Chapitre 4 : La formation du paradigme de l’autorite hierarchique moderne dans la relation d’emploi

Introduction : Quel a été le sens du projet révolutionnaire en matière de relations du travail ? :

A. CHANDLER nous prévient ; « la plupart des histoires doivent commencer avant le commencement » [ 1988, p. 15 ]. Ce qui est vrai pour la présentation réalisée par cet auteur de l’émergence de l’« entreprise moderne », l’est tout autant pour notre tentative de retracer le cheminement historique qui a conduit à la catégorie moderne de salarié, caractérisée par l’existence d’un lien de subordination. Le moment fort de cette histoire, autrement dit « le commencement », se situe à la naissance du contrat de travail en 1901, par laquelle ce lien a été institué en droit. C’est en fait tout un ensemble de traits caractéristiques du statut moderne de salarié, et par contrecoup également du statut de travailleur indépendant, qui sont apparus sur une période de quelques décennies qui courent entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle. Mais, si l’on veut suivre la recommandation d’A. CHANDLER, jusqu'où doit-on remonter ? La période révolutionnaire de la fin du 18ème siècle s’impose naturellement comme véritable point de départ. La rupture vis-à-vis de la période d’Ancien Régime est évidente, particulièrement en ce qui concerne les relations de travail dont la centralité dans l’ordre social explique qu’elles ont été l’objet de transformations majeures. Le projet révolutionnaire, libéral et démocratique, a été porteur de valeurs politiques et de représentations normatives qui se sont traduites par un ensemble de textes législatifs et réglementaires, par des pratiques judiciaires et par des usages qui tranchent avec la période antérieure, même si, on aura l’occasion de le voir, certains traits des relations de travail d’Ancien Régime persistent. Mais, à quels niveaux la Révolution Française a-t-elle bouleversé le cadre antérieur dans lequel le travail s’exerçait ?

Le bouleversement principal apporté par les événements révolutionnaires réside dans l’abolition de la subordination réglementaire dans le travail et un mouvement d’« émancipation » des travailleurs. Ce basculement vers un régime de travail libre s’inscrit dans un cadre politique général de promotion de valeurs démocratiques dont quelques uns des moments forts ont été la “ nuit du 4 Août 1789 ” qui, en supprimant les privilèges féodaux, a aboli la société d’ordres et la déclaration des Droits de l’homme par laquelle les valeurs fondamentales de la démocratie - en particulier l’égalité de droit et la liberté - ont été inscrites dans les institutions de la République. En matière de relations de travail, deux textes phares sont associés à la rupture avec l’Ancien Régime ; d’une part, le décret d’Allarde du 16 Février 1791 affirmant « qu’il sera libre à toute personne de faire tel négoce, d’exercer telle profession, art ou métier que bon lui semble » et d’autre part, la loi du 2 mars 1791 - dite loi Le Chapelier - réalisant l’“ anéantissement ” des corporations et interdisant dans le futur toute « coalition » d’ouvriers ou de patrons 238 . Ces actes législatifs et réglementaires ont voulu mettre fin à un régime de « travail réglé ou forcé » qui englobait la quasi globalité des situations des travailleurs. C’est ce qu’évoque R. CASTEL [ 1995 ] avançant qu’« avant la révolution industrielle, travail réglé et travail forcé représentent les deux modalités principales de l’organisation du travail » [ p. 129 ]. Le « travail réglé », c’est d’abord celui qui prend place au sein de l’« idiome corporatif », selon l’expression de W. SEWELL, c'est-à-dire qui rentre dans le champ d’un ensemble d’obligations qui régissent la communauté de métiers. Un certain nombre de règles régissent la concurrence et l’organisation de la production tout d’abord ; limitation de l’accès au métier, contrôle de la matière première, des prix des produits, de leur qualité... D’autres portent directement sur les relations de travail ; des conditions régulent l’accès aux statuts concernant l’apprentissage - sa durée, son coût, les rites d’initiation -, ou l’accès à la maîtrise des compagnons. La corporation édicte également des « normes de soumission au travail » qu’A. COTTEREAU rappelle ; « soumission aux conditions d’embauche, indiscutabilité des ordres d’exécution des tâches comme de l’évaluation des ouvrages » [ 2002, p. 1537 ]. Le contrôle de la mobilité de l’ouvrier est essentiel dans l’ensemble de cette réglementation avec l’obligation d’obtenir un billet de congé ( 1749 ), l’existence d’un livret de congé ( 1781 ), les délais de prévenance, l’interdiction que plusieurs ouvriers partent en même temps... Les membres des corporations forment ainsi un ordre hiérarchique très formalisé au sein duquel chacun a une place bien définie - apprentis, valets ou demi-valets, compagnons, maîtres - avec des droits et des devoirs qui renvoient à la logique de la Cité domestique. C’est visible à travers le fondement de la hiérarchie dans le principe de l’ancienneté dans le métier, et donc de l’âge, témoignant « d’une idéologie de respect des anciens et d’une protection pour les jeunes » selon R. CORNU [ 1986, p. 336 ]. Ce monde des métiers avait une incontestable dimension communautaire associée aux valeurs de la tradition et de l’attachement personnel. Pour A. DESROSIERES et L. THEVENOT, « fondée sur une transmission familiale des savoir et des patrimoines, la distinction entre maître et compagnon épousera longtemps le modèle père/fils » [ 1988, p. 11 ]. Certains travaux historiques tendent toutefois à relativiser l’importance des corporations dans le monde du travail du 18ème siècle, en particulier du fait du développement de la proto-industrie rurale. Il ne faut pas pour autant négliger la place qu’occupe cet « idiome corporatif » dans l’ordre social et les représentations communes de l’époque. D’une part, il promeut une forme de travail qui est la plus légitime socialement en apportant une dignité refusée aux autres formes de travail, en particulier celles des journaliers, manoeuvres, gens de peine... 239 D’autre part, à côté des métiers jurés concernés par une réglementation royale, existaient les métiers réglés par les réglementations corporatistes ou municipales ou encore des métiers libres, néanmoins soumis à des réglementations de police. Autrement dit, « on constate qu’il n’y a nulle part de véritable liberté. Il existe seulement des formes diverses de réglementations » comme l’écrit R. CASTEL [ ibid, p. 117 ].

