C. La méthode d’approche et de comparaison des romans du corpus

En 1967, parut un ouvrage collectif qui définit la notion de « Littérature comparée ». Ce domaine amène les auteurs à en définir les orientations théoriques et littéraires. Ils découvrent l’étendue du comparatisme, en soulignant les vastes et diverses dimensions de la littérature comparée, qui confronte des textes de cultures différentes :

‘« La littérature comparée est l’art méthodique, par la recherche de liens d’analogie, de parenté et d’influence, de rapprocher la littérature d’autres domaines de l’expression ou de la connaissance, ou bien les faits et textes littéraires entre eux, distants ou non dans le temps ou dans l’espace, pourvu qu’ils appartiennent à plusieurs langues ou plusieurs cultures, fissent-elles décrire les partie d’une même tradition, afin de mieux les comprendre et les goûter. » 59

De cette définition, nous retiendrons deux apparences caractéristiques de la littérature comparée :

1. Le comparatisme est la discipline des frontières, cela permet aux comparatistes d’être à la fois dedans et dehors, de se situer aux carrefours des littératures. Cette branche réfléchit sur les différences entre les traditions culturelles, s’interroge sur la spécificité du fait littéraire, et appréhende les jeux d’influences entre littératures et traditions. L’interdisciplinarité installe la recherche comparatiste dans la comparaison des textes sous l’angle culturel, linguistique et littéraire. Le processus de commerce intellectuel « transnational » détermine la littérature comparée. Faisant nécessairement des généralités sa spécialité, le comparatisme :

‘« S’attache à l’étude de tout ce qui se passe d’une étude littéraire à une autre, mais que le but ultime de la littérature comparée est de se tenir « au-dessus » des frontières et d’aspirer à être une étude, une science du « transnational ». 60

Cette observation des frontières littéraires, suppose une communication qui relie simultanément des cultures différentes, découvre des sensibilités diverses sur un thème d’écriture, ou tout simplement sacralise les mythes littéraires.

2. L’analyse intertextuelle des œuvres littéraires, issues des contextes semblables, et appartenant à la même aire culturelle et linguistique, est une priorité des études comparatistes. Il existe des espaces culturels, linguistiques, littéraires et historiques tenus « pour homogènes et unifiés» 61 . Ces aires sont définies à partir des barrières nationales et culturelles. Cette orientation du comparatisme convient ici aux recherches francophones, mais dans l’analyse des thèmes et des écritures de ces littératures dites « nationales ». On retiendra la dernière caractéristique de la littérature comparée, mais on isole, dans la perspective adoptée, le terme de « littérature nationale », condamnée déjà par le philosophe allemand Goethe. Il est indispensable de constater l’espace littéraire étanche, la production de textes littéraires qui s’articulent autour des thèmes et des modèles d’écriture: « L’universel, c’est le local sans les murs » 62 , laissera entendre l’écrivain portugais Miguel Torga, qui analyse l’intertextualité comme mode d’écriture, mais entre les œuvres venues de la même aire culturelle, du même espace géographique. L’intertextualité permet donc de lire et de connaître les littératures émergentes. Ce comparatisme interne peut être illustré dans les textes du corpus, qui se croisent difficilement autour du thème d’époque, celui de l’identité, et des formes littéraires, survenues dans la même époque, la créolité et l’écriture francophone. Car, « le dialogue entre le texte et son langage, entre l’auteur et sa culture, entre différentes stratifications de sens. Voilà le comparatisme 63 La question du style, comme appropriation de la forme créole, dans un espace-temps littéraire, rapproche la thématique de son écriture, et l’œuvre intégrale de l’époque littéraire donnée : « Les traits fondamentaux d’un style ne sauraient ressortir que d’une exploration menée dans les langages, à partir de la connaissance des conceptions fondamentales à une époque. » 64 La convergence des écritures vers un style vraisemblablement à la mode, en quelque sorte prédéfini, soutient la méthodologie adoptée. C’est pour mieux éclairer la contribution de Maryse Condé et de Simone Schwarz-Bart au débat littéraire, à la remarque de Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant sur « le roman créole francophone » 65 . Deux théories du comparatisme sont principalement essentielles : la première suggère l’intertextualité culturelle du texte littéraire, et ce serait pour retrouver

‘« La trace d’une culture dans l’écriture […] culture latérale définissant un code linguistique et des références à la vie, culture profonde constituant la mémoire qui s’inscrit dans le grimoire du texte. » 66

La deuxième théorie, en soutenant l’écriture métissée dans le texte créole francophone, justifie, dans la démarche adoptée, ce que Hans Robert Jauss appelle, après René Etiemble, « l’élaboration d’une poétique, d’une rhétorique et d’une esthétique comparée. » 67 Ces théories se résument finalement en une seule théoriecomparatiste de lalittéralité. Car il s’agit bien d’un phénomène de littéralité devant souligner les zones d’hésitations, d’incertitudes, et la spécificité du fait littéraire de l’identité, chez Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart. Les occurrences narratives de leurs textes se croisent aux confins de la problématique qui particularise l’écriture, celle de la création du roman francophone et créole. Notre « poétique comparée » cherchera à répondre aux questions qui interpellent globalement la littérature antillaise à travers le genre romanesque : 

‘« Le résultat final, qui en même temps représente l’objet essentiel de la poétique comparatiste, constitue une modalité différente, nouvelle, de penser la littérature, de la situer, de l’étudier, de la définir, de poser son problème. » 68

L’analyse littéraire des textes sera soutenue par une méthodologie, éclatée par l’apport théorique des sciences sociales: la sociologie, l’anthropologie, la psychologie sociale et l’histoire des Caraïbes, permettront d’apercevoir la construction ethnologique dans les romans du corpus. D’autre part, la méthode structuraliste et l’approche thématique, aideront à souligner les visions symboliques de l’identité, les métaphores orales et créoles, les techniques romanesques et l’écriture métissée. Ces méthodes ne fondent pas l’étude, mais elles éclairent notre analyse littéraire des textes du corpus.

Notes
59.

Claude Pichois et André-Michel Rousseau, La littérature comparée, Paris, Armand Colin, 1967, p.174.

60.

Daniel-Henri Pageaux, La littérature générale et comparée, Paris, Armand Colin, 1994, p.18.

61.

Ibid., p. 21.

62.

Cité par Daniel-Henri Pageaux, La littérature générale et comparée, op. cit., p. 22.

63.

Francis Claudon et Karren Haddad-Wotling, Précis de littérature comparée : Théories et méthodes de l’approche comparatiste, Paris, Nathan, 1992, p.12.

64.

Pierre Brunel, Claude Pichois et André-Michel Rousseau, Qu’est-ce la littérature comparée ?, Paris, Armand Colin , p. 74.

65.

Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Lettres Créoles : Tracées antillaises et continentales de la littérature 1635-1975, op. cit., p. 182.

66.

Daniel Poiron, « Ecriture et réécriture au moyen âge », in revue Littérature, no 41, 1981, p 117.

67.

Adrian Marino, Comparatisme et théorie de la littérature, Paris, P.U.F., 1988, p. 25. Hans Robert Jauss a écrit un article, « esthétique de la réception et communication littéraire », paru dans la revue Critique en 1981, dans lequel il a abordé l’approche du comparatisme sous l’angle des formes d’écriture, des métaphores et des figures rhétoriques. Cette approche, au-delà de la confrontation des littératures, fait du texte littéraire l’objet de l’étude comparatiste. Nous nous sommes inscrit dans cette logique au sujet de l’écriture métissée.

Adrian Marino, op. cit., p., 291.

68.

Ibid.