1°) La révolution scientifique interrogée sur sa capacité à intégrer les concepts sociologiques d’autorité et de pouvoir :

Cette révolution scientifique, avons-nous vu, a abouti à déplacer le centre d’intérêt des économistes des relations d’échange marchand à des relations guidées par des contrats, ce qui fournit un cadre général au sein duquel une théorie de la relation d'emploi peut être élaborée. Cette économie des contrats a donc théorisé le rapport entre un employeur et un employé qui est marqué par la présence d’un commandement du second par le premier. C’est la caractérisation de ce commandement qui nous importe ici. Comment les modalités de ce commandement et les hypothèses sous-jacentes à ces modalités peuvent-elles être caractérisées par rapport aux concepts d’autorité et de pouvoir ? Autrement dit, les différentes branches de l’économie des contrats introduisent-elles une asymétrie dans la relation d'emploi ? cette asymétrie est-elle liée à des ressources sur lesquelles prennent appui des pouvoirs ? ces pouvoirs sont-ils légitimés et déterminés par des statuts au sein de l’organisation productive ? En bref, nous nous demanderons si les théories rangées sous l’étiquette de l’économie des contrats sont réellement des théories de l’autorité, au sens déjà établi ci-dessus et que nous enrichirons au fur et à mesure de notre travail.

Cette confrontation sera réalisée dans le chapitre 1 au cours duquel nous montrerons les insuffisances, à des degrés variables, des différentes branches de l’économie des contrats pour formaliser un commandement qui corresponde à la notion d’autorité, et pas seulement à celle de pouvoirs. Des travaux à la limite de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie, tels ceux d’H. LEIBENSTEIN, de D. KREPS..., seront mobilisés pour pointer précisément les endroits où l’économie des contrats bute sur les limites de ses hypothèses. Au terme de cette confrontation, nous aurons ainsi délimité plus formellement le cadre hypothétique requis pour appréhender toutes les dimensions de la relation d’autorité.

Le chapitre 2 nous amènera à promouvoir le concept de convention pour une approche pertinente de ce type de relation. Nous verrons effectivement que l’EC repose sur un ensemble de prémisses parfaitement congruentes avec les hypothèses dégagées dans le chapitre précédent. Le premier niveau du modèle conventionnaliste de l’autorité dans la relation d'emploi sera ainsi construit à partir de l’existence de « conventions régulatives » qui répondent aux attentes croisées entre l’employeur et l’employé sur la configuration du commandement, c'est-à-dire sur le fait de savoir en quoi il consiste, jusqu’où il s’étend et quelles sont les parties prenantes de la relation. Ce chapitre se clôturera par l’expression d’une insatisfaction, celle de l’affadissement de la « dimension politique » ‑ qui s’exprime en termes d’asymétries de statut entre l’employeur et l’employé -, de l’autorité dans le cadre de ces conventions régulatives.

Le chapitre 3 tentera de donner de l’épaisseur à cette dimension de l’autorité en introduisant un autre type de convention, la « convention constitutive », rattachée aux concepts de J. SEARLE. Nous explorerons ce processus d’institution de l’autorité en recourant à la création d’un ordre hiérarchique légitime qu’un tel processus implique. C’est en reprenant les axiomes des « cités » de L. BOLTANSKI et L. THEVENOT que nous déterminerons les conditions d’un glissement de rapports de pouvoir à une relation d’autorité. L’obéissance d’un subordonné à un supérieur hiérarchique sera mise en rapport avec la reconnaissance du fait que le second est un « augmenta-teur » ( H. ARENDT ) du bien commun et qu’un certain régime de responsabilité s’établit entre les niveaux hiérarchiques. Nous terminerons en voyant comment l’autorité « contient » les pouvoirs, se dont rend correctement compte le modèle conventionnaliste formé en combinant conventions régulatives et convention constitutive d’autorité.