Conclusion

Dès son invention, l’écriture idéographique inscrit la séparation de ce qui appartient au primaire et de ce qui appartient au secondaire puisqu’elle met en scène les composants élémentaires du primaire, c’est un langage du dedans. Ce sont les processus primaires qui possèdent les éléments bruts (attitudes, gestes, signes), mais l’écriture indique aussi le secondaire puisque l’idéogramme désigne une signification sous la loi de la conventionnalité. Cette double organisation par les processus primaires et secondaires montre d’une façon analogique la topique, l’espace du primaire et l’espace du secondaire, ainsi que les voies de passage de l’un à l’autre. Ces deux types de processus sont réversibles, permettant de penser l’idéogramme comme un processus de transformation et de symbolisation, un processus de psychisation pour le sujet du groupe, de la culture, de l’être dans la représentation de mot tout en laissant trace de la représentation de chose ; il est de ce fait aussi un processus rendant visible la régression. La réversibilité permet la régression psychique pour le sujet névrosé et le maintien de la perception pour le sujet psychotique.

Le croisement de l’analyse transversale de l’écriture qui décrit la constitution même de ses procédés de formation, et de l’analyse longitudinale basée sur l’évolution de ses formes (passage des formes anciennes aux formes actuelles) nous permet de travailler les processus de transformation des contenus latents par la déconstruction des éléments du contenu manifeste, et de construire le représentable de l’originaire.

L’écriture n’est pas une simple transcription de l’oralisation et de la parole mais elle constitue un travail culturel groupal pour répondre aux exigences de symbolisation propre à tout individu et à tout groupe. On a constaté la défaillance de cette construction du symbolique chez les sujets psychotiques, nous pouvons penser cette souffrance comme une tentative avortée de construire des rébus donc du symbolique avec des matériaux psychiques défaillants. Le lien dans l’écriture entre image de chose et image de mot subit des transformations complexes qui sont tout à fait équivalentes au travail de la construction de la réalité psychique. Le travail théorique freudien qui donne une lecture externe des effets de l’inconscient est confronté à sa tentative de construire une métapsychologie qui prend en compte la dimension visuelle, informe du point de vue du sens et pourtant partageable comme telle dans la topique visuelle malgré sa dimension non secondarisée.

A travers le classement des six procédés de formation de l’écriture idéographique, on peut penser que les quatre premiers procédés correspondent aux processus primaires, tandis que les deux derniers sont les principes sémantiques qui correspondent à ceux du fonctionnement secondaire. La déconstruction de ces deux derniers principes sémantiques nous montre qu’il s’agit surtout des transformations et des déplacements d’images des scènes transférentielles qui donnent accès au symbolique. La temporalité introduite par ces déplacements dans le temps et dans l’espace permet de quitter l’image de chose pour aller dans l’image de mot.

Le morphogramme qui est une « mise à vue », une mise en représentation du sujet, de « l’objet, autre sujet », de la chose, contient une profondeur qui pourrait être déconstruite et déployée au sens de la pliure et donne un sens à l’organisation de la construction du primaire, de l’originaire. Cette construction de l’idéogramme et donc du mot répond à des modèles d’organisation extrêmement diversifiés et complexes puisque l’idée d’un classement ou en tout cas d’une logique formelle dans leur construction sémantique est insaisissable : il s’agit de classer la relation qui dépend de l’intersubjectivité, mais aussi de l’affect dans l’expérience de la relation d’objet. Le mot formé répond grossièrement à deux logiques, logique simple qui est la transformation en signe de l’image mimétique de la chose que le mot désigne et la forme complexe qui est la transformation du sens de l’image pour construire une idée abstraite, une pensée.

Nous pouvons penser que la première répond à une loi de la réalité extérieure et la deuxième répond à celle de la réalité interne. Dans les deux cas, les processus de transformation sont à l’œuvre, leurs buts se différencient dans leurs rapports à l’image. Dans la réalité externe, les transformations font disparaître l’image visuelle, la mémoire de l’objet pour ne garder qu’une représentation symbolique de celle-ci débarrassée grâce à un mécanisme proche du refoulement de l’évidente présence de la « chose » en lui attribuant une fonction, la fonction d’étayage. Pour la réalité interne, les transformations suivent la même logique que celle du rêve, celles du déplacement, de la condensation et de la sur-détermination.

Dans les deux cas, le mot et l’image de l’objet qu’on nomme, entretiennent une relation de présence-absence qui évoque le « je sais bien mais quand même » qui marque selon Octave Mannoni le jeu du refoulement. L’image s’efface derrière le mot qui représente la chose tout en restant présente dans le regard et la mémoire inconsciente du lecteur. Cette présence-absence de l’image qui rend présent l’oubli de la chose évoque les mécanismes d’hallucination négatives que les enfants mettent en jeu quand ils absentent la mère en présence de celle-ci, ce qui renvoie à « la capacité d’être seul » en face de la mère, position psychique nécessaire dans tout travail d’élaboration et de construction.

Le mot se construit grâce à une procédure complexe qui vise à construire non plus une image de la chose, mais une histoire, une scène, on pourrait dire, un fantasme inconscient, dont le statut, serait lui aussi complexe. Le mot soutient sa présence dans la présence-absence d’un fantasme inconscient ou préconscient qui légitime et qui permet son écriture. Les procédés pour construire ce fantasme sont variés, les philologues les décrivent en les classant dans les six catégories. Il semblerait que ces procédures descriptives rendent compte, soit de la construction d’un signifiant énigmatique du sujet inconscient, soit de la construction d’un fantasme inconscient qui justifie le mot tout en étant transformé par les mêmes effets d’épure et de refoulement que les formes simples.

D’autres formes s’inscrivent dans la catégorie de la lettre, selon les procédures du signifiant-signifié, comme le système alphabétique mais avec une autre organisation. Le morphogramme pour lequel le signe n’a pas perdu le sens de son dessin d’origine, même s’il a accès au son, garde la paradoxalité de l’originaire de cette double inscription : une inscription au sens de la représentation de chose et une inscription au sens de la représentation de mot. Comme dans le calligramme la temporalité sépare les deux réalités : l’oiseau vu n’est pas l’oiseau dessiné et l’oiseau entendu n’est pas l’oiseau perçu.

