c. Le contexte de l’altérité et de la filiation

Une approche sociologique préliminaire de l’identité, dans les Antilles, pourrait introduire ce contexte de l’altérité et de la filiation. L’identité antillaise, corrélative à la perception individuelle, dépend autrement des liens de parenté, des rapports de « soi » avec « l’Autre ». Ces relations définissent l’identité de la personne : l’homme antillais peut-il vivre pleinement son identité, affirmer dignement sa personnalité dans une société, on l’a vu antérieurement, divisée, rompue, qui recherche ses valeurs ? Quand l’individu est en conflit moral avec lui-même, également avec les autres, peut-il proclamer son appartenance à la société ? Les romans de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart peuvent répondre aux questions : le sujet créole s’avance masqué dans une société historiquement marquée par des déchirures affectives. Dans cette société dernièrement construite, en reconstruction dans la réalité et dans les romans antillais, l’individu s’oppose au groupe, la famille à la société. Le fait« qu’une chose est exactement de même nature qu’une autre », et « le caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe » 127 , voilà la définition proposée par Le Larousse encyclopédique universel, elle s’avère discutable, du fait qu’elle n'explique pas tout à fait l’identité antillaise ou créole. Celle-ci est hétérogène et non permanente, métissée, mouvementée, et non figée dans le temps ; parce que les sujets de l’identité assouvissent difficilement leurs aspirations, et cela entraîne des mouvements éternels, des actions impulsives, des identités instables. Dans le contexte antillais, Marc Gontard remarque ces flottements, notamment dans l’article sur Le Métissage et la créolisation 128 . L’identité est un concept ambigu, désignant à la fois « le même » (identité ethnique, identité culturelle) et« le différent » 129 (identité individuelle). L’auteur approuve la notion de distinction, en raison des origines ethniques et des préoccupations individuelles :

‘« Comme celle de l’identité, la question de l’altérité renvoie donc à une dialectique qui oppose autrui à son étrangeté assimilable à l’autre dans sa différence irréductible, selon cette seconde relation disjonctive » 130

Notre argument sur l’altérité, ce n’est pas l’analyse théorique de cette double relation : l’appartenance culturelle et ethnique, ne pourrait développer toute l’identité créole, surtout dans le domaine littéraire des Antilles, en raison des thèmes et des images caractéristiques des œuvres. Pour le comprendre, voyons comment la psychologie des personnages de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart révèle leur désobéissance aux conventions sociales. On présentera le prototype, Reynalda, femme audacieuse dans Desirada de Maryse Condé, qui défie la culture, en désacralisant le pacte avec la famille. C’est l’exemple d’autres personnages, cette fois-ci dans Traversée de la Mangrove : les habitants de Rivière au Sel oublient leurs propres valeurs humaines, à force d’être hantés par un « passé confus et irrécupérable » 131 .

Des liens de parenté unissent les personnages, les membres d’une même famille entretiennent des rapports de dépendance, mais aussi d’opposition. Il s’agit des liens affectifs, facteurs de leur harmonie comme leur mésentente, à condition que les affections soient contraires. Le parcours narratif de chaque roman révèle des particularités: la filiation repose sur l’hérédité paysanne dans Pluie et Vent…, le conflit culturel dans Traversée de la Mangrove, l’identité mystique dans Ti Jean L’horizon et dans Moi, Tituba sorcière…, la nostalgie parentale dans Un plat de porc…, et enfin elle s’appuie sur le thème du départ dans Desirada. Maryse Condé ne reprendra pas le sujet dans Les derniers rois mages, les êtres du roman profèrent des paroles de révolte. Déçus de leur existence, ils s’en prennent aux parents les plus proches, libres qu’ils sont d’examiner la filiation, avec une verve satirique, comme des penseurs auxquels déplait le voisinage. On chercherait en vain cette crise de la parenté dans Ti Jean L’horizon deSimone Schwarz-Bart. La mort de Man Eloïse exclut, dès le début du roman, l’évocation négative de la filiation, en consentant la recherche de l’ancêtre paternel. Entre Ti Jean et Wademba, un amour filial sans précédent naît, malgré la distance géographique, l’un se trouvant hors des îles, du côté de l’Océan Atlantique. Alors que cette sensation propulse Ti Jean en dehors de la Guadeloupe, Wademba, par-delà la mort, veille sur le jeune intrépide dont « la mort est accrochée à celle de Wademba » 132 . Il faut imaginer Ti Jean heureux, déchargé du fardeau, et Wademba consolé, tous recouvrent l’identité parentale, au-delà de l’errance. Avant la déportation, il y avait la terre des ancêtres, en Afrique, c’est dans ce lieu symbolique que Simone Schwarz-Bart déroule la réconciliation entre père et fils, comme pour suggérer une autre filiation, non pas humaine, mais géographique.