Le « travail forcé » est l’autre modalité des formes de travail asservi qui caractérisent la société jusqu’à la Révolution Française. La Grande-Bretagne est le pays pour lequel - suite aux analyses de K. MARX et K. POLANYI en particulier - la politique de mise au travail des vagabonds, des pauvres et des indigents et l’obligation de se fixer dans une commune sont les mieux connues. Un tel régime débouche sur l’assignation de ces pauvres dans un état d’infériorité vis-à-vis des autres sujets qui leur ouvre par conséquent un droit à l’assistance, toutes choses que le Speenhamland Act de 1794, tel que l’a analysé K. POLANYI, symbolise bien. En France, ces lois ont existé aussi, surtout après que Colbert en ait fait un objectif important de sa politique, même si elles n’ont pas atteint un degré équivalent de systématisme. R. CASTEL rappelle ainsi l’existence des « Ateliers de charité et dépôts de mendicité [ qui ] représentent deux variantes, une relativement douce et une dure, du commun paradigme de l’obligation de travailler » [ ibid, p. 140 ]. Le travail forcé ne concerne pas que ces travailleurs sans terre et sans métier. La paysannerie reste enserrée dans un système de tutelle vis-à-vis de la seigneurie dont elle dépend qui organise un ensemble d’obligations et de protections sur le mode du régime féodal apparu au moyen âge. La pratique de la corvée, bien qu’en désuétude, ainsi que des servitudes diverses marquent cette appartenance à une société rurale très hiérarchisée dans laquelle « pour un paysan, le seigneur est à la fois un maître, un percepteur et un juge » ( P. LEON [ 1970, p. 122 ] ). La tutelle est aussi la marque de la domesticité dont nous verrons qu’elle a constitué l’archétype de l’asservissement qui focalisait les critiques du 18ème siècle. Cette relation de « maître à serviteur » symbolise une subordination dans la relation de travail fondée sur une représentation hiérarchisée de la société et objectivée par des statuts qui assignent des droits et des devoirs profondément déséquilibrés.