Cette double inscription (réalité interne et réalité externe) semble soutenue par la double hypothèse de l’origine de l’écriture chinoise : l’origine à partir du pictogramme vers le phonogramme en passant par l’idéogramme, et l’origine divinatoire à partir du mythogramme vers le pictogramme en passant par l’idéogramme. Ces deux dynamiques originaires s’apparentent aux convergences et divergences des logiques des pulsions du moi et des pulsions objectales, de l’écriture du sujet dans la culture et le mythe et de l’écriture du sujet de l’inconscient. Les images des mythes tissent l’écriture elle-même, mobilisant les mouvements d’identification primaire des individus aux images inconscientes de la culture, ce qui permet par ces mouvements identificatoires la transmission d’un pare-excitation visuel des mouvements primaires. La culture dans la transmission fonde l’étayage de nos fantasmes originaires, fondateurs de l’organisation de notre identité en tant qu’héritiers et descendants du père d’origine

L’étude des inscriptions sur écaille de tortue nous a permis de différencier l’archaïque et l’originaire : l’archaïque ressemble à la structure d’organisation contextuelle du mot, ainsi le mot « canon » ne peut pas être écrit en forme ancienne, le « c’est comme ça » touche l’archaïque par sa butée sur les limites de formation de « caractère » ; il est associé au sujet, de l’intrapsychique dans une diachronie. L’originaire semble appartenir au fantasme, qui de ce fait, n’a pas de limite, puisqu’il ouvre sur l’imaginaire qui représente l’infini. Cet imaginaire de l’impossible, de l’irreprésentable puisqu’il touche la vie et la mort et de l’immortalité par la représentation des ancêtres trouve son cadre dans la construction en analyse, construction comme cadre, un cadre interprétant, symbolisant.

L’écriture de l’archaïque, les inscriptions sur écaille de tortue, étaient les images chargées d’une signification magique propre à permettre à la pensée de maîtriser le monde extérieur et le hasard, sans autre signification littérale. Elles contiennent cependant les prémisses du symbolique. L’idéogramme, grâce à son rapport à l’œil possède cette place d’entre deux, entre réalité extérieure et réalité intérieure, entre perception et représentation, c’est un espace de contenance de l’intime. La rencontre entre l’œil du scripteur et l’œil du lecteur suppose le croisement intersubjectif et la confusion dans l’identification projective, entre la perception et la représentation, dans l’indécidable de l’inconscient visuel.

Cette situation transférentielle permet de faire advenir les expériences primaires dans le langage de l’inconscient visuel. Les gestes manuels dans l’idéogramme indiquent le mouvement dynamique, dans le transfert, de la communication non verbale. Les attitudes corporelles proposent des espaces de projection et d’identification qui réactualisent cet attachement primaire. Le corps par le mouvement recherche et favorise le maintien et l’évolution de l’essence du vivant du dedans, du dedans au dehors, et du dehors au-dedans dans le modèle de la construction de la réalité psychique.

« L’animé » de l’être nécessite l’échange, organisateur de l’intersubjectivité, grâce au souvenir des échanges originels avec l’objet primaire, transféré et déplacé dans un monde de substitution représentative, comme moyen pour supporter le manque, fondement de la condition de l’humanisation. Ce qui explique sans doute la place de l’image dans la symbolique de l’idéogramme, pour laquelle une réversibilité des processus est tolérable, voire fondamentale, si on accepte de penser que l’image organise le mouvement de l’animé.

On peut définir quatre grandes catégories de processus qui permettent d’analyser la déconstruction des représentations. Dans chacune de ces quatre catégories, nous essaierons de définir des sous-catégories afin de proposer un tableau analytique propre à soutenir ou à permettre une déconstruction de ces processus d’intrication qui permettent la lettre, l’écriture, le symbolique.

Quatre grandes catégories de processus :

Les processus de transformation de l’image de chose, dans la formation de la représentation de chose, de mot, de fonction dans le sens de la construction ; comme le passage des niveaux différents, de la déformation psychotisante à la forme névrotisante, de l’intrapsychique à l’intersubjectivité.

Les processus kinesthésiques introduisent la représentation du mouvement, donc de la présence de la vivance de la « chose » dans une scène intersubjective. Ces kinesthésies se partagent en deux formes : celles qui appartiennent à l’auto régulation, au profit de l’auto conservation, donc de l’intrapsychique, ce que nous appelons la vivance interne de la « chose » et celle qui s’ouvre vers « l’objet, autre sujet », dont l’investissement dépend de la qualité des quantum d’affects en direction de celui-ci. Ces kinesthésies traduisent les mouvements de potentialité d’adaptation à l’entourage, aux autres, donc à « l’objet, autre sujet » dans l’intersubjectivité ; mouvement que nous attribuons à la vivance externe de la chose dont la disponibilité dépend de la vivance interne. Ces deux catégories de kinesthésie peuvent se superposer, s’articuler entre elles, se différencier selon leurs contextes d’émergence.

Les processus de construction du cadre, des indicateurs grammaticaux introduisent dans ces rapports aux images de choses des indicateurs pré grammaticaux. Le cadre revêt une fonction analytique de transformation, travail semblable à celui du rêve dans la construction d’une syntaxe psychique. Pour cela, la spatialisation du cadre et la temporalité sont les organisateurs de cette syntaxe psychique. Le croisement de la topique, de la dynamique et de l’économique crée la dynamique du mouvement de ces processus de transformation.

Les processus d’effacement d’image dans le travail de refoulement visent la disparition des images de chose. L’élément de condensation et de déplacement ne peut devenir que le signe d’un son. Ce sont des processus de transformation régressifs dans le sens de la déconstruction et de la mise à plat des images, mouvement répressifs de la corporéité.

Au fur et à mesure que le système de constitution de l’idéogramme est déconstruit, nous constatons que les mouvements kinesthésiques sont très présents. Les attitudes corporelles, les gestes manuels en relation aux objets, à l’espace, entre les êtres sont très souvent utilisés pour construire un système de « combinaison d’idées ». Ce constat nous permet de nous rapprocher du test projectif de Rorschach dans lequel les kinesthésies, les formes, les parties du tout, comme les figures d’humains, parties du corps, sont prises en compte dans la cotation.

La proximité avec les modèles de cotation du Rorschach interroge les processus psychiques mobilisés dans les processus de transformation du primaire au secondaire mais aussi les processus de condensation et de déplacement dans l’économie psychique. La mise en représentation grâce à un jeu d’identification primaire puis secondaire assure sans doute le passage de l’intrapsychique à l’intersubjectivité.