Simone Schwarz-Bart construit l’identité, par la filiation mystique entre l’ancêtre, objet symbolique de la quête, et le héros, sujet nostalgique de la recherche. Cette relation entre sujet et objet, objet et désir, correspond au schéma actantiel de Greimas 133 , fondé sur la recherche de l’objet perdu, et que doit retrouver le protagoniste selon une structure narrative ascendante. Le recours à ce parcours narratif explique dans Ti Jean L’horizon le rapport « hiérarchique », qui présuppose un destinateur, la motivation du héros, et un destinataire, la possession de l’objet et la satisfaction du désir. L’amour filial encourage le jeune héros, destinateur du récit, à rattraper la figure paternelle, principal destinataire qui entraîne la thématique du voyage ; on peut observer les conséquences dans la transmission de pensée, une particularité du mysticisme noir: la voix caverneuse de Wademba, dormant dans le territoire des Ombres, s’élève et parvient de loin à Ti Jean. Le jeune héros découvre, comme dans une prophétie, le chemin tracé par le défunt aïeul. Car la parole proférée par l’ancêtre est un appel au devoir, un rappel qui interpelle la mission sacrée, celle de retourner à la terre patrie :

‘« Il y a des temps et des temps que j’ai quitté mon village d’Obanishé, sur la boucle du Niger, et tous ceux qui m’ont connu dorment dans la poussière. Mais si tu te présentes un jour là-bas, toi ou ton fils, jusqu’à la millième génération, il vous suffira de dire que votre ancêtre se nommait Wademba pour être accueillis comme des frères. » 134

La thématique de la recherche filiale, entre père et fils, dans Ti Jean L’horizon, est un rapport affectif, entre mère et fille, dans Moi, Tituba sorcière… de Maryse Condé. Comme Ti Jean l’orphelin, Tituba perd sa mère, à la première page du roman, mais la filiation est invariable post mortem. L’image de Wademba guide en toute circonstance Ti Jean, Tituba est pareillement protégée par sa mère défunte, Abena. La sorcière man Yaya enseigne la sorcellerie et la médecine traditionnelle qui indiquent l’apprentissage du pouvoir mystique de guérison. Du reste, elle prophétise l’avenir de lutte perpétuelle : « Tu souffriras dans ta vie. Beaucoup. Beaucoup » 135 . Cette prédiction existe dans Ti Jean L’horizon, le père devine l’avenir de son fils : « Ton chemin est parmi les hommes, souviens-toi, ton chemin est parmi ceux d’En-bas et il se nomme tristesse, obscurité, malheur et sang… » 136 La filiation entre les personnages défunts et Tituba est significative : l’âme des morts pèse sur la conscience des vivants, de même les liens filiaux et mystiques dans Ti Jean L’horizon contribuent à l’héritage identitaire. Le roman de Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent…, répand une vaste fresque d’éducation sociale, résurgence incontestable des traditions. L’influence de l’éducation, léguée par la mère, paraît le vecteur directeur, l’adaptation géographique de Télumée à Fond-Zombi. Toussine, mère de Victoire et grand-mère de Télumée, incarne cette figure emblématique de l’héritage identitaire. On comprend l’attitude morale de Télumée, elle accepte in extremis, comme tel, le contexte social, qui rabaisse la femme noire, depuis les temps de son aïeule Toussine :

‘« Toussine était une femme qui vous aidait à ne pas baisser la tête devant la vie, et rares son les personnes à posséder ce don. Ma mère la vénérait tant que j’en étais venue à considérer Toussine, ma grand-mère, comme un être mythique, habitant ailleurs que sur terre, si bien que toute vivante elle était entrée, pour moi, dans la légende. » 137

Le modèle est renversé dans Ti Jean L’horizon, la réincarnation mystique de Wademba marque ce retournement, bien que Télumée soit le symbole de la survivance de Reine Sans Nom. Dès lors, une particularité se dégage dans Pluie et vent… : la naissance de l’identité positive par l’hérédité, celle-ci suggère l’appropriation de quelques valeurs à la fois acquises et enseignées, c’est pour ainsi dire l’explication qu’apporte Serge Gruzinski: « l’identité est une histoire personnelle, elle-même liée à des capacités variables d’intériorisation ou de refus des normes inculquées. » 138 On peut comprendre l’identité, dans les romans, tantôt comme l’acceptation des valeurs, tantôt comme la contestation des pensées de l’existence, subvenues dans la société. Mais elle peut être l’aventure individuelle à la fois et tour à tour de rejet et d’acceptation des valeurs héritées. Ti Jean L’horizon, Tituba et Télumée reçoivent l’identité filiale en renouvelant leur culture du pays, alors que les personnages de Traversée de la Mangrove, Un plat de porc…, Les derniers rois mages, Desirada, ont une filiation déconcertée. Dans l’intrigue de ces romans, les protagonistes rejettent les croyances cultivées depuis l’enfance, ils sont profondément à la recherche de nouvelles valeurs, telle la discorde entre Reynalda et Marie-Noëlle dans Desirada. La mère ne déteste l’adolescente que pour renoncer au rôle traditionnel de la femme. L’absence du père rend davantage contraignante cette tâche sociale, et pour s’en sortir, l’ultime épreuve semble la fuite. On voit comment à travers la thématique de la progéniture, Maryse Condé enchaîne des intrigues, en explorant la psychologie des personnages, et en faisant des réactions l’objet du récit : Marie-Noëlle déteste son père sans le connaître, elle rejette la paternité, comme sa mère avait délaissé la tradition culturelle :

‘« Son papa, c’était sans doute possible un homme à peau claire. Un mulâtre ? Un saintois ? Un mauvais chabin rouge comme un crabe cyrique ? Peut-être même un blanc ? Blanc-pays ou blanc-métro, gendarme, C.R.S ? Comment tolérer pareille paternité ? » 139