Pour résumer, l’Ancien Régime était marqué par des formes de travail reposant sur des rapports de subordination renvoyant à une hiérarchie fondée, soit sur la société d’ordres d’Ancien Régime, soit sur l’ordre des corporations. On parlera d’autorité hiérarchique traditionnelle pour désigner les modes d’exercice du travail dans lesquels les maîtres commandaient aux compagnons, ceux-ci aux apprentis, les nobles à leurs gens de service, les seigneurs aux paysans de leurs terres... Ce bref rappel historique peut aider à ne pas perdre de vue l’objectif de transformation radicale des relations de travail dont était porteur le projet révolutionnaire. A. COTTEREAU nous engage d’ailleurs à mieux apprécier « l’innovation politique de l’émancipation ou de l’affranchissement » en revenant sur « les décennies de critiques contre la subordination des domestiques, journaliers, gens de travail avant 1789 » [2002, p. 1533 ]. Cette « critique généralisée au cours du 18ème siècle s’en prenait aux prescriptions de soumission enjointe aux salariés, matelots, aussi bien qu’ouvriers compagnons, apprentis, journaliers ». Loin de se limiter à des cercles philosophiques, elle était au cœur des conversations de l’homme de la rue ou des ouvriers dans les ateliers, ce qui tend à montrer que c’étaient bien les représentations conventionnelles de la relation de travail qui étaient en jeu. Les critiques étayaient leur dénonciation de « l’illégitimité de la subordination statutaire » sur des références à la critique de la domesticité comme état de sujétion “ domestique ”, personnelle, qui n’était pas justifiable 240 . A. COTTEREAU rappelle ainsi un épisode judiciaire marquant de 1784 qui symbolise cette évolution des états d’esprit et fait ressortir les arguments de la critique ; il concernait des matelots qui avaient refusé de rembarquer après une escale, arguant du fait que la destination du bateau sur lequel ils s’étaient engagés avait été changée en cours de route. Conformément à la législation de l’époque, ces matelots avaient été emprisonnés comme déserteurs et un procès leur avait été intenté pour acte d’insoumission. Cependant, le Tribunal avait tranché en leur faveur en justifiant leur décision par un argument, énoncé par Pothier 241 , un important juriste de cette période, qui avançait que « l’engagement des matelots au voyage est un véritable contrat de louage par lequel un matelot loue à un maître de navire ses services à un voyage » ( cité par A. COTTEREAU [ ibid, p. 1535 ] ). Selon cet argument, les matelots qui rompaient leur engagement étaient redevables d’éventuels dommages et intérêts, mais en aucun cas ne pouvaient être accusés d’avoir rompu, par leur désertion, une sujétion personnelle obligatoire vis-à-vis du capitaine du navire. La conception de la relation de travail qu’exprimait la formule de « véritable louage » préfigurait celle que le Code civil de 1804 instituerait vingt ans plus tard. La volonté d’effacer l’ordre corporatif provenait de la remise en cause d’un lien de sujétion considéré de plus en plus comme une injustice, heurtant les représentations conventionnelles d’individus libres d’offrir leur travail selon leur volonté propre. Comme l’écrit A. COTTEREAU ; « Ce fut là un affranchissement révolutionnaire majeur, vécu intensément comme une libération après des décennies de conflits et de critiques » [ ibid, p. 1536 ]. Cette évolution venait de loin comme en témoigne la tentative de Turgot, dès 1776, de supprimer le carcan corporatiste, bien avant la Révolution Française. Mais, cette tentative ayant avorté, de nouveaux textes légaux, au contraire, renforcèrent les réglementations corporatistes en les unifiant au niveau national en lieu et place de réglementations locales 242 . Il a donc fallu attendre les événements révolutionnaires pour que ce projet aille à son terme et que la subordination dans le cadre d’Ancien Régime de travail forcé et réglé soit supprimée en droit. Cela ne se fera pas sans peine puisque les anciennes autorités corporatives portèrent fréquemment devant les tribunaux des plaintes contre leurs ouvriers en réclamant que la subordination soit restaurée par de nouvelles réglementations. Mais, ces tentatives de recréer un lien de « maître à serviteur » les autorisant à poursuivre pénalement leurs ouvriers pour délit de désertion ou d’insoumission restèrent sans suite légale. De façon large, ce sont les rapports entre citoyens qui ont été affectés par l’affirmation des grands principes de la démocratie, ce qui concerne évidemment au premier chef les relations de travail. « Les lien, dorénavant, ne sont jamais des attaches directes » souligne A. COTTEREAU [ ibid, p. 1541 ] et nous verrons plus loin comment le contrat est devenu, selon cette logique, le médiateur des relations, en particulier entre l’employeur et l’employé.