Notre lecture d’après-coup de l’idéogramme est plus compréhensible dans une logique métapsychologique que dans une logique théorique classique de la formation du symbole linguistique. Le lecteur est lié au scripteur en-deça et au-delà du sens secondaire dans le cadre du processus analytique, « être vu » et « être reconnu » avec « voir » et « comprendre ». Comment cette communication scripteur/lecteur, sujet-« objet autre sujet », s’établit-elle dans le transfert et dans la recherche d’identité ? L’interprétation « acte » ouvre-t-elle à la parole en créant des processus de transformation grâce auxquels la parole de l’interprétation est aussi l’écriture de la parole ?

Après une traduction de la langue étrangère spécifique à chacun, la métapsychologie se positionne dans la tiercéité pour comprendre les processus primaires et les processus secondaires dans la formation de compromis. Les représentations de chose instaurent le langage à deux tandis que les représentations de mot ne prévoient pas de façon réversible le déploiement de la « chose » en la privant d’affect. Par contre cette réversibilité et ce réveil des affects sont possibles dans l’écriture idéographique et dans la cure analytique. Nous avons pu construire un modèle parallèle pour penser la théorie de la métapsychologie freudienne et la métapsychologie des processus psychiques de l’écriture idéographique.

Dans ce modèle d’analogie, les formations créatives que sont les pictogrammes de Piera Aulagnier sont indispensables pour créer le monde par la création du reflet narcissique. Les structures défensives de la construction d’un double contre l’anéantissement du moi sont indispensables avant tout investissement du monde, comme un dépassement de la menace de disparition, d’existence. Cette angoisse de perte se déplacera dans l’angoisse de la perte d’objet autre sujet ; la stratégie défensive contre cette angoisse, permettra la création du signifiant de démarcation qui ouvrira sur l’intersubjectivité, tandis que le double narcissique agit dans l’intrapsychique.

L’idéogramme perçu au départ comme une enveloppe fermée, vernie, revêtue d’une conventionnalité culturelle organisatrice de cette doublure narcissique dont il se porte garant, possède, en dessous, de façon latente, les caractéristiques d’un médium malléable. Il est comme l’œuvre d’une création artistique qui contient l’animé du créateur, comme une régression vers l’originaire. Le déploiement de l’idéogramme rend lisible ces propriétés de médium malléable qui sont le fait d’être : informe, dans la mesure où toutes les formes peuvent advenir, saisissable grâce aux textures visuelles, indestructible car autorisant la déconstruction comme la construction, sensible car favorisant l’inscription et l’impression des traces, prévisible car s’appuyant sur la perception de l’inconscient visuel, disponible aux expériences possibles de l’intersubjectivité, paradoxale dans le croisement du primaire et du secondaire, et enfin auto-animé par une auto régulation des dispositions de chacun.

D’emblée l’écriture idéographique est perçue à l’origine comme un modèle du principe de plaisir-déplaisir. Nous sommes attirée par son habit de séduction, par cette multiplicité de formes de figurabilité : « l’idéogramme possède tout,  tout est là » comme le commente une patiente. Elle est comme une sorte de trouvé/créé narcissique dans lequel se reflète notre « pictogramme ». Nous sommes alors restée sur la surface, prise dans une fascination visuelle, prise que l’on retrouve et partage contre transférentiellement avec les participants des ateliers d’écriture.

La déconstruction de cet habit de l’idéogramme s’ouvre sur un espace de pensée qui s’impose entre notre intime et cette écriture. L’idéogramme devient alors un objet étranger que nous essayons d’agripper d’abord par notre connaissance à son égard, puis par la théorie métapsychologique. Cette évolution en nous dans notre rapport à cet objet « écriture » permet de lui confier cette place d’outil de recherche à la place d’objet de recherche. Ce qui lui donne une fonction, celle d’étayage. Ce déplacement de l’objet vers une fonction permet un « trouvé/créé », de l’origine à l’originaire dans l’organisation de la pensée.

L’analyse de nos mouvements internes comme si nous laissions glisser vers la profondeur de l’idéogramme, notre intime, comme si nous accompagnions le déplacement de l’objet vers la fonction, peut enfin proposer l’idéogramme comme modèle d’analogie pour penser la construction du psychisme. A cette phase d’évolution psychique, l’idéogramme quitte cet habit de séduction, son statut de pictogramme et nous conduit vers un autre espace de signes, de symboles dont la traduction nous échappe totalement. C’est sur l’acceptation de cette perte, perte de l’idéogramme subjectif, objet d’origine, que nous pénétrons dans le monde des signes, que nous comparons aux langages archaïques que nous composons avec les codes de compréhension spécifique à ces langues.

Notre surprise fut de découvrir que cette langue originaire n’est pas une langue horizontale, dont l’organisation grammaticale est semblable au système du rébus, mais aussi une langue verticale appartenant à la profondeur du symbolique. Tout le système de constitution de l’idéogramme s’étaye d’une façon analogique sur la dynamique du rêve, passage du contenu manifeste au contenu latent, opérant selon les lois de transformations propres à l’idéogramme, semblables à celles du rêve. Ce glissement vers une forme plus symbolique que la forme physique nous permet de repérer les idéogrammes signifiants ainsi que les formes de la présence du sexuel dans l’idéogramme.

Cette reconnaissance du sexuel dans l’idéogramme est possible grâce à la métapsychologie qui se positionne à cet endroit de rencontre avec l’idéogramme, avec cet objet étranger et familier. Le modèle de l’écriture, du signe, ne se situe plus au niveau du symptôme mais au niveau de la transformation. La compulsion de répétition est alors au cœur de l’idéogramme, dans la dynamique de l’animé de ce qui appartient, selon nous, à la vivance du sujet dans une recherche d’auto-conservation mais aussi au regard de la dynamique de la vivance de « l’objet autre sujet ». La conséquence d’une « cause » ne constitue pas la guérison mais permet au sujet d’exprimer l’impasse à représenter ses besoins pulsionnels dans la réalité psychique.