La mère intrigue et obsède la fille, inlassablement plongée dans ses angoisses ; et « à cause de ses soucis, Marie-Noëlle vécut une fin d’enfance taciturne et morose. » 140  La raideur entre la mère et la fille est exacerbée par le clivage social. La distance se creuse entre les deux personnages, car « pendant qu’elle [la fille] plongeait vers le bas-fonds de la société, celle [la mère] qui lui avait donné le jour grimpait vers le soleil. » 141 Maryse Condé se remémore dans ses romans l’identité qui n’est pas seulement continuité, acquisition, transmission, mais aussi prise de conscience, révolte. Dans Desirada, ce n’est pas la filiation qui véhicule l’identité créole, en revanche la rupture des liens de parenté est une étape pour reconquérir l’identité. Les personnages de Maryse Condé, créés à son image, sont trop « rebelles » pour se soumettre à un système filial désagréable. L’absence des pères et la mort précoce des mères, mènent les personnages à des péripéties malaisées. Maryse Condé ne dissimule pas qu’elle dépasse l’attachement aux valeurs filiales, thème précieux chez Simone Schwarz-Bart. Ses romans se lisent comme une révision de la paternité, peut-être trop excessive et écrasante. L’auteur privilégie l’ambition sociale, le refus de la soumission, la recherche intellectuelle. Maryse Condé ne condamne pas les valeurs positives de la filiation matriarcale dans Desirada. Elle explore plutôt les possibilités offertes à la femme créole de construire son identité « à travers une quête nomade, libre de toute appartenance tyrannique, et elle nous invite à chercher la transmission négative d’une relation maternelle manquée. » 142 Maryse Condé ne trempe pas davantage, contre toute attente, son style dans l’élan féministe. Elle ne livre pas une écriture féministe, mais une quête de l’identité féminine, dans l’engagement littéraire qui se traduit en acte, comme l’analyse Roland Barthes :

‘« L’expansion des faits politiques et sociaux dans le champ de conscience des Lettres, a produit un type nouveau de scripteur, situé à mi-chemin entre le militant et l’écrivain, tirant du premier une image idéale de l’homme engagé, du second que l’œuvre écrite est un acte. » 143

Bien qu’elle reconnaisse les valeurs positives de la famille, Maryse Condé n’en vise pas moins à consolider les liens affectifs, sociaux et culturels. Dans ces romans, la filiation pose des problèmes aux personnages, incapables de s’adapter à leur contexte parental. Dans Les derniers rois mages, la quête de Djeré est tournée en dérision, le roi mage ridiculisé par le village. Le personnage est victime des railleries de sa propre famille. Et dans Traversée de la Mangrove, Mira déteste son père, elle ne s’entend pas avec ses demi-frères, Marie-Noëlle ne verra jamais son père. Autrefois, sa mère, qui l’obsédait beaucoup, la repoussait sans ignominie dans l’univers parisien. Maintenant, elle trace son propre chemin dans la recherche universitaire, puis dans l’enseignement de la littérature française, discipline qu’elle transforme en littérature française et francophone à l’université de la Nouvelle-Angleterre. On ne saura pas par quelle coïncidence Maryse Condé a renouvelé la thématique de la déchirure parentale dans Les derniers rois mages : la négation de la filiation oppose Spéro à son père Justin. Le père s’acharne à inculquer au fils la culture des origines. Spéro refuse et s’exile aux Etats-Unis, pour vivre sa passion de la peinture, la musique afro-américaine, en militant dans une association politique et culturelle regroupant les Noirs de la diaspora américaine.

La même image scande Traversée de la Mangrove : Maryse Condé illustre l’échec des rapports entre père et fils, Rodrigue Ramsaran et Sylvestre. La fonction de la paternité, entre autre l’autorité éducative, se révèle une tâche pénible à abattre dans la société antillaise. Rodrigue Ramsaran échoue dans la double envie, d’abord d’assurer la bonne éducation scolaire, ensuite de perpétuer la tradition indienne des îles. La culture d’origine est célébrée par des rites hindouistes, dans un temple, tous les dimanches. Sylvestre Ramsaran, « qui n’intéressait pas vraiment son père », et que les maîtres des écoles « interrogeaient pour la forme trois fois par trimestre » 144 , avait pris la fuite durant la séance rituelle de sacrifice ; il ne supportait pas le sang giclé : cette fuite est le refus d’une identité filiale, héréditaire, et Sylvestre Ramsaran, en renonçant aux cultes des Anciens, interrompt la propagation à travers des générations. Car, depuis ce jour, chaque fois « que les Ramsaran étaient réunis, ils ressortaient, exhumaient cette histoire. » 145 L’instabilité des liens de parenté, conséquence de l’irresponsabilité patriarcale, explique dans Desirada Les derniers rois mages comme dans Traversée de la Mangrove, la crise de l’autorité du père. Le roman antillais révèle cet échec des hommes à assumer les devoirs familiaux, comme l’éducation et l’enchaînement des valeurs d’identité. Dans sa thèse, Françoise Simasotchi-Brones souligne le rôle inimaginable des pères au sein de la famille créole. La figure du père apparaît dans le roman antillais sous le signe de l’anti-père, de père hors structure familiale :

‘« Le roman antillais véhicule souvent une image stéréotypée de l’homme antillais : bon amant, bon géniteur, mais incapable d’assumer la fonction du père. L’infidélité sexuelle dans le roman afro-américain est l’apanage du mâle […]» 146

Commandeur du sucre 147 , roman du martiniquais Raphaël Confiant, laisse apparaître un espace tragique, celui de la Plantation : un lieu de désordre conjugal, de violence sociale, mais aussi un cadre de l’héroïsme dramatique des ouvrières. Man Sonson accouche dans la Plantation, le père de l’enfant naturel disparaît ; une autre femme, Man Gesner, perd la vie en drainant les cannes à sucre. Tout porte à croire que Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart réitèrent les thèmes d’époque, de l’existence créole dans leurs romans : l’absence du père, thème fondamental dans la littérature antillaise, peut l’illustrer, en raison de sa permanence dans les œuvres littéraires: Un plat de porc…efface la figure du père dans l’intrigue, parce que la narratrice, Mariotte, comme bien des personnages du roman antillais, n’a pas de père légitime, celui-ci ne s’est jamais présenté et ne se reconnaîtra jamais comme tel.

