b) Un nouveau statut protecteur du travailleur :

Un des points saillants des transformations managériales et juridiques est d’entraîner un nouveau partage des risques entre le travailleur et son employeur. La combinaison de la subordination hiérarchique et de la limitation de sa responsabilité, telle qu’elle était mise en œuvre jusqu'à maintenant dans le contrat de travail et les dispositifs de gestion, est contredite par ces transformations. La « contractualisation » du contrat de travail - avec l’individualisation de son contenu, la précarisation de l’engagement et les liens avec la réalisation d’une tâche donnée -, a brouillé la distinction nette entre travail salarié et travail indépendant. La marchandisation de la relation interne de travail - avec l’adoption de mécanismes d’incitations, l’évaluation permanente et réversible, le recul du principe hiérarchique de commandement -, a fait apparaître, au sein même des organisations productives, la « fiction d’un salarié à son compte », selon la formule d’A. SUPIOT [ 2000, p. 134 ]. Ainsi l’autonomie et la responsabilisation ont été les vecteurs de la redéfinition du partage des risques entre les travailleurs et son employeur. C’est à ce niveau là, également, que des rapports de pouvoir se sont substitués à la relation d’autorité, les termes de ce partage des risques étant maintenant dépendants des forces en présence. Autrement dit, la plupart du temps, l’employeur, fort de la dépendance économique des travailleurs qu’il engage, peut reporter les risques sur ceux-ci...

Aussi, un des axes de réformes pour contrer cette tendance est de revenir sur ce transfert des risques sur le travailleur afin de le soustraire à la puissance de l’employeur et de lui assurer de nouvelles protections. C’est dans d’autres termes, évidemment, que ceux qui présidaient à cette protection dans le paradigme de l’AHM, que ces réformes doivent se poser. C’est dans cette perspective que l’on doit replacer les propositions émises par un certain nombre d’auteurs pour créer de nouveaux droits pour les travailleurs. Une étape importante de cette réflexion a été le rapport BOISSONNAT [ 1995 ] issu de travaux initiés dans le cadre du Commissariat général au Plan. La proposition principale que l’on y retrouvait portait sur la création d’un « contrat d’activité » venant se substituer au contrat de travail. L’idée était de garantir une « activité » au sens large - travail salarié, mais aussi bénévole, travail indépendant, formation... -, ainsi qu’un revenu par un contrat de cinq ans passé avec un groupement d’employeurs, qu’il s’agisse d’entreprises, d’associations, d’organismes de formation... Le rapport SUPIOT a ouvert de nouvelles perspectives plus radicales avec, comme objectif explicite, la volonté de « réinstitutionnaliser le rapport de travail » [ 1999, p. 85 ]. Dans ce but, il est proposé l’instauration d’un véritable « état professionnel » qui déterminerait des droits classés selon des cercles concentriques. Un premier cercle, celui des « droits fondamentaux », concernerait ainsi tous les travailleurs, quel que soit leur statut. A ce premier cercle, s’adjoindraient d’autres cercles de « droits professionnels », qui tiendraient compte des spécificités de l’activité de l’employeur pour établir des protections adéquates.

B. GAZIER [ 2005 ] rejoint l’orientation du Rapport SUPIOT par le biais de la notion de « marchés transitionnels du travail ». A partir des expériences menées dans certains pays du Nord de l’Europe, le but est de garantir une certaine sécurité pour les travailleurs tout en favorisant la flexibilité que recherchent les employeurs. L’association des deux est résumée par l’expression de « flexsécurité », dont le flou est toutefois propice à une instrumentalisation, ce qui explique sans doutes son grand succès en France dans des programmes politiques dont les orientation sont pourtant contradictoires...

L’attribution de nouveaux droits aux travailleurs est conditionnée à la désignation des bénéficiaires ainsi que des contributeurs, ce qui renvoie aux frontières entre travail indépendant et travail salarié ainsi qu’à la reconnaissance claire de l’employeur dans la relation de travail. On a vu que la subordination ne pouvait plus guère être la base de la distinction de statut entre salarié ou indépendant, ni être le critère fiable de détermination de l’employeur. Sur ces deux aspects essentiels, M-L MORIN [ 2000a et b ] passe en revue les différentes solutions possibles, celles de l’objet du contrat - service de travail ou fourniture d’un bien -, celle de la dépendance économique - renvoyant au débat du début du 20ème siècle lors de la formalisation du contrat de travail -, celle des groupements d’employeur, de co-activité et de co-responsabilité que nous avons évoquées précédemment ( cf supra, chapitre 5 ). Une des propositions les plus intéressantes émises dans le but de clarifier ces distinction est de les faire reposer sur la notion de « patrimoine d’affectation ». La possession d’un capital affecté à la marche de l’entreprise pourrait permettre de distinguer les travailleurs qui, tout en ayant un statut indépendant, travaillent pour le compte d’autrui, de ceux qui sont des entrepreneurs engagés dans une activité, par nature, risquée de valorisation de leur capital. On a là une base à l’intégration des personne en « auto-emploi » et des « faux indépendants » dans la même catégorie de travailleurs que les salariés. Parallèlement, on pourrait aussi éviter d’accorder des protections à des personnes dont l’activité d’entreprise est fondée, précisément, sur la prise de risques. La question est de voir comment ce critère pourrait opérer pour éviter un trop fort manichéisme. Des artisans et commerçants ont beau avoir un capital personnel engagé dans leur activité, ils semblent éligibles à l’obtention de protections du fait de leur fragilité économique et des liens de dépendance qu’entraîne leur mise en relation, en tant que fournisseurs ou sous-traitant, avec des entités économiques puissantes. Les choix en matière de financement seront déterminants, portant sur la fixation de seuils de possession du capital de l’entreprise, dont devront dépendre le montant des contributions et le degré de protection par les dispositifs de droits de tirage sociaux.

Si nous avons réalisé ce florilège, non exhaustif et superficiel, de ces propositions de réformes, c’est pour montrer dans quels termes les débats se posent aujourd'hui pour contrer les effets des mutations des relations de travail. Il nous semble que l’approche de ces mutations que nous avons menée dans le cadre conventionnaliste est congruente avec le sens des interrogations soulevées par ces propositions. Notre analyse doit permettre d’en faire ressortir les enjeux fondamentaux.