Le modèle du « principe de plaisir-déplaisir » qui se situe dans le « comme si… » entre le familier et l’étranger déplace le plaisir sur la figurabilité des images au profit du principe de plaisir-déplaisir aux exigences des fantasmes sexuels et originaires. C’est donc notre relation avec les images, images de chose, images de mots, images-écran, dont l’ensemble forme et se positionne comme un univers confortable passant de la fascination à la sidération ou à la sublimation selon les disponibilités sensorielles. Ce modèle « comme si » reprend le modèle auto de l’idéogramme, auto appropriation de la subjectivité psychique : auto-observation, auto-négativation, auto-transformation, auto-satisfaction au profit du narcissisme primaire.

Ce qui semble être l’hésitation de Freud qui abandonnait à contrecœur ce modèle médical en laissant le « pourquoi ?» pour introduire le « comment ? » Dans le « pourquoi » la cause est recherchée comme la clé de la guérison ; le « comment » introduit la recherche du sens à partir du symptôme ou du signifiant. Ces deux dernières manifestations sont des formations des représentants des pulsions pour l’une comme pour l’autre « l’objet autre sujet », reconnues comme émergences de l’inconscient.

Ce modèle du principe de plaisir-déplaisir de l’idéogramme se construit comme un modèle « auto », auto-appropriation de la subjectivité psychique : auto-observation, auto-satisfaction, auto-négativation, et auto-transformations après une auto-présentation. Cette auto-représentation constitue une auto-protection, une sorte d’écran qui filtre le passage du dedans/dehors au regard du narcissisme primaire. Narcisse qui est pris dans ses propres images cherche et recherche ce qui semble être le manque, manque de détachement du regard, de voir et d’être vu, en dehors de la pulsion scopique.

Il répond alors aux exigences de la pulsion du moi face à la castration narcissique par la réalité externe. Cependant dans l’approfondissement de ses capacités de transformation, il laisse apparaître une autre scène où la conflictualité psychique est à la rencontre de la réalité extérieure dans la reconnaissance de la différenciation, différence des sexes et des générations. L’organisation de la psyché, dans la gestion des angoisses de castration, du meurtre introduit l’œdipe, et donc la temporalité psychique. Ainsi ce modèle accède à la construction de la réalité psychique.

L’idéogramme serait un processus « auto », grâce auquel le sujet se « voit » et « s’entend » 27  et imprime le monde. Comme le rêve, il permet un travail de représentation des processus d’organisation, de structuration, de transformation des pulsions. Le rêve constitue aussi cette fonction transformatrice en quête de symbolisation primaire et secondaire, grâce à la réversibilité des images et à l’automatisme de répétition, ce qui lui permet d’inscrire les frayages avec les traces des représentations de chose. Le temps du rêveur est, comme le temps du calligraphe, en quête de sens, en attente d’une syntaxe psychique à l’intérieur de laquelle les motions psychiques représentées par les mouvements du « pied » dans l’idéogramme se déplacent dans l’espace comme la mise en scène économique d’une action psychique. Dans cette recherche d’un processus de séparation, ces motions représentées par les mouvements de pied sont des processus de subjectivation puisqu’ils s’engagent ou se désengagent de l’emprise maternelle et du système auto pour s’engager dans un espace intersubjectif.

Acceptant le renoncement de l’adhésion à cet univers de choses, en laissant de côté l’effet -miroir de l’idéogramme-pictogramme qui permet de former le double narcissique identitaire, nous quittons la place d’un trouvé/créé narcissique pour un trouvé/créé dans la construction de l’objet. La destructivité envers l’objet dans le « trouvé-créé » reflète la dépendance du sujet à la réponse de « l’objet autre sujet » qui doit construire sa permanence. Cet objet construit, existe et doit se munir d’une qualité symbolisante, pour que le sujet puisse s’approprier ses reflets afin de construire sa réalité psychique. L’idéogramme qui présente la même disponibilité à la destructivité, tout en gardant sa cohérence symbolique grâce à la mimésis des contraintes faites à « l’objet autre sujet », illustre de façon analogique la construction de cet objet permanent.

Il nous est alors possible d’inscrire un « père », père inventeur de l’écriture, père de l’origine qui guide par ses mots vers l’univers du sens, du symbolique, de l’inscription organisant la loi de la construction dans le transfert. Les images prennent alors une autre place, la place d’une langue corporelle maternelle par laquelle les signes deviennent les premiers éléments de langage entre la mère et l’enfant, langage de l’inconscient visuel, ce que R. Roussillon appelle langage d’affect. Les transformations de ces signes en symboles et en code accompagnent le passage de l’originaire au primaire, puis du primaire au secondaire pour accéder à une langue conventionnelle et paternelle. Elle représente une loi, une pratique à laquelle chaque individu d’une civilisation doit se plier pour être entendu et lu, même pour nommer la « chose ».

La déconstruction des éléments les plus archaïques de ce modèle dans une posture régressive de chercheur, se réalise dans un voyage hors temps pour retrouver l’espace des formes premières qui possèdent deux logiques, les logiques des extrêmes : le début n’est pas uniquement le commencement mais inclut aussi la mort. Cet espace visuel ressemble au rêve dans lequel les textures visuelles ouvrent la scène de l’originaire, la scène des affects ; ces matières visuelles construisent le cheminement psychique de l’être, dans la représentation de la réalité psychique en rapport avec la réalité extérieure, ainsi que les processus de défense qui organisent le moi.

Le déplacement de la barre saussurienne déplie la condensation et rend à nouveau disponible les quantum d’affects, dont la densité permet de repérer les signifiants, le signifiant de démarcation, le signifiant formel dans le prolongement du pictogramme de Piera Aulagnier. Ce pictogramme par la présence des textures vivantes, engage tout sujet, scripteur ou lecteur à s’identifier à cet endroit fragile du miroir narcissique. Comment se séparer de ces mouvements identificatoires narcissiques où l’enfant revoit ce désir d’être qui permet d’investir le monde grâce à l’investissement de la libido ? Le désir d’être narcissiquement, remplacé par le désir d’être l’objet du désir de l’autre autorise la construction de l’objet, différencié du soi en organisant ainsi ce manque que l’hallucination-perceptive permet de combler.

Ces interrogations semblent bénéfiques dans l’élaboration de notre thèse puisqu’elles nous conduisent vers les découvertes d’autres facteurs dans l’organisation de ce modèle : la spatialisation qui construit la temporalité psychique et introduit la tiercéité des éléments primaires, en séparant ce langage d’une dualité confuse. Le croisement de la verticalité qui renvoie à l’originaire en organisant la différence des générations, et de l’horizontalité qui met sous le regard de l’identique la position du double narcissique, va permettre de créer le quatrième espace, l’espace du symbolique.