Desirada et Un plat de porc… entretiennent dès lors des relations, s’agissant du père naturel, « bon géniteur » ; leurs héroïnes, Mariotte et Marie-Noëlle, s’engagent dans la recherche des « tutélaires ». Leur destin n’est-il pas semblable, c’est l’abandon par leur père qui les embarque dans la même galère. Mariotte soupçonne Raymoninque, un ouvrier révolté condamné d’avoir tué « le contremaître de l’usine Guérin » 148 , d’être son vrai père. L’affection qu’il nourrit à l’endroit Mariotte est passionnante, elle se traduit par des regards tendres, par un attachement digne d’un père, Mariotte en conclut : « ça m’avait fait une impression étrange de compter secrètement Raymoninque parmi mes présupposés pères. » 149 L’impression ne sera jamais confirmée. Marie-Noëlle, à son tour, revenue à la Guadeloupe, ne connaîtra pas les secrets de sa naissance. Le doute porte sur un personnage, Gian Carlo, un bijoutier italien venu s’installer dans l’île de la Désirade. Le récit de Nina, amie d’enfance de Reynalda, soulève tout soupçon sur la paternité de Marie-Noëlle : « Je ne peux t’offrir que la vérité. Je ne peux te raconter que ce qui est arrivé. Gian Carlo n’a jamais été ton papa. Qui c’est ? Seule Reynalda le connaît et peut le dire. Gian Carlo n’a jamais mis la main sur elle. » 150 L’esclavage engendra l’instabilité du couple, l’orphelinat de la famille antillaise. Aussi loin que l’on remonte à la période de l’esclavage, on peut constater la coutume relative à la naissance dans les Plantations : les pères ont un rôle réduit, limité à la conception. Et le mariage pour être inexistant, n’en était que plus profitable pour les esclavagistes ; il a fallu multiplier le nombre de travailleurs des Cannes. Cette tradition a survécu après l’abolition de l’esclavage, et elle est devenue une activité banale. Régis Antoine replace le désordre conjugal dans ce contexte de l’Histoire des Caraïbes, une situation d’inconstance, forcée ou volontaire, des hommes :

‘« L’instabilité des couples a pour origine le viol des femmes-esclaves, le droit de cuissage des maîtres, les lois économiques du système des plantations qui ordonnent aussi bien la disposition des individus que le regroupement des couples ou des groupes de travailleurs. » 151

Des écrivains antillais, comme Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart, ont symbolisé dans leurs romans la parenté large, élargie par la déstabilisation du couple : les membres de la communauté romanesque, sont la plupart des parents séparés. Maryse Condé donne l’exemple dans Desirada : la société décrite est un espace tragique, parce que les pères n’assument pas leur rôle, comme dans Un plat de porc…. Maurice Le Moine, écrivain et voyageur engagé, explique l’échec des liens familiaux dans son ouvrage Le mal antillais : leurs ancêtres les gaulois 152 . Les causes de l’inconscience collective remonte à l’esclavage, les conséquences sont l’absence du père, l’inexistence de la famille, et la généalogie mal assurée :

‘« L’inconscient collectif en est demeuré marqué, conforté par l’évolution ultérieure qui a toujours nié à l’antillais, et lui dénie toujours l’accès à de véritables responsabilités. » 153

Comme des témoignages du manque de responsabilité paternelle, les romans impressionnent et surprennent par la sincérité des auteurs, par la réalité brûlante, la découverte du « cœur » enflammé de la société, et par les faits qu’ils relatent et qui traduisent l’ignominie des hommes. La filiation engendre une identité collective dans un espace insulaire. Mais les liens de parenté unissent la communauté et participent à la recherche des origines. Les personnages romanesques de Maryse Condé ont une obsession de leur histoire parentale. Un des personnages de Maryse Condé dans Desirada incarne la lucidité historique : l’obsession ou le désir de découvrir une identité par la parenté :

‘« Tous les Guadeloupéens sont parents. Premièrement, ils sont pour la plupart sortis du même ventre-négrier, expulsés au même moment, sur les mêmes marchés aux esclaves. Deuxièmement, dans les plantations, des liens se sont noués entre ceux-là et les autres, promiscueux, proches comme des incestes. » 154

