat.

L’idéogramme contient le système du rébus. Les composants de l’idéogramme se prononcent, à être entendus dans le visuel où on peut voir et inclure les catégories de représentations telles que la clé et les unités discrètes de sens. Ces éléments qui ne sont pas lisibles phonétiquement à l’écoute sont pourtant lisibles et visibles dans le visuel. Pensé, construit et organisé ainsi, l’idéogramme pourrait être proposé pour ré ouvrir l’espace du rêve qui produit les textures visuelles et le système du rébus.

Notes
18.

G Pommier, Naissance et renaissance de l’écriture, p.245