La typologie des transformations réalisées par les patients psychotiques réactualise notre intérêt pour la place du visuel dans la construction du symbolique. Le symbolique s’étaye sur le croisement de deux axes que nous reprenons sous le terme de « barre » :

Le premier axe appartient à une loi dans laquelle la parole indique les règles, la place du père dans la fonction du langage. L’importance de la parole dans la pensée où la phonétique comme organisateur de l’autorité paternelle en liant le sens au mot prononcé. La place est délimitée par les représentations de mots. Cette parole n’est pas comme ce que nous nous représentons dans la logique linéaire du rébus mais elle est, si elle appartient au symbolique paternel, dans l’axe (barre saussurienne) vertical où s’inscrit la différence des générations. Les mots sont linéaires mais le symbolique est vertical et le rébus doit croiser la profondeur de l’histoire (verticalité). Ce croisement du vertical et de l’horizontal déplace le sujet « intra » vers un contexte de groupe « inter ». Nous associons cette linéarité croisée avec la verticalité, à la barre de Saussure, donc au signifiant signifié.

L’autre axe, à l’opposé de la verticalité, et à l’opposé de l’entendu c’est le symbolique de la vision, du regard, de la sensorialité maternelle. La symbolisation primaire doit être la première pensée ayant pour étayage le maternel, c’est aussi la capacité de pliure et de dépliure qui organise le passage du maternel au paternel. Ce passage est complexe mais se « trace » et s’inscrit dans l’écriture. Cette langue gestuelle maternelle doit posséder les mêmes capacités de langage que la langue entendue, elle est « visible », « sensible » mais parfois « non phonétique », « non acoustique » dans le système du rébus puisque ce langage est bidimensionnel, et appartient au-dedans. Ce langage de l’inconscient visuel comme tout langage possède aussi une tiercéité qui désengage la bidimensionnalité (horizontale) pour aller vers la tridimensionnalité (verticale). C’est donc la forme du contenu dans le langage communiqué qui tiercéïse le son de la « chose » pour aller vers la phonétique du mot.

Il est dans la logique de l’organisation de l’écriture idéographique de découvrir l’idéogramme signifiant formel. Le « signifiant formel », organisateur des représentations spécifiques et des formes de l’expérience psychique du sujet, est une configuration de contenants psychiques. Il s’exprime dans l’idéogramme par le croisement des représentations corporelles, limites et confuses dans le regard et les représentations d’objets « tranchants » et castrateurs, en mettant en évidence la présence des « douleurs » topiques dans la rencontre avec le monde extérieur. Cette rencontre de l’enveloppe maternelle avec les limites de l’objet séparateur s’unit dans l’espace idéographique, en face à face, et se sépare par les formes différentes dont l’évolution reste propre à chacun.

D. Anzieu a repéré comment cette construction du psychisme se constitue en rapport avec les espaces limites des contenants psychiques dont l’investissement peut toujours être entravé par une auto-représentation narcissique, une représentation pictographique spéculaire confuse moi-non moi empêchant l’évolution vers le développement en terme de contenu psychique. Ces signifiants formels maintiennent la vivance du sujet comme la formation du signe, en quête de lieu et d’une temporalité dans l’attente d’un objet symbolisant, d’une parole séparatrice et non réparatrice, mais révélatrice de la reconnaissance de cette douleur topique maternelle. Ces représentants d’enveloppes psychiques sont investis de traces d’agrippement libidinal de l’objet maternel et non d’une libido organisatrice d’une séparation possible avec cette emprise castratrice.

La loi de transformation reprend la dynamique des positions respectives de la mère et de l’enfant dans la relation précoce de la rencontre. Les transformations de formes maintiennent d’une manière économique toute la structure de la relation mère-enfant, structure limite aux espaces corporels pour lesquels tout changement risque de déformer, de détruire la topique maternelle. Ces représentants de transformation de forme s’établissent sur des logiques de transformation à la base des modèles d’interaction de forces, mettant en évidence, en scène cette enveloppe corporelle à deux, tel que la décrit Joyce Mac Dougall, un corps pour deux, une psyché pour deux.

Ainsi ces signifiants formels sont maintenus dans le langage, mais repérables par les changements de formes évolutives de leurs contenants psychiques ; les transformations sont perceptives et kinesthésiques, indiquant la dimension structurale de leur constitution organique qui est sensible à tout changement de forme. Ceci explique la maîtrise visuelle de l’environnement et l’ajustement permanent de ces représentations d’images investissant les limites corporelles mère-enfant. Ce formel/informel dans l’activité « subjective » des patients retrace et nous informe des menaces imaginaires ou fantasmatiques des craintes d’effondrement, d’explosion et d’implosion de ces enveloppes maternelles.

D’autres idéogrammes sont très proches des signifiants de démarcation qui soulignent l’effet de l’opération psychique dans le manifeste, soit par le repérage clinique de l’acte dans la formation de l’idéogramme, soit par le mouvement opposé dans la constitution du sens de l’idéogramme. Le « signifiant de démarcation » de G. Rosolato est assimilé à l’élément alpha, et donc non métabolisé. C’est une figure, un corps de souvenir d’impressions, de sensations ; le déplacement répétitif de ce corps fait signe dans l’après-coup. Ce signifiant peut alors signer la souffrance de ce corps psychique, corps maternel encore confus faisant partie du prolongement du moi. Dans l’écriture, il pourrait être la base de formation de signes dont la répétition insensée exprime l’attente de symbolisation, d’interprétation, du monde extérieur parl’analyste qui a repéré leurs existences. Ces signes, en quête d’une auto-représentation, sont présymboliques et constituent ces textures visuelles ou acoustiques dont les formes d’évocation ressemblent à un rêve répété.

Les idéogrammes signifiants de démarcation se rapprochent des idéogrammes contenus psychiques pour lesquels la présence d’une paire intermittente est l’organisateur même de la formation de l’idéogramme, bon/mauvais, présence/absence. Ils se démarquent surtout par une réactualisation possible d’une opération psychique de l’enfant, du sujet. C’est une reproduction de la « chose autre objet », d’un élément de la chose ; ici d’un composant de l’idéogramme, de sorte qu’on peut penser qu’il s’agit bien d’une recherche de maîtrise, pré symbolisante d’une situation de dépendance, d’une conflictualité psychique en lien avec l’objet primaire, avec la « chose ».