On retiendra dans les romans des caractéristiques différentes de la filiation. Le résultat est l’hétérogénéité de la société antillaise. Les personnages, comiques, héroïques et tragiques, sont unis par le sang, ils composent un univers solidaire et antagonique. La diversité des aspirations personnelles, dans un espace imaginaire unique, celui des Caraïbes, est à l’origine des séparations, des querelles entre personnages, mais aussi des cohésions. La filiation est traversée par un double affrontement, qui dédouble la recherche des personnages : la lutte des Anciens pour la survie des valeurs héritées, s’oppose à l’affirmation de nouvelles valeurs par la nouvelle génération. Le héros de Ti Jean L’horizon veut unir deux mondes imaginaires, historiquement séparés, L’Afrique et les Caraïbes. La même quête révèle des paradoxes dans Traversée de la Mangrove et Desirada : les personnages sont à la fois des résignés et des révoltés, des déprimés et des éveillés de la société. Moi, Tituba sorcière… et Pluie et vent…proposent des solutions pour guérir cette pathologie, menaçant la filiation : les héroïnes de ces romans, Tituba et Télumée, s’inspirent de la tradition, léguée par les mères, pour affronter le présent et envisager le futur. Les derniers rois mages, négation même de la filiation, présentent des personnages, qui sont des êtres voués à la séparation, leurs aventurent s’opposent : Djeré continue toujours d’écrire ses Cahiers, les autres personnages, ses frères, fils et petit-fils, tracent leur destin, en manquant l’œuvre frivole du patriarche la famille. Ce roman rappelle Les arbres magiciens 155 de l’écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis : trois frères perpétuent, différemment, l’œuvre patriotique de leur père, dans un contexte tragique, baroque et merveilleux, celui de la dépossession des paysans haïtiens de leurs terres, durant la dictature du roi Henri Christophe : Diogène, le prêtre, participe à la campagne contre les cérémonies du vaudou, il va perdre la raison. Son frère Edgar, l’officier, va être tué, mais le temple sacré sera détruit par les soldats. Seul le troisième frère Carle, le poète, connaîtra une brillante carrière politique, comme un vrai héritage du père. Les romans du corpus, on l’a vu, constituent un théâtre d’expression de ces enjeux identitaires et filiaux. Mais hors de la famille, l’individu se heurte au groupe, à la société, aux valeurs communes adoptées par la communauté. Ce second affrontement, qui est l’altérité, exprime un rapport « problématique » avec autrui, avec soi-même. L’altérité, ou la découverte de l’Autre, pose des questions concrètes liées à l’identité. Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart dramatisent, comme expression de la sensibilité créole, la société humaine, à la recherche d’elle-même, à la recherche de ses repères.

Le Grand Robert de la langue française 156 situe l’origine du mot « altérité » au bas latin, alteritas, de la racine alter, qui signifie « autre ». Le « Même » et l’ « Autre » traduisent un rapport dialectique, celui de l’identification de l’individu à une communauté. Quand les représentations imaginaires s’opposent, quand les habitudes sont contraires, et quand l’individu affronte le groupe, on parle alors d’altérité. Il est possible d’envisager un double rapport psychologique et social. C’est un rapport de connaissance, de prise de conscience, de perte ou d’aliénation de soi. On le sait, l’altérité suppose l’identité. Dans les sociétés des Caraïbes, l’altérité obéit à la diversité des usages, à la différence de mentalité, et à l’exubérance de l’imaginaire collectif : voilà le double aspect sociologique et psychologique de l’altérité. Pour le sociologue Lucy Bauget, « les groupes d’appartenance sociologiques constituent des groupes qui structurent l’identité psychosociale. » 157 L’univers romanesque des personnages témoigne de cet espace « psychosocial ». La narration emporte les personnages, installe le dialogue et le conflit ; les protagonistes désirent connaître l’Autre, le posséder, les exemples abondent dans les romans.

Récit de recherche, Les derniers rois mages s’imposent par la liberté des personnages, par leur pouvoir, leur présence dans la société. Spéro et Debbie illustrent cette présence, cette rencontre avec le monde extérieur, attirés qu’ils par la diaspora noire, à Charleston aux Etats-Unis. Ils découvrent la culture musicale, la culture politique et la culture littéraire. Leur fille Anita, porte le nom d’un chanteur afro-américain de Blues, que Spéro aimait beaucoup. Debbie souhaitait avoir un fils, alors elle pensait à des noms comme « Sekou-Jomo-Kwamé-Modibo », des figures de l’idéologie politique et révolutionnaire en Afrique. Maryse Condé construit par là des personnages novateurs, à travers les thèmes de la musique, la littérature et la lecture. Leur vie de passionnés symbolise la recherche de l’âme noire, sa possession. Debbie dévorait des ouvrages écrits par des poètes et des intellectuels noirs de renom:

‘« Elle était très fière de sa bibliothèque qui ne contenait pas seulement les romans de Tom Morrison, Alice Walker et autres écrivaines nouveau-nées, mais des pièces maîtresses ; telle une édition originale des éditions de Jupiter Hammon, le premier poète noir, esclave qui vécut à la fin du XVIII e siècle, de l’Autobiographie de Fréderik Douglas et de La Case de l’oncle Tom d’Harriet Beecher-Stowe. » 158

En rejetant des valeurs reçues, celles-là antillaises, Maryse Condé engage Debbie sinon dans la quête spirituelle, du moins dans la recherche intellectuelle. Les études libèrent les frontières culturelles, rejettent l’existence purement antillaise. On comprend mieux l’exil de Debbie aux Etats-Unis, tout comme Maryse Condé le vivra de 1953 à 1986 en Afrique, Europe et Amérique. Obsédée par l’identité caribéenne, Debbie la définit comme les valeurs culturelles et intellectuelles du monde noir. Ce n’est pas seulement la recherche de ce qui « rattache chaque culture à d’autres ensembles » 159 , mais la diversité de l’identité créole, et l’universalité de la culture afro-caribéenne. On retrouve les aspects de la Négritude, mais d’une négritude créolisée, ou du moins affranchie par Maryse Condé. Pour Senghor la Négritude contemple le nègre dans sa culture, admire la reconnaissance de celle-ci, la fierté d’être noir. Pour Aimé Césaire, c’est la revendication d’une identité noire, à partir du rejet de la culture occidentale, du refus de l’aliénation morale. Maryse Condé adopte la position différente de celles-ci. Elle dépasse ces deux tendances, et elle les examine dans la position même de Debbie. Le ridicule et l’ironie rendent impossible la recherche de l’identité noire, libérée ou condamnée par le métissage et la post-modernité. L’écrivain mexicain Carlos Fuentes définit dans Le Sourire d’Erasme un contexte « polyculturel » et « multiracial » 160 qui caractérise l’Amérique ibérique. Maryse Condé appartient mentalement à ce contexte, comment en pourrait-il être autrement pour ces personnages ?

