b) L’empreinte des conventions sur la coordination par l’autorité :

La relation d’autorité repose donc sur une coordination des attentes croisées de l’employeur et des employés opérée par des formes conventionnelles qui sont de deux sortes ; soit des « règles conventionnelles » ( RC ) qui constituent des “ savoir comment ”, soit des « modèles d’évaluation conventionnels » ( MC ) constituant des “ savoir pourquoi ”. Si les premières se rajoutent aux règles officielles pour “ combler les vides ”, les seconds servent à choisir entre les règles celles qu’il est “ normal ” de suivre. Les RC coordonnent donc directement les actions tandis que les MC le font indirectement, en jouant sur les représentations à l’œuvre dans le processus d’interprétation. Les premières sont à un niveau très pratique et correspondent aux « petites décisions quotidiennes » selon l’expression de Schelling : répertoire langagier, définition du « travail réel », désignation des interlocuteurs naturels, règles de sociabilité... Les seconds sont à un niveau normatif en érigeant des repères qui orientent l’interprétation et qui réduisent ainsi l’imprévisibilité des comportements dans les cas où aucune règle, officielle ou conventionnelle, ne s’impose naturellement et également par le fait qu’aucune règle ne s’applique, mais qu’elle doit être « interprétée ». L’étendue des tâches exigibles, le degré de contrôle exercé hiérarchiquement, l’applicabilité des sanctions disciplinaires, etc... procèdent de la référence à de tels MC. Pour l’une comme pour l’autre, on peut leur attribuer les caractéristiques propres aux conventions dont O. FAVEREAU [ 1999 ] a établi la liste. Elles reçoivent « une formulation vague et n’ont pas de définition officielle » demeurant la plupart du temps implicites au cours de la coordination, bien qu’elles nécessitent parfois d’être explicitées, en particulier quand le désaccord apparaît. Elles ont « une origine obscure » et constituent un “ déjà là ” qui préexiste à l’entrée de nouveaux individus dans une entreprise, ce qui débouche sur un temps d’apprentissage obligatoire afin qu’elles soient intériorisées par les nouveaux entrants. Elles ne sont « pas garanties par des sanctions juridiques », ce qui les différencie des règles-contraintes que mobilisent les institutionnalistes pour expliquer l’obéissance. Et finalement, elles sont « arbitraires » dans le sens où il en existe de multiples versions qui pourraient assurer la coordination, mais dont une seule a émergé et s’est diffusée selon un principe d’autorenforcement.

Ces propriétés des conventions peuvent être mises en rapport avec les caractéristiques remarquables de la coordination par l’autorité que nous avons qualifiées d’“ institutionnelles ”. Tout d’abord, l’exercice de l’autorité n’est pas orienté vers l’efficience, contrairement à la présentation qu’en font les théories des contrats. Cette optimalité des résultats de la relation d'emploi est directement liée à leurs hypothèses comportementales puisqu’elle est garantie, autant pour la TI que pour la TDP, par la rationalité illimitée des agents et leur intentionnalité infinie. Pour la TCT, dont les hypothèses sont moins standards, cette optimalité est plutôt le résultat de processus temporel de sélection des formes institutionnelles les plus efficientes. Or, l’observation du fonctionnement concret des organisations montre rapidement que cette garantie d’efficience est loin d’être la règle. C’est ce que l’on retrouve de façon centrale dans les travaux de H. LEIBENSTEIN à travers son constat de « sous-efficience X » [ 1966 ]. Sa « convention d’effort » [ 1982 ] est une théorisation, intervenue postérieurement à ce constat, qui montre que si l’autorité fonctionne selon une configuration plutôt qu’une autre, ce n’est pas parce qu’elle est plus efficiente, mais seulement parce qu’elle est apparue à un moment donné comme une solution afin de se coordonner. La présentation de cet auteur est ainsi explicitement centrée sur la présence de conventions par lesquelles s’explique la non-optimalité de la coordination par l’autorité.

La seconde caractéristique “ institutionnelle ” de la coordination par l’autorité réside dans la nature du collectif dans lequel elle s’insère. Les théories des contrats, hormis la TCT, suivent un individualisme méthodologique strict qui les amène à ne s’intéresser qu’à des relations bilatérales, la firme n’étant qu’un « noeud de contrats » selon l’expression de JENSEN et MECKLING. Or, le collectif importe dans la forme qu’y prennent tant les comportements de commandement que ceux d’obéissance. Le déroulement de la relation d’autorité est caractérisé par l’idiosyncrasie, et non pas par l’universalisme que les théories des contrats véhiculent. Nous pouvons aborder ce trait par le biais de l’EC en voyant que les conventions sont des formes locales de coordination. Pour que les conventions fournissent des ressources à la coordination au cours de la relation d’autorité, il faut qu’elles soient connaissance commune des membres de la firme, ce qui suppose un apprentissage collectif. La thèse de la culture d’entreprise de D. KREPS [ 1990 ] est en phase avec cet univers de la coordination par conventions. La différence essentielle, cependant, résulte dans le fonctionnalisme que véhicule cette notion chez D. KREPS qui en fait une forme efficiente, alors que la convention n’est pas porteuse d’une telle garantie d’efficience.

On pouvait nous rétorquer, à raison à ce niveau du raisonnement, que l’introduction des conventions aboutit à dénaturer la relation d’autorité en en faisant le lieu d’un consensus entre l’employeur et l’employé. Pour répondre à cette critique, il a été nécessaire de passer à un niveau supérieur de modélisation de l’autorité dans ce cadre conventionnaliste.