L’idéogramme signifiant de démarcation est repéré par l’action du sujet pour déplacer un élément « mère » dans la répétition, et reproduire le même dans un autre espace. L’action anticipe l’intersubjectivité ; c’est une opération psychique à la recherche d’une maîtrise par retournement d’une situation d’emprise, emprise dans le sens d’une impossibilité à se séparer de cet objet primaire. Alors que l’idéogramme signifiant formel peut être repéré par les formes corporelles des textures visuelles et des significations des mots, l’idéogramme signifiant de démarcation est repéré grâce à sa répétition par une opération venant soit de l’extérieur, par l’action de répétition dans l’écriture, soit par la signification du mot. L’idéogramme signifiant formel constitue ainsi comme un substitut maternel, comme la « bobine » pour le jeune enfant. Ainsi perçu, l’idéogramme interroge le signifiant de démarcation par comparaison avec le double narcissique.

On peut repérer le double narcissique dans l’idéogramme par son reflet, un double, symétrique, identique par ses attitudes corporelles « à l’opposé », « à l’envers », « à l’endroit » par sa position de double, ou par le sens dédoublé du caractère. Cette figure du double révèle les exigences psychiques de la création de ce double. Une autre condition permet d’illustrer cette exigence, c’est la figure de l’humain qui peut être déplacée sur d’autres figures, d’objet, d’humains ou d’animaux. L’idéogramme signifiant de démarcation est toujours « unique » dans la répétition, ce qui permet de penser le déplacement, le « portable » de l’objet primaire, autre que l’identique puisqu’il se soumet au désir du jeune enfant, dans un retournement passif-actif.

Dans l’écriture, le signifiant de démarcation est un élément extrait de l’idéogramme, un morphogramme ou un élément d’une autre catégorie (clé, unité discrète de sens) par le sujet scripteur, par les patients dans leurs écritures. Ces éléments sont déplacés dans un autre lieu, seuls ou réintroduits dans une autre structure, dans un autre idéogramme. Ce sont des dédoublements de l’élément initial. L’idéogramme initial est déconstruit, détruit ainsi que les autres éléments constitutifs qui sont déformés, amputés ; il n’est plus lisible. Seul le morphogramme signifiant de démarcation reste « intouchable » et transportable.

Ces signifiants au sens psychanalytique, présents dans l’idéogramme nous ont permis de revenir sur le langage maternel et ainsi de comprendre le passage du geste, de la sensorialité pour prendre la position verticale (conventionnalité, sens) qui objective la symbolisation primaire. La position horizontale, maternelle produit du sens dans son croisement avec la verticalité à travers la symbolisation primaire. Nous pouvons représenter cette ligne horizontale par la barre maternelle.

C’est le croisement de ces deux axes, de ces deux barres qui crée en lui-même une profondeur de sens, du symbolique. Ainsi se constitue la paradoxalité de l’écriture mais pour nous c’est aussi la paradoxalité du symbolique : puisque la représentation de mot doit contenir la représentation de chose, ainsi que le système de l’idéogramme. Ce qui peut expliquer aussi la paradoxalité de l’écriture et du système des mots primitifs qui superposent les courants opposés. Nous proposons de penser que l’espace entre-deux constitue un espace méta, entre Thanatos et Ēros, où s’origine l’animé de l’être.

Ce système est monosyllabique puisque chaque caractère a seulement un son, donc la différence entre le morphogramme et l’idéogramme se situe uniquement dans le visuel mais pas à l’écoute. C’est le langage du nourrisson pour lequel l’interprétation maternelle est subjectivante. Notre hypothèse selon laquelle le système de l’écriture idéographique possède la fonction de symbolisation dans le champ visuel, puisque le visuel ramène à l’image, au son de l’originaire de la « chose » est confortée. Le signifiant peut être lié ou délié du signifié, mais le signifié n’est pas la « chose » comme nous l’imaginions. Il est relié au symbolique. De ce fait il est très près du système linguistique dans lequel le signifiant est en rapport au signifié par le référent.

Les textures visuelles en lien avec l’inconscient visuel se déplient pour interroger la place qu’elles occupent dans la construction du sens. Le visuel n’est pas seulement le témoignage d’un vécu traumatique ou une expression corporelle, mimique, mais un des organisateurs de la langue, des mots. Comme si la mimique de la mère était indissociable du mot prononcé de la « chose ». N’est-ce pas la structure du mot qui doit associer l’image phonétique de la chose, image mimique de la mère intégrée dans le mot prononcé et l’image représentative de la chose sans la chose, dont le sens reste unique à chacun ?

L’idéogramme rouvre la question du principe de plaisir-déplaisir qui nous est familière et en même temps étrangère. Le fondement de la pensée organisatrice de l’idéogramme nous fait associer à ce qui semble être l’hésitation de Freud qui abandonnait à contre cœur ce modèle médical en laissant le « pourquoi ?» pour introduire le « comment ? » Dans le « pourquoi » la cause est recherchée comme la clé de la guérison ; le « comment » introduit la recherche du sens à partir du symptôme ou du signifiant. Ces deux dernières manifestations sont des formations pour l’une des représentants des pulsions, pour l’autre de « l’objet autre sujet » toutes deux reconnues comme des émergences de l’inconscient. L’idéogramme possède comme manifeste, les éléments de la réalité extérieure mais s’origine comme latent dans les formations de la réalité psychique.

La symbolisation primaire est «  le passage de la trace mnésique perceptive de la chose ou de l’expérience à la représentation de chose ou à la représentation-chose et donc le fruit d’un travail de symbolisation dont le facteur quantitatif n’est que l’un des aspect » ainsi que l’évoque R. Roussillon lorsqu’il décrit le travail de la symbolisation primaire. Pour Freud les définitions de la symbolisation étaient celles présentées dans « l’étude de l’aphasie de 1891 » réduisant la symbolisation à l’organisation d’une liaison s’effectuant entre représentation d’objet et représentation de mot. Plus tard, l’hypothèse de l’existence d’une trace perceptive différente de la trace inconsciente conduit à croire qu’il y a deux types de symbolisation : l’une primaire et l’autre secondaire. Pour nous, elle marque le passage de la représentation-chose qui est composée d’image, de perceptif, de mouvement, à la représentation de chose qui est une trace mnésique de la « chose », du sensoriel.