L’arrivée de Ti Jean, dans le village d’Obanishé, symbolise la découverte d’une communauté traditionnelle, les racines culturelles du héros s’enfoncent dans cette communauté-là, qui lui jette sur la figure le terme « étranger ». Cette exclusion souligne la problématique de l’altérité, comme rapport de conflit entre le « je » et le « nous » : « qui es-tu, qu’espères-tu trouver parmi nous ? » 161 , lui demande le plus vieux et le plus sage du village. Le vocable « altérité » expliquerait-il la théorie des origines raciales et des différences ethniques ? Ti Jean veut détruire les barrières culturelles, c’est pour affirmer son appartenance à cette culture primitive. Dans Traversée de la Mangrove, les origines, célébrées par Simone Schwarz-Bart, s’affrontent dans une même communauté, Rivière au sel, sans déplacement véritable des personnages. Les habitants y sont condamnés à vivre en communauté, malgré la méfiance envers l’Autre. Ti Jean L’horizon découvre un autre univers géographique, imaginaire, auquel il s’identifiera. Les gens de Rivière au sel, quant à eux, ont une appartenance historique à la même identité créole, aux mêmes modes de vie, à un même espace fondamental. Dans ce roman, Maryse Condé a dramatisé les liens sociaux et humains, liens irréalisables.

L’anthropologue François Laplantine démontre cette difficulté à fusionner les consciences individuelles. Le phénomène est à l’origine de l’abondance des identités, quand chaque individu possède sa propre analogie psychologique. Le groupe social, c’est l'association des identités ; on pourrait dire la communion des membres, « non pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre, l’un ne devenant pas l’autre, l’autre ne se résorbant dans l’autre. » 162 Traversée de la Mangrove se résume à une traversée impraticable, les personnages incapables de traverser les barrières individuelles. L’auteur ne résout pas le problème, quand la créolité se situe au cœur du théâtre social, lieu d’expression du rituel quotidien, la division de la communauté, l’exclusion sociale. Moïse Maringouin, le facteur, est la figure de l’exclu, qui vit durement son identité. Francis Sancher se méfiait de lui, ne l’écoutant pas lorsqu’il parlait. Les femmes du village « lui barraient l’entrée de leurs cœurs, de leurs couches » 163 . Les hommes « se moquaient de lui et qu’au fil des années ses rêves avaient séché. » 164 Il rappelle un autre personnage du roman, Lucien Evariste, l’écrivain qui n’écrit pas, vivant péniblement le rapport avec l’Autre, dont découle pourtant sa prétendue identité d’écrivain. Lucien Evariste racontait à longueur de journée qu’il travaillait sur un roman. Cet exercice à l’écriture lui a valu les railleries de la société :

‘« Un écrivain est-ce donc un fainéant, assis à l’ombre de sa galerie, fixant la crête des montagnes des heures durant pendant que les autres suent leur sueur sous le chaud soleil du Bon Dieu ? » 165

La création d’une identité collective, dans une société antillaise, est menacée par les préjugés et les clichés. Les personnages sont conscients de la différence de culture. Certains rejettent la culture de l’Autre, comme dans Un plat de porc…, Moi, Tituba sorcière…, d’autres la dépassent comme dans Desirada et Les derniers rois mages. Des personnages comme Mariotte, Marie-Noëlle et Tituba découvrent l’étrangeté de leur être, dans une société qui s’oppose aux réalités créoles. C’est pourquoi l’altérité engage l’identité sociale des personnages dans ces romans. Moi, Tituba sorcière… le confirme, le texte justifie le principe d’opposition, que Lucy Bauget analyse comme la création d’une « identité positive en définissant un groupe opposé ennemi. » 166 Tituba, accusée de sorcellerie, quitte la Barbade natale, pour le village de Salem, elle sera jugée dans le commune. La reconnaissance des racines et le refus des mœurs coloniales s’affrontent, chez Tituba, comme drame intérieur. Mariotte découvre l’angoisse du temps et s’adonne à la rêverie, quand Tituba rejette la sphère du Colon, et lutte pour le retour à la Barbade. Lucy Bauget semble donner raison à ces deux figures de l’identité, quand il sépare la reconnaissance des valeurs internes du rejet de l’inconnu :

‘« Dans la quête ou lutte pour l’identité, se jouent la définition, la modification, la gestion des frontières entre ce en quoi le sujet se reconnaît : ce qui est soi qu’il inclut comme interne, et ce en quoi le sujet ne se reconnaît pas qu’il exclut en externe. » 167

Lucy Baudet analyse la notion d’appartenance, comme phénomène générateur de l’identité sociale de l’individu. Mais es critères objectifs, comme l’appartenance à une même culture, langue, société, ne suffisent pas à définir l’identité de l’homme antillais, du moins dans les romans du corpus. La vision de l’Autre bafoue les critères objectifs. Par exemple, la perception individuelle de Mariotte creuse l’abîme qui la sépare de l’hospice, dans Un plat de porc... La découverte culturelle engendre la percussion émotionnelle du personnage, blessé dans son identité culturelle, rejeté dans l’hospice, un « dortoir », un « trou ». Chaque pensionnaire occupe une chambre, avec un lit et une table. Mariotte est la figure de l’étrangère, de l’exclue :

