1°) Les différentes dimensions de la « révolution du travail » :

Nous ne voulons pas déflorer l’analyse des faits que nous ferons ultérieurement des mutations touchant la relation d'emploi, analyse menée alors à l’aide du modèle théorique dont nous serons dotés. Toutefois, on peut dès à présent constater que des transformations profondes ont affecté l’activité de travail depuis quelques décennies, transformations qui sont, généralement, mises en rapport avec un changement de système économique et social. Plutôt que de « révolution du travail », peut-être faudrait-il mieux parler de « crise » du travail, puisque ces transformations sont présentées plutôt comme une remise en cause douloureuse d’un ensemble de traits typiques, ce qui nous renvoie à une sorte d’âge d’or antérieur. Elles apparaissent, en même temps, par certains côtés comme des adaptations incontournables qui permettront de faire émerger un futur meilleur, qui attendra d’autant plus qu’on les élude ou qu’on les retarde. En bref, les effets des changements actuels sont l’objet d’interprétations contradictoires, ce dont témoignent les débats sur les réformes à mener selon qu’on veut les contrer ou les encourager. Cette ambivalence est tout à fait frappante et se retrouve dans les différentes dimensions de cette « crise du travail », dimensions qui proviennent de la polysémie du mot travail :

_ En premier lieu, c’est le travail en tant qu’« acte humain en vue de produire » qui est soumis à de nouvelles formes d’organisation. L’expression de « crise du taylorisme » est utilisée de façon commode pour résumer ce niveau de mutations. Ce mode d’organisation du travail, issu d’un ensemble de principes apparus il y a plus d’un siècle, incarne aujourd'hui l’archaïsme auquel on oppose de nouvelles formes d’organisation du travail - le toyotisme, le management participatif, les groupes de projet, etc. -, qui semblent en prendre le contre-pied. Toutefois, cette « crise du taylorisme » n’est pas avérée et est même contredite par la diffusion d’un « néo-taylorisme » qui s’insinue dans des secteurs non industriels, tels les plates-formes d’appel, la restauration rapide, etc... Le débat est vif entre ceux qui voient apparaître un nouveau modèle productif plus humain et plus respectueux du désir des individus de s’épanouir dans le travail et ceux qui pensent plutôt que l’exploitation capitaliste se poursuit sous ces formes nouvelles, voire même qu’elle s’accroît encore aujourd'hui.

_ En second lieu, c’est au sens d’« emploi » que le travail est aussi en crise. L’emploi « désigne le droit à la poursuite d’un contrat successif » [ 1996, p. 571 ] et s’est construit historiquement en France au 20ème siècle, comme l’a démontré F. GAUDU. Ce terme comprend donc les conditions dans lesquelles l’engagement est conclu entre un employé et son employeur, en particulier la durée de cet engagement, le temps de travail exigé, les rémunérations qu’il en obtient, etc. Le chômage est évidemment, la première remise en cause de l’emploi dans notre société, d’autant plus que cette absence d’emploi est durable pour une partie importante des chômeurs. C’est aussi l’« emploi typique » - tel qu’il s’est constitué avec le travail salarié à temps plein sous la forme juridique du CDI -, qui vole en éclats aujourd'hui avec le phénomène de la précarisation de l’emploi, le développement du temps partiel, la multiplication des « nouveaux indépendants »... Là encore, les interprétations diffèrent entre ceux qui voient dans cet effacement de la norme d’emploi une régression sociale qu’entraîne la perte de garanties procurée par l’emploi et ceux qui voient, au contraire, la possibilité de choix libre de l’emploi que l’on fait de son temps professionnel. Ce débat se déploie particulièrement sur le terrain du Droit du travail que ce soit à propos du régime légal du temps de travail ou du droit du licenciement ou encore, de la réglementation du travail intérimaire.

_ En troisième lieu, enfin, une crise plus fondamentale semble atteindre la « valeur-travail » au sein de nos sociétés. C’est ce que D. MEDA [ 1995 ] a exploré en montrant qu’avec les problèmes de l’exclusion de l’emploi et la dégradation des conditions de cet emploi, conjugués au désir, en particulier chez les femmes actives, de préserver un temps hors-travail, désir qui rencontre aussi le mouvement continu de diminution du temps de travail, on doit trouver ailleurs que dans le travail professionnel le moyen de s’accomplir personnellement. On serait ainsi à l’orée d’une nouvelle période de l’histoire des sociétés dans laquelle d’autres activités que celle de produire - le terme d’activité, se substituant à celui de travail, désignant le bénévolat, le travail domestique, l’activité militante ou civique, la formation voire les pratiques culturelles... -, pourraient être valorisées. Cette approche s’est mêlée à celle de J. RIFKINS [ 1996 ] sur la raréfaction du travail humain du fait des progrès de la productivité. Le débat s’est noué autour de la fausseté de ces prophéties qui font peu cas de la place centrale du travail dans la société, créant le lien social, forgeant l’identité individuelle et procurant des revenus et des garanties sociales.

Ce qui ressort de cette présentation succincte, c’est avant tout l’ambivalence des regards portés sur les mutations du travail. Ces différences d’appréciation se retrouvent également dans le regard porté sur les facteurs déterminants de ces bouleversements.