Le travail du rêve est un processus de symbolisation primaire selon R. Roussillon mais « …un processus particulier lié aux singularités de l’espace onirique et en particulier au narcissisme absolu qui le caractérise. » ; ceci parce qu’il n’y a pas de concept plus clair soutenant le travail de symbolisation primaire. Bien évidemment, l’espace onirique comme l’espace hallucinatoire s’étaye sur les images visuelles internes ou externes dans l’incorporation. La sensorialité des textures visuelles constitue cette familiarité du contact, des images restituant les traces mnésiques des représentations de chose. C’est sans doute cette retrouvaille avec l’objet sensoriel primaire devenant étranger qui nous permet de ré ouvrir la question de l’altérité.

La question de l’étranger dans la langue, de l’étrangeté dans la langue met en évidence l’aspect de l’étrangeté de l’idéogramme. Ainsi la traduction de « Unheimlich » évoque la position de l’étranger qui n’est pas du dehors et celle du familier qui n’est pas en dedans. Nous retrouvons cette familiarité chez les patients psychotiques dans leur façon de travailler l’idéogramme mais aussi chez les soignants qui l’utilisent comme une langue étrangère. Les patients travaillent l’idéogramme en le déployant, le transformant, le détruisant, comme s’ils possédaient cette langue ; alors que les écritures des personnes « secondarisées » (les soignants) sont « fermées », c'est-à-dire que l’idéogramme devient un mot, une lettre, possédant une valeur de signifiant linguistique. Dans ce cas les mots sont remplaçables par les synonymes linguistiques.

L’analyse des données du test de Ti met en évidence l’absence des représentations de mots dans les deux groupes, chez les patients comme chez les participants névrosés. Ce qui fait associer sur les limites corporelles maternelles, la « peau », l’enveloppe maternelle formelle constituant une sorte de barre, des limites corporelles et psychiques séparant le primaire du secondaire. De cette hypothèse émerge notre représentation de la barre maternelle qui retient tout élément de passage et de dépassement de la barre linguistique, la barre saussurienne. Les signifiants sont séparés des signifiés par cette barre dans l’écriture alphabétique, mais la barre maternelle est une barre de la symbolisation primaire. La barre saussurienne est la barre de la symbolisation secondaire.

Le temps de symbolisation que nous proposons d’illustrer grâce aux différentes formes d’écriture idéographique montre la confusion d’images dans l’écriture archaïque, comme pour le caractère « docile » dans lequel se construit la représentation de l’homme accroupi avec les mains tenant ses cheveux. Comme le caractère « étranger » dans lequel l’homme accroupi garde confusément les mains arrachant les cheveux ; le caractère « marmite » dans lequel se trouve l’oiseau qui est mis sur le feu. Ce sont des ensembles d’images présentés pour faire converger un sens ; dans l’écriture moyenne la séparation, la différenciation des éléments classés effectue, un travail que nous pouvons attribuer au temps de séparation des représentants-affect et des représentant-représentation.

Cette expérience de recherche est pour nous un temps et un espace « trouvé/créé » à partir de l’idéogramme. C’est à partir des exigences des symbolisations primaires des rencontres avec des patients psychotiques que s’ouvrent l’un après l’autre, et un par rapport à l’autre, les axes de compréhension théorico-cliniques. Cet outil de recherche qui est à l’origine un objet culturel devient au fur et à mesure un outil clinique dans la rencontre avec l’étranger.

L’hypothèse principale qui propose l’idéogramme comme un modèle d’analogie pour penser la construction du psychisme humain reste toujours ouverte. La complexité des lois d’organisation est une des raisons de cet inachèvement. Seulement une partie de l’idéogramme est déployée, ce qui permet d’inscrire la temporalité dans notre pensée. Cependant cette hypothèse nous a permis d’ouvrir ce champ de recherche sur les inscriptions, les traces et le devenir des empreintes psychiques en lien avec les représentants psychiques de la pulsion Nous pouvons modestement accorder à cette hypothèse sa place d’étayage théorique et clinique dans la construction de notre modèle de représentation quant aux processus primaires et secondaires.

La deuxième hypothèse qui est une simple proposition de travail concernant la question de l’entre deux, d’image visuelle, d’image de la représentation dans les processus d’inscription, nous a permis de proposer la fonction d’étayage narcissique maternelle au visuel, à l’image dans la construction de la représentation de mot. Le rêve aurait donc par délégation, cette fonction d’étayage maternel dans la reconnaissance de l’érection phallique, c'est-à-dire dans l’appropriation des mots. Comme si l’interprétation du rêve permettait de redonner une place au visuel de la représentation de chose, une reconnaissance de ce renoncement originaire pour laisser la jouissance du corps au profit du mot, reconnaissance comme inscription de cet objet manquant qui était en notre possession. Cette hypothèse permet d’ouvrir un espace entre-deux dans la négociation d’un compromis, de l’accomplissement du désir. Cet espace entre deux crée l’espace du rêve mais aussi l’espace des signifiants, plus coûteux au prix d’une souffrance.

La troisième hypothèse, celle du test de Ti a été une hypothèse d’ouverture, d’expérimentation, de création d’un outil thérapeutique à partir des émergences psychiques du sujet. La mise au travail de cette hypothèse s’inscrit à l’intérieur des processus de transformations, de mise en condition de la symbolisation primaire. Cette partie expérimentale se construit autour de la projection qui permet de construire l’objet de rencontre, un test projectif autour des principes des signifiants formels. Le test de Ti s’inscrit comme un cadre pour penser les processus de symbolisation primaire.

Nous proposons la « barre » maternelle ainsi que les patients psychotiques l’investissent comme limite, barrière de contact avec le principe de réalité. Pour ces patients, la projection se propose comme moyen, comme résistance contre la symbolisation primaire. La relation d’emprise permet de lutter contre l’anéantissement du moi, de maintenir la survie psychique au prix d’une confusion à vivre un corps pour deux, une psyché pour deux. Le test de Ti s’inscrit comme un processus de psychisation dans la symbolisation primaire à accéder aux chaînes des représentations.