‘« Seule antillaise de l’hospice, j’ai droit au titre exclusif de « Doudou », et M. Moreau fait appel à mes témoignages pour authentifier ses descriptions les plus mirobolantes de la vie tropicale. Je lui dois la crainte qu’inspire à Mme Bitard ma pratique supposée de l’envoûtement par effigie, photos, rognures d’ongles, etc. » 168

Autre caractéristique de l’altérité : ce roman de Simone Schwarz-Bart, Un plat de porc…, situe le drame de l’identité dans le mélange des cultures. L’hospice est le lieu de la névrose narrative, du tamponnement des cultures, de la rencontre des civilisations. Mariotte subit le heurt, expérimente la rencontre, elle en sort névrosée. Roland Barthes l’évoque dans Mythologies 169 , il représente la planète Mars comme un double de la Terre. Les extra-terrestres présentent des similitudes émouvantes avec les êtres humains. C’est l’allégorie du processus d’identification et de la crainte de l’Autre. Car, « c’est l’un des traits constants de toute mythologie petite-bourgeoise, que cette impuissance à imaginer l’Autre » 170 , écrit Roland Barthes. La même souffrance morale hante le personnage de Maryse Condé, Tituba. Avec des accents mélancoliques, elle confesse son désarroi du milieu. Elle appréhende la société aliénante et affirme la dignité humaine, comme l’oiseau enfermé dans la cage chante pour recouvrer la liberté :

‘« Je hurlai et plus je hurlais, j’éprouvais le désir de hurler. De hurler ma souffrance, ma révolte, mon impuissante colère. Quel était ce monde qui avait fait de moi une esclave, une orpheline, une paria ? Quel était ce monde qui me séparait des miens ? Qui m’obligeait à vivre parmi des gens qui ne parlaient pas ma langue, qui ne partageaient pas ma religion, dans un pays malgracieux, peu avenant. » 171

Lucy Bauget aboutit à la conclusion suivante : les identités sociale et individuelle s’affrontent tout en s’excluant : « les identités sociale et personnelle sont concurrentes pour l’accession à une identité positive. » 172 Ce conflit construit l’identité de l’individu ou l’affaiblit, l’homme antillais réadapte les réalités objectives. On parachève à la création d’une identité, née de l’affrontement entre des réalités culturelles, sociales, linguistiques différentes. Le roman de Maryse Condé, Desirada, fournit l’exemple de l’identité positive, acquise par les deux héroïnes. En révisant la parenté, ou du moins les liens biologiques, Maryse Condé engage les personnages dans l’instruction : celle de la différence culturelle, de l’opposition sociale, qui amène Ronnie Scharfman à développer la découverte de l’ailleurs par les personnages de Maryse Condé. Elle analyse la révolte des héroïnes de Desirada sous l’angle de la libération, mais aussi de la naissance d’une identité :

‘« Au cercle vicieux de l’héritage transmis par la violence sexuelle. Cette interruption généalogique n’est plus vécue comme incurable traumatisme mais plutôt comme la promesse d’une production culturelle libérée de la tyrannie identitaire. » 173

La découverte de l’ailleurs inexistant dans Pluie et vent…, se résume à la totale possession du jardin créole, de la case, la terre natale, des thèmes de l’identité-racine qui exaltent les croyances de Télumée, celles du pays créole. Le roman de Patrick Chamoiseau Texaco présente les mêmes apparences symboliques de l’identité-racine : comme Télumée, Marie-Sophie Laborieux n’oublie pas sa généalogie qu’elle raconte, dans un style créolisé, une révélation des réalités les plus sombres de la ville ; le titre éponyme annonce au lecteur les aventures narratives dans Texaco, ville coloniale aux apparences décevantes et attirantes : au-delà, ce sont l’histoire de la Martinique, les révoltes, l’esclavage, l’entassement des cases, la recherche d’une unité et d’une cohésion sociale qui rehaussent la narration. Texaco 174 est la ville métaphore la créolité qui est avant tout, pour Patrick Chamoiseau, la marque de la parole des ancêtres, dépositaires du savoir : « ceux-là [les ancêtres] savaient des choses que l’on ne doit pas savoir. Et ils faisaient vraiment ce que l’on ne peut pas faire. Ils avaient mémoire des merveilles oubliées. » 175 La grand-mère, Reine Sans Nom, est la vieille sage, conservatrice du savoir oral dans Pluie et vent....