C’est bien à l’aulne de ce projet libéral d’émancipation que l’on doit remettre en perspective la rupture apportée un siècle plus tard par la reconnaissance juridique de la subordination avec le contrat de travail dont nous avons déjà vu la spécificité dans l’édifice juridique français ( cf supra chapitre 3 ). Notre démarche s’inscrit dans une perspective toute Polanyienne, reprenant le déroulement général qu’il décrit de l’émergence de la conception du « travail-marchandise » entre la fin du 18ème siècle et le début du 19ème siècle à la « Grande Transformation », un siècle plus tard, qui a abouti à « réencastrer » la relation de travail dans des rapports sociaux non marchands. Mais, c’est en ayant en tête la question de l’autorité - et donc les fondements d’un ordre hiérarchique légitimé au sein duquel les relations sont régies par la subordination des inférieurs aux supérieurs, toutes choses que nous avons associées à la notion d’autorité - que nous aborderons ces évolutions historiques. Schématiquement, nous dirons que la Révolution Française a tout d’abord rompu avec l’Ancien Régime en instaurant un cadre contractuel dans les relations de travail synonyme d’émancipation de toute subordination, cadre contractuel qui a été ensuite remis en cause, un siècle plus tard, et auquel s’est substitué un cadre hiérarchique ramenant la reconnaissance de la subordination. 243 . Autrement dit, ce que la Révolution Française a défait, en gommant la dimension d’autorité ‑ au sens de ce terme que nous nous sommes donnés -, dans la relation de travail, le contrat de travail l’a restauré en ramenant l’autorité au premier plan 244 .

Nous nous pencherons donc dans une première section sur la logique contractuelle des relations de travail telle qu’elle est apparue à la suite de la Révolution Française. Quelles ont été les conséquences de cette logique et comment l’articuler avec les transformations quant aux modalités de la mobilisation du travail au cours du processus d’industrialisation du 19ème siècle ? Selon quels points de vue, quelles représentations conventionnelles, ce cadre contractuel des relations de travail a-t-il été critiqué ? Nous verrons ainsi que la hiérarchie d’Ancien Régime supprimée et l’autorité abolie, ce sont des rapports de pouvoir - au sens de confrontation de puissance, de forces - qui ont investi les relations de travail. Les conflits et les critiques en général du cadre contractuel libéral ne peuvent se comprendre alors qu’en faisant ressortir la référence à la nécessité d’un ordre hiérarchique qui les fonde. C’est un ordre hiérarchique interne à l’entreprise que l’on voit émerger dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Dans la seconde section, nous nous demanderons alors comment le retour de la subordination dans la relation de travail, avec l’institution du contrat de travail, a été argumenté, justifié ? En particulier, comment a-t-on réussi à concilier le respect des valeurs démocratiques avec l’existence de statuts hiérarchisés ? Cette section permettra de montrer que l’instauration d’un certain régime de responsabilité, dont F. EWALD [1986 ] a retracé le cheminement à propos de la question des accidents du travail, ainsi que l’institutionnalisation des hiérarchies de qualification, ont été les vecteurs principaux de cette conciliation, au niveau du Droit, des logiques, a priori incompatibles, de hiérarchie et de démocratie 245 . Nous verrons que c’est également au sein même des organisations, dans les dispositifs de gestion et dans leurs structures, que l’on retrouve une telle conciliation visant à dénouer la tension entre ces deux logiques antagoniques. Ainsi c’est autant sur le plan juridique que sur le plan organisationnel que l’on s’illustre le paradigme de l’autorité hiérarchique moderne.

SECTION 1 : L’émancipation révolutionnaire a créé des rapports de pouvoir critiqués à partir de l’exigence de refondation d’un ordre hiérarchique :

Le “ projet révolutionnaire ” a pris forme dans le domaine des relations du travail, en particulier dans le cadre juridique du Code Civil, marqué par la figure du contrat. Nous montrerons qu’à la suite de cette contractualisation de la relation de travail, des rapports de pouvoir ont mis face à face les employeurs et les travailleurs, qui y ont été confrontés, toutefois, de façon variable selon les ressources qu’ils pouvaient mobiliser ( A/ ). Cette confrontation des forces dans les relations de travail, à la source de l’exploitation des ouvriers du 19ème siècle, a été soumise à des critiques vives, dont le marxisme a constitué une source importante. D’autres critiques ont dénoncé, pour leur part, l’emprise des corps de métier extérieurs aux entreprises qui dictaient leur loi selon un « bon droit » ( A. COTERREAU ) bien distinct de l’ordre juridique issu du Code Civil. Nous verrons que ces critiques se comprennent seulement si on les met en rapport avec les représentations sur la nécessité d’un ordre hiérarchique qui les sous-tendaient ( B/ ).