Plus possible pour nous de considérer l’écriture chinoise comme un objet de séduction. Nous renonçons à le positionner comme un objet fétiche pour lequel la jouissance est due la plupart du temps à la fascination de ses facettes ésotériques. Cela nous a permis de découvrir le fondement de l’écriture archaïque et de pouvoir remettre en chantier nos connaissances en ce domaine. « Comment penser la formation de la représentance dans la culture chinoise ? », « Est-ce que les mots existent sans les choses dans l’écriture ? »

Ces questions qui ouvrent sont aussi des questions qui ferment puisque certaines n’attendent pas les réponses et restent énigmatiques et nous enferment dans nos défenses puisque par ces questions nous sommes confrontée à un malentendu quant à notre intérêt porté sur l’idéogramme. Il ne s’agissait pas d’une vérification et d’une confirmation d’hypothèse de la richesse de l’idéogramme, mais d’une investigation d’un modèle analogique pour penser les organisateurs de la psyché, pour développer notre attention dans l’écoute des signifiants, ces représentants psychiques de la pulsion comme une sorte de dactylogrammes à guider notre recherche de compréhension de l’énigme de l’inconscient.

Le langage de la mère et la parole du père vibrent des affects qui sont liés aux processus primaires, aux traces mnésiques des représentations-chose, des représentations de choses ; ce sont des scènes du dedans dans la relation mère-enfant. Les paroles du père marquent le renoncement aux traces de la chose dont l’essentiel a été transformé et déplacé en un statut autre que la représentation de chose ; la parole du père introduit la tiercéïté en quête d’échange. L’idéogramme croise ces deux lignes de transmission dans la formation de l’être appartenant à un groupe, à une culture. L’idéogramme, dans la transmission non verbale pour laquelle la représentation de mot inclut les traces de la représentation de chose, absente le visuel qui n’est pas la chose mais le son de la chose ; il participe à la construction du sens à partir du décodage du langage maternel dont le code appartient à l’inconscient visuel.

L’idéogramme théorise les modèles de représentation de notre appareil psychique à partir des modèles théoriques des fonctionnements primaires et secondaires ; à partir de la théorie de l’inconscient, à partir de la théorie des pulsions, et enfin à partir de la clinique de la psychose rencontrée dans notre pratique. Notre travail est d’une part une thèse d’ouverture des questionnements théoriques sur le primitif, sur l’originaire, prenant appui sur une base infantile où le désir de « voir » et de « savoir » se fonde sur une recherche de compréhension de l’énigmatique dans l’idéogramme à partir de la lecture de surface ; contexte infantile, de liaisons et de déliaisons, à travers les lettres des parents-enfant qui pourraient rester formelles. Le langage de la mère était si simple et familier et la parole du père où nous retrouvions une solidité et un confort dans une identité d’appartenance d’enfant du père, une identité culturelle dont la reconnaissance était précieuse dans la construction de notre Moi.

L’écriture de la thèse s’appuie sur le renoncement d’une certitude du savoir, elle s’étaie sur des doutes, sur des promesses d’ouverture, de surprise. Cette écriture est une expérience des liaisons et déliaisons de nos affects, conscients dans l’actuel, inconscients et primitifs comme éléments de transfert dans le cadre de la thèse. La thèse a pris la place d’une recherche originelle de notre position d’interprète, à devoir traduire les langues, mais vouloir trouver les correspondances des valeurs dans la rencontre de deux inconscients. Cette place d’interprète était déjà une place de tiers, mais un tiers du dedans puisqu’il s’agissait de saisir l’essence de la langue du sujet inconscient.

Le travail d’écriture rejoint celui de la traduction, pour traduire le bruit des images, perçus comme informes et étrangers dans l’infans. L’appel à traduire aujourd’hui le silence de l’écriture, à le déplier avant de le replier, s’inscrit dans un processus de transformation, à pouvoir ré-ouvrir notre espace de théorisation de représentance, dans les enjeux psychiques de nos mouvements liés et déliés dans nos systèmes de pensée.

Nous ressentons notre dépressivité à ce moment de partage, d’intérêts et d’investissements dans ces objets théoriques et cliniques. Notre difficulté dans nos efforts mobilisés par le devoir d’écriture cherche appui sur la possibilité d’un compromis d’ouverture théorique, celui d’un partage possible avec d’autres chercheurs et collègues dans un commun intérêt à la recherche de modèle théorique pour comprendre la complexité d’organisation de la psyché. L’écriture idéographique chinoise prendra désormais une autre place, une place d’outil de pensée en échange de sa place séductrice. Elle pourra être, pour nous en tout cas, un processus de transformation métapsychologique et un processus de mentalisation concernant le sujet de la clinique.

La question de l’individu entre la perception et la symbolisation a cheminé de l’écriture idéographique à l’écriture alphabétique, de l’intrapsychique à l’intersubjectivité, de l’individu au groupe et dans la logique du devenir du groupe, elle aborde la culture. Elle nous permet d’aborder les textures visuelles sous un autre aspect, celles de l’inconscient visuel qui accompagne le langage verbal. Avant la fin de cette écriture, nous citons un proverbe chinois dont l’origine venait sans doute de Confucius : « L’être humain cherche l’ascension, l’eau de la source regarde la descente ». Ce proverbe nous étaye et nous autorise à penser que le narcissisme est légitime comme cadre contenant de la vie pulsionnelle, comme une sorte de surmoi dans l’investissement de l’animé du sujet du groupe. Il nous permet de penser que la sublimation a une fonction, la fonction de « comme si » pour pouvoir nous séparer du primaire. Il existe deux sources de tensions opposées comme le croisement de la montée de l’homme et la descente de l’eau, comme les mots primitifs 28 qui autorisent les deux extrémités de la pensée.

Ce matériel maternel quittera le statut de l’emprise pour s’investir dans la fonction de surmoi, de castration pour prévenir le débordement du sexuel. Entre les lettres du mot, on peut « voir » ce qui n’est pas à entendre, les transformations signent et orientent soit le renoncement, soit la jouissance. Les affects originaires, unificateurs du moi et organisateurs de l’animé du vivant, entretiennent le va-et-vient entre la psyché et le corps, entre la théorie de la libido d’objet et celle de la libido du moi. Ces représentants psychiques des pulsions sont en quête de sens, par les « mots » entendus comme une reconnaissance de l’histoire affective du sujet, en essayant de frayer un passage du bruit de l’image, du silence de l’écriture vers le son de l’entendu.

Notes
27.

L’idéogramme réunit la forme et le son d’origine de la chose.

28.

Freud et les mots primitifs