Les romans éclairent, en quelque sorte, le concept de « l’altérité » et celle de l’identité créole qui l’entoure, en présentant des personnages identitaires. Des différences, au niveau de la psychologie des personnages, de leurs motivations, opposent les romans : Les derniers rois mages démontrent la vraie identité, il faut la retrouver dans la rencontre avec l’Autre. Les deux auteurs, André et Simone Schwarz-Bart, exposent les dangers du désir de l’Autre dans Un plat de porc…La différence de culture ne passionne pas les deux femmes, Mariotte et Tituba. Elles sont obsédées par leur héritage culturel et traditionnel. Les personnages de Desirada s’engagent dans la conquête d’un imaginaire différent, loin de l’univers des Antilles. Malgré ces dissemblances, les romans ont en commun la recherche de l’identité par l’altérité. Les textes se lisent comme la découverte d’une culture, d’une communauté, d’un peuple et des mentalités qui les caractérisent. La littérature est pour Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart un lieu de rencontre, mais aussi de connaissance de l’Autre, dans sa conscience et dans sa culture. Jean-Jacques Lecercle, dans un entretien « Littérature et altérité », formule ce lieu de découverte, et de connaissance de l’Autre que structure la littérature : « la vraie littérature n’est pas le lieu de revendication d’identité mais plutôt le lieu de contact faste avec l’altérité. » 176 Les romans de Maryse Condé et de Simone Schwarz-Bart entraînent le lecteur dans une double aventure : les personnages revendiquent leur identité, d’une part, ils éprouvent la lassitude morale et physique, d’autre part. Il y a lieu alors d’approfondir cette identité des personnages, de comprendre ces caractéristiques, c’est pour mieux apercevoir les figures féminines comme masculines dans les romans.

Notes
127.

Larousse encyclopédique universel, « Identité », Paris, Editions de Larousse-Bordas, n°8, 1998.

128.

Marc Gontard, « Métissage et créolisation : une théorie de l’altérité », in Ecritures caraïbes, Plurial

n° 10, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002, pp. 137-144.

129.

Ibid.

130.

Ibid.

131.

Francis Higginson, « Un cahier de racine : Maryse Condé et la traversée impossible », in Maryse Condé Une nomade inconvenante, Guadeloupe, Ibis Rouge Editions, 2002, pp. 95-105. Francis Higginson est professeur de littérature française à Bryn Mawr College (Pennsylvanie).

132.

Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon, p. 136.

133.

Algirdas Julien Greimas, Du sens, Paris, Seuil, 1983. A la suite du structuraliste russe, Vladimir Propp, (Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970) qui analyse la structure narrative du conte selon des étapes successives, Greimas aboutit au schéma actantiel, avec le parcours narratif fondé sur la quête d’objet par le protagoniste qui doit affronter des épreuves avant la réalisation du désir.

134.

Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon, p. 65.

135.

Maryse Condé, Moi, Tituba sorcière…, p. 21.

136.

Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon, p. 65.

137.

Simone Schwarz-Bart, Pluie et vent…, p. 11.

138.

Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1999, pp. 47-48.

139.

Maryse Condé, Desirada, p. 34.

140.

Ibid.

141.

Ibid, p. 99.

142.

Ronnie Scharfman, « Au sujet d’héroïnes péripatétiques et peu sympathique », in Maryse Condé une

nomade inconvenante, op.cit., pp. 141-148. Ronnie Scharfman est professeur de littérature francophone à Purchase College-SUNY (Etats-Unis).

143.

Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1972, p. 23.

144.

Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, op.cit., p.132.

145.

Ibid., p. 133.

146.

Françoise Simasotchi-Brones, Personnages romanesques et sociétés antillaises, op.cit., 2000, p.373.

147.

Raphaël Confiant, Commandeur du sucre, Paris, Ecriture, 1994.

148.

Simone Schwarz-Bart, Un plat de porc…, p. 79.

149.

Maryse Condé, Desirada, p. 111.

150.

Ibid., p. 202.

151.

149Régis Antoine, Rayonnants écrivains de la Caraïbe, Guadeloupe-Martinique-Guyane : Anthologie et analyse, Paris, Servédit, Maisonneuve et Larose, 1998, p. 144.

152.

Maurice Le Moine, Le Mal antillais : leurs ancêtres les gaulois, Paris, L’harmattan, 1982.

153.

Ibid., p. 126.

154.

Maryse Condé, Desirada, p. 176.

155.

Jacques Stephen Alexis, Les arbres musiciens, Paris, Gallimard, 1957.

156.

Le Grand Robert de la langue française, « altérité », Collection, tome1, Paris, Editeur Le Robert, 15 nov. 2001, pour la seconde édition.

157.

Lucy Bauget, L’identité sociale, Paris, Dunod, 1998, p. 45.

158.

Maryse Condé, Desirada, p. 40.

159.

Serge Gruzinski, La pensée métisse, op. cit., p. 46.

160.

Carlos Fuentes, Le Sourire d’Erasme : Epopée, utopie et mythe dans le roman hispano-américain, Paris, Gallimard, 1992, p. 12.

161.

Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’horizon, p. 147.

162.

François Laplantine, Je, nous et les autres, Paris, Editions Le Pommier, 1999, p.32.

163.

Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, p. 30.

164.

Ibid.

165.

Ibid., p. 30.

166.

Lucy Bauget, Métamorphoses identitaires, Bruxelles, Presses Universitaires Européennes, 2001, p. 85.

167.

Ibid, p. 74.

168.

Simone Schwarz-Bart, Un plat de porc…, p. 31.

169.

Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1970.

170.

Ibid., p. 44.

171.

Maryse Condé, Moi, Tituba sorcière…, pp. 81-82.

172.

Lucy Bauget, L’identité sociale, op.cit., p. 85.

173.

Ronnie Scharfman, « Au sujet d’héroïnes péripatétiques et peu sympathiques », in Maryse Condé une nomade inconvenante, pp. op.cit., 141-148.

174.

Patrick Chamoiseau, Texaco, Paris, Gallimard, 1992.

175.

Patrick Chamoiseau, Texaco, Paris, Gallimard, 1992, p.45.

176.

Alexandre Prtojevic, Entretien avec Jean-Jacques Lecercles « Littérature et altérité », entretien publié sur le site Internet www.vox-poetica.org , consulté le 13 janvier 2003.