Chapitre 1 :Les théories des contrats face a l’autorite dans la relation d'emploi : examen critique des hypothèses de recherche

Introduction : Quelles distinctions, a priori, peut-on opérer au sein des théories des contrats, à partir de leur approche de la relation d'emploi ? :

Le nouveau paradigme dominant en économie se caractérise, nous l’avons dit, par la substitution de la notion de contrat à celle de marché comme objet central d’analyse. Au delà de ce socle commun, on peut néanmoins trouver des lignes de césure entre les courants qui constituent cette économie des contrats, aux niveaux de leurs hypothèses, de leurs principaux centres d’intérêt, de leurs positions méthodologiques ou encore de leurs conclusions. Une ligne de partage importante, et qui nous intéresse plus particulièrement, porte sur la manière dont la relation d’emploi est envisagée au point de vue de l’existence ou non d’une dimension d’autorité. Nous séparerons ainsi dans la suite de ce chapitre les différents courants de l’économie des contrats en deux ensembles, suivant en cela l’analyse de C. BESSY et F. EYMARD-DUVERNAY [ 1995 ]. D’un côté, nous placerons la théorie de l’agence ( TA ) et celle des droits de propriété ( TDP ) 21 dans un groupe nommé les “ théories contractualistes ” 22 . De l’autre côté, nous retrouverons l’économie des coûts de transaction ( ECT ) ainsi que les travaux des théoriciens des organisations qui l’ont inspirée 23 dans un autre groupe nommé cette fois-ci les “ théories de la hiérarchie ”.

La justification de ce partage repose sur le fait que la subordination de l’employé à l’employeur n’existe pas pour les théories contractualistes alors qu’elle caractérise justement la relation d’emploi pour les théories de la hiérarchie. Ainsi, pour les premières, on peut faire référence à l’article d’A. ALCHIAN et H. DEMSETZ de 1972 dans lequel ils affirment très clairement ; « [ La firme ] n’a pas de pouvoir de commandement ( fiat ), pas d’autorité, pas d’action disciplinaire, différents du plus petit degré qui soit d’un contrat ordinaire de marché entre n’importe quelles deux personnes » [ p. 777 ]. En qualifiant ces théories de contractualistes, on insiste sur l’idée qu’elles conçoivent les relations entre agents sur la base de contrats bilatéraux décidés librement selon les objectifs de chacune des parties, autrement dits de “ purs contrats ”. Toute présence d’autorité, c'est-à-dire de rapports hiérarchiques inégaux durablement établis, institutionnalisés, est bannie. La seule concession à cette conception très proche de celle de la théorie standard, mis à part l’intérêt porté à un niveau infra-économique des marchés et des firmes, est la prise en compte d’asymétries au moment de la conclusion et du déroulement du contrat qui laisse entrevoir des rapports déséquilibrés entre les parties contractantes, par exemple l’employeur et l’employé. Nulle place n’est laissée à l’autorité dans la relation d’emploi au sein des théories contractualistes même si, nous le verrons, certaines admettent la présence du pouvoir.

Au contraire, les théories de la hiérarchie se positionnent comme des théories qui caractérisent la firme comme une « hiérarchie » au sein de laquelle existent des relations d’autorité. C’est le sens des propos de R. COASE, précurseur de l’ECT, qui dans son article fondateur de 1937 écrivait ; « Si un travailleur se déplace du service Y vers le service X, ce n’est pas à cause d’un changement de prix relatif, mais parce qu’on lui ordonne de le faire » [ 1987, p. 136 ]. Il y a donc une nette opposition avec les théories contractualistes, ce qui justifie que nous les séparions et ce qui va nous permettre de préciser dans leurs hypothèses ce qui génère cette différence de conception.

