Quatrième partie

Chapitre IX : Le test projectif : l’idēogramme signifiant formel à la rencontre de l’originaire

Nous avons repéré l’importance de l’identification projective dans le visuel que déplie l’écriture chinoise, ceci, sans doute, est dû à la gestualité des signes, à la sensorialité de ses objets humains, animaux et choses, constituant un réservoir de traces mnésiques de représentations-chose. Les hypothèses de travail sur la place de la projection et de l’identification permettant la construction de l’objet dans l’écriture idéographique, avancent que les processus impliqués dans les projections et dans les identifications sont aussi des processus de séparation moi/non moi, des processus de transformation dans le passage des perceptions aux représentations (identification secondaire).

Ainsi ces processus économiques sont à mettre en lien avec une dimension dynamique de l’idéogramme, grâce à son statut de médium malléable. Ces processus de transformations montrent la mise en représentation et l’intégration de l’objet externe dans la construction d’un appareil psychique. On peut prêter à l’idéogramme un statut d’attracteur de matière psychique tout en prenant en compte ses potentialités d’extraction des matières psychiques avec lesquelles il est en contact.

Notre travail sur les mouvements et les mouvements identificatoires, en rapport à la réflexion sur l’identification et la projection, nous permet de penser que l’idéogramme propose comme le rêve des textures visuelles sensorielles provoquant chez le lecteur des mouvements adhésifs d’identification, d’identification projective, mais aussi d’identification secondaire même si les identifications primaires se révèlent dominantes ainsi que dans le rêve. En cas de rejet, mais toujours dans l’accomplissement d’un désir inconscient, ces mouvements identificatoires permettent de construire la place d’observateur dans l’isolement défensif d’un fantasme, d’une représentation dangereuse, ce qui permet de cliver, de séparer ces éléments négatifs chez le rêveur comme chez le lecteur.

La place du corps dans l’idéogramme souligne le rapprochement de certains idéogrammes avec les signifiants formels de D. Anzieu, étudiés dans le chapitre précédent en lien avec la question de la projection et de l’identification chez l’analyste comme chez l’analysant. Ce rapprochement, entre le signifiant formel et le corporel dans l’idéogramme, nous encourage à construire un test à partir de ces idéogrammes signifiants formels, comme un outil d’investigation. Il a pour objectif d’une part d’approfondir notre compréhension de ce concept signifiant formel, d’autre part de pouvoir questionner la capacité d’attraction de tels espaces de projection et d’interroger la nature des matières psychiques recueillies.

Nous proposons comme hypothèse d’utiliser l’idéogramme pour construire un test attracteur des mouvements psychiques archaïques liés à la topique maternelle, semblable en cela aux Signifiants formels pour saisir le fondement de l’appareil psychique dans ses modalités primaires pré symboliques. Ce test nous permettra de travailler ce concept avec un support visuel, de repérer les processus de transformation de position d’entre-deux, entre la projection et l’identification et entre identification et identification projective. Il essaiera de travailler avec plus de précision la symbolisation primaire étant donné que le signifiant formel réinterroge la représentance symbolique du primaire. Nous souhaitons comprendre et représenter ce qui crée les entraves, les contraintes à psychiser les enveloppes maternelles pour l’intrapsychique, sans cela celles-ci restent confusantes pour le moi pris dans la paradoxalité d’un désir de se constituer en tant qu’objet du désir maternel et sa nécessaire construction autonome.

Nous employons le mot « aimant » selon l’hypothèse que les textures visuelles sensorielles contenues dans l’idéogramme constituent une sorte de moteur d’absorption, d’extraction des éléments projectifs et/ou des matières psychiques internes par identification projective du lecteur, du sujet en passation. Les finalités du test ne se situent pas dans l’attente de repérage des opérations mentales, des formations fantasmatiques ou des défenses, mais elles cherchent à aspirer, extirper toutes catégories de productions psychiques telles que les mouvements internes, les images avec forme ou sans forme comme les sensations, les éprouvés, les affects, les perceptions et les formations psychiques en lien avec l’objet primaire. Les objectifs concernent surtout les modes de réaction de la position psychique du sujet face à la douleur topique de cet objet primaire, situation transférentielle et régressive comme cadre de rencontre avec ce test.