Notes
238.

Nous nous en tenons aux textes les plus connus. Pour plus de précisions, cf S. KAPLAN [ 2001 ]. A. COTTEREAU [ 2002 ] explique qu’avant que ces textes soient promulgués, l’organisation du travail sous le régime des corporations avait déjà été remis en cause du fait même de sa contradiction avec les principes fondateurs de la démocratie. « Le libre droit de quitter fut acquis entre 1789 et 1791, au fur et à mesure qu’étaient discrédités les anciens règlements de police et les anciens statuts des communautés de métier. Suivant le rythme des transformations politiques, ce fut d’abord au nom des droits de l’homme et des grands principes de liberté que les compagnons, domestiques, journaliers et ouvriers s’estimèrent déliés de lois injustes, contraires à l’égalité » [ p. 1537 ].

239.

C’est ce qu’exprimait cet adage de Loyseau, auteur d’un « traité des ordres » datant de 1666, selon lequel « il n’y a pas pire profession que de n’en avoir aucune » ( cité par W. SEWELL [ op. cit., p. 45 ] ). Les termes de “ corporation ” et de “ métier ” sont d’ailleurs, à cette époque, absolument équivalents.

240.

Les débats faisaient ressortir cette critique puisque les qualificatifs de « laquais » ou « serviteurs » étaient utilisés de façon insultante, de même que l’on assimilait les domestiques à des « esclaves ». On le verra, la situation du domestique donnera lieu à un éclaircissement nécessaire quant au type de relation de travail qu’elle entraîne, compte tenu du nouveau cadre juridique de travail libre et sans asservissement personnel que la Révolution Française mettra en place.

241.

Cet auteur d’un « Traité des contrats de louage maritime » paru en 1769 sera une référence importante pour les civilistes du 19ème siècle.

242.

Ce sont les « Lettres patentes pour entretenir la subordination parmi les ouvriers dans les pays manufacturés » du 12 septembre 1781. Cf A. COTTEREAU [ ibid, p. 1536 ].

243.

R. CASTEL [ op. cit. ] adopte la même périodicisation et nous souscrivons à son découpage en deux phases, l’une de la Révolution à la fin du 19ème siècle qu’il décrit dans une partie intitulée « des tutelles au contrat » et l’autre à partir de la fin du 19ème siècle à laquelle il consacre une seconde partie intitulée « du contrat au statut ». Nous nous séparons toutefois de sa perspective sur deux points ; d’une part, il considère le statut de salarié seulement du point de vue des droits sociaux acquis - protection sociale, stabilité des embauches, droit du travail - sans les relier à la question de la subordination, autrement dit, sans voir que ce statut est symbolique d’un ordre hiérarchique dans l’exercice du travail, avec tout ce que cela suppose de légitimation démocratique. D’autre part, sur le plan méthodologique, R. CASTEL fait une macro-histoire dans laquelle les acteurs collectifs - les dirigeants politiques, les classes sociales, le patronat... - font l’histoire, ce dont témoignent ses emprunts à la Théorie de la régulation entre autres et ses nombreux renvois aux « rapports de force ». De notre côté, nous voulons faire cette histoire du statut de salarié à partir du point de vue des représentations conventionnelles, des critiques se référant à des biens communs, en nous inscrivant dans cet individualisme méthodologique renouvelé revendiqué par l’EC.

244.

Cela ne signifie pas, bien sûr, que tout commandement avait disparu au sein des relations de travail. Mais, la base hiérarchique de l’autorité et l’attribution de statuts hiérarchiques correspondant à nos catégories modernes de salariés et de travailleurs indépendants n’avaient pas d’existence légale et sûrement pas dans le sens moderne que leur a donné la loi sur le contrat de travail.

245.

Cette problématique est celle posée par A. SUPIOT [ 1994 ] à propos du droit du travail dont il dit qu’il « s’est nourri de cette tension entre l’idée de contrat, qui postule l’autonomie des parties, et l’idée de subordination qui exclut cette autonomie » [ p. 110 ]. Nous souscrivons entièrement à cette présentation tendant à montrer que le problème a été de « rendre ainsi juridiquement compatibles la subordination et la liberté » [ ibid ].