C’est en partant de la définition que nous nous sommes donnés de l’autorité que nous allons évaluer ces différents courants d’analyse. Le reproche pourrait nous être adressé de critiquer certains travaux parce qu’ils n’arrivent pas au point de vue que nous avons adopté a priori, c'est-à-dire que la relation d’emploi est caractérisée par la subordination de l’employé à la hiérarchie. Nous ne remettons pas en cause la cohérence logique, interne, de ces courants d’analyse, mais nous posons au départ qu’ils sont marqués par une incohérence externe plus ou moins forte. Nous verrons toutefois que l’approche de la relation d’emploi par l’ECT est plus heuristique même s’il subsiste des ambiguïtés dans leur prise en compte de l’autorité et que l’orientation donnée par O. WILLIAMSON à ses travaux rend le clivage moins apparent. Aussi, notre logique est-elle de repérer les prémisses dont découlent leurs approches de la relation d’emploi et la place faite à l’autorité, dont nous décidons qu’elles sont inadaptées ou en tous cas imparfaites par rapport à la conception que nous avons posée initialement de l’autorité. Pour ce faire, nous mobiliserons à chaque fois un texte phare qui éclaire un point précis de controverse. Issus d’auteurs que l’on peut plus ou moins rapprocher du “ main stream ” 24 , ces textes témoignent de la prise de conscience en leur temps d’une inadaptation théorique et de tentatives pour mieux rendre compte de la réalité. Ils nous ont semblé importants car marquant les prémices de la construction d’un cadre hypothétique plus apte à intégrer en son sein le phénomène de l’autorité. Cette démarche permettra finalement de justifier notre choix d’hypothèses de recherche en prolongeant, dans une orientation conventionnaliste, les perspectives ouvertes par ces travaux fondateurs et en nous opposant aux positions théoriques de l’économie des contrats. Nous pourrons ainsi établir un cadre axiomatique adéquat pour explorer l’autorité selon le sens que l’on a donné à ce concept.

La première section se penchera sur les hypothèses comportementales en remettant en cause la rationalité et l’intentionnalité dont les théories de l’économie des contrats dotent les individus impliqués dans la relation d’emploi. Nous verrons que le choix de reconnaître aux individus une rationalité illimitée et de les animer de préférences autonomes aboutit nécessairement à dissoudre la dimension d’autorité de la relation d'emploi. Les travaux de H. SIMON [ 1951 ] et G. AKERLOF serviront de base à l’exploration de nouveaux attributs comportementaux plus adaptés.

La seconde section abordera un point de vue externe en se penchant sur les résultats de la coordination envisagée dans la relation d'emploi, en lien avec les hypothèses vues précédemment. Nous verrons alors que les théories de l’économie des contrats vont dans le sens d’un réductionnisme de sa dimension collective et de sa diversité empirique en la ramenant à une relation bilatérale et en en faisant l’objet de processus de rationalisation, a priori ou a posteriori. Nous nous tournerons cette fois-ci vers les avancées qu’ont constituées les travaux d’H. LEIBENSTEIN et ceux de D. KREPS pour construire une approche plus cohérente avec les observations empiriques de l’exercice de l’autorité dans la relation d'emploi.

Notes
21.

Renommé par E. BROUSSEAU et J-M GLACHANT [ 2000 ] « théorie des contrats incomplets ». Mais, cette dénomination ne nous semble pas très appropriée du fait que l’incomplétude qui est ainsi mise en avant ne l’est qu’au sens faible. La dénomination habituelle de ces travaux, TDP, nous semble beaucoup plus représentative de la particularité de cette approche.

22.

On retrouve ce qualificatif de “ contractualiste ” chez P-Y GOMEZ [ 1996 ] mais dans un sens plus large puisqu’il inclut l’ensemble des théories des contrats.

23.

Il s’agit de ceux auxquels O. WILLIAMSON fait référence, tels C. BARNARD, H. SIMON, A. CHANDLER... B. BAUDRY [ 1999 ] a recensé ces références

24.

A des degrés divers effectivement entre D. KREPS et H. SIMON. Mais dans l’article de 1951 que nous utiliserons dans ce chapitre, H. SIMON procède selon une formalisation proche de la TS.