Le concept de « signifiant formel » serait un des grands organisateurs théoriques de ce test, c'est-à-dire que toutes les planches de ce test doivent être des idéogrammes signifiants formels qui possèdent les caractéristiques des signifiants formels tels que D. Anzieu les décrit. Cet apport théorique conceptuel est un organisateur du cadre de ce test qui contient deux critères, celui de la forme et celui du mouvement ; forme qui se dégage du « formel », mouvement de l’animé comme marqueur de l’évolution de chaque contenant psychique de la configuration qui organise les relations entre les divers composants du signifiant formel. Ils représentent les deux facteurs fondamentaux des traits caractéristiques du signifiant formel, c'est-à-dire le représentant des représentations de formes et les représentants des mouvements de transformations au cours de l’évolution de chaque contenant psychique, mouvements d’évolution et de crispations chez la mère et chez l’enfant au niveau des limites de la topique maternelle.

Pour aller plus loin dans cette réflexion, nous proposons dans un premier temps la réalisation d’un test que nous nommons le test de Ti 24 , ce qui désigne le corps en chinois. Il sera expérimenté auprès de deux groupes de population, d’un côté un groupe constitué de patients psychotiques des services de soins psychiatriques, de l’autre un groupe d’étudiants en psychologie de l’université. Le choix de ces deux populations différentes s’étaye sur l’hypothèse de deux fonctionnements correspondant à ceux du primaire et du secondaire. Les patients psychotiques présentent les formes primaires et archaïques et les étudiants présentent les formes intellectuelles secondarisées sous le primat du symbolique. Pour le deuxième groupe les sujets ne sont surtout pas « reconnus » comme sujets en crise, en souffrance nécessitant une hospitalisation.

À partir du modèle du médium malléable et de notre expérience dans les groupes d’écriture, nous proposons de sélectionner des idéogrammes signifiants formels afin de tester cliniquement nos hypothèses et aussi dans le projet de proposer une « structure » active ou activée par l’origine du test projectif. Dès l’origine, les tests projectifs sont le fruit du travail collectif, travail d’élaboration des chercheurs psychologues, psychanalystes qui ont assuré la recherche, la transmission de la clinique projective dans une perspective de recherche d’un mode d’approche de la dynamique de la personnalité du sujet. Comment intégrons-nous les méthodes projectives dans cette phase de recherche ?

Méthodologie. Il s’agit d’une investigation expérimentale par la création d’un outil de recherche, un test projectif. Le fondement de la recherche dans cette partie de thèse s’inscrit dans la dynamique de rencontre avec les signifiants formels. C’est une mise en situation transférentielle qui sollicite les moyens du sujet à revivre la conflictualité maternelle dans le travail de séparation. La finalité de ce test est la création d’un espace qui favorise la rencontre avec l’archaïque et ses enjeux dynamique.

Cette situation de recherche spécifie le cadre de rencontre, cependant elle est différente d’une autre situation de test dans la mesure où la demande est formulée par le clinicien pour sa recherche. Le renversement des rôles dans un entretien classique de rencontre, augmente les conditions du transfert. Le sujet est actif, il devient maître de ses productions sous le regard du clinicien. De ce fait, cette séquence unique et limitée est surchargée d’éléments transférentiels des éléments primaires, comme l’analité à propos des productions sous commande pour laquelle la motricité est fondamentale. Ces éléments transférentiels et contre transférentiels doivent être pris en compte dans l’analyse des données.

En nous étayant sur le modèle de l’investigation clinique et diagnostique, à partir de la méthodologie projective des tests tels que le Rorschach et le TAT, en appui parallèlement sur le modèle de l’appareil psychique groupal et de la métapsychologie, nous proposons d’avancer notre réflexion à partir de ce test projectif qui proposerait l’idéogramme signifiant formel comme un espace de projection et d’identification, construisant une sorte d’aimant pour extraire des productions psychiques du sujet participant. Extraire au sens de l’attracteur, dans le but de pouvoir recueillir, comme pour la plupart des tests projectifs, à partir de la perception des empreintes, les activités, les mouvements de cette période précoce de l’enfance dans une régression psychique. Etant donné que les propriétés des signifiants formels appartiennent aux contenants psychiques primaires, le test serait un investigateur de l’archaïque. Il va pouvoir nous permettre d’aborder le primaire par le biais de perceptions-projections, mouvements-projections, de relever les processus impliqués dans le travail de représentation primaire, dans la symbolisation primaire.

Notes
24.

Voir l’annexe III