A. Le mélange des traditions créoles dans les romans

Le décor le plus apparent dans les romans tiendrait dans les particularismes créoles. C’est le déguisement culturel qui réside à l’arrière-fond de la narration, et l’enchaînement des phrases comme des récits, exhibe le carnaval des moeurs créoles. Avec les coutumes antillaises, les auteurs retrouvent des pinceaux pour peindre la culture. Lorsque le décor des îles change, et c’est l’exemple dans Un plat de porc…, Ti Jean L’horizon et Les derniers rois mages, les tableaux de la culture antillaise ne changent pas, ils demeurent analogues parce que rattachés à l’imaginaire des îles créoles. La littérature antillaise, au reflet des textes, construit le registre de la culture : comment les auteurs antillais pourraient-ils négliger les mœurs créoles ? Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart n’hésitent pas à transporter ces mœurs dans leurs romans. C’est le truchement de la culture dans l’art. Colette Maximin, critique de la littérature des Caraïbes, voit dans cette représentation l’appropriation de la culture populaire : « substrat identitaire, la culture populaire constitue le soubassement du champ littéraire. Elle fonde l’unité de l’écriture caribéenne. » 244 L’influence du milieu engendre l’adaptation de la culture dans l’art romanesque de l’écrivain antillais :

‘« Tout homme est créé pour dire la vérité de sa terre, il en est pour la dire avec des mots, il en est pour la dire avec du sang…, et d’autres avec la vraie grandeur (qui est de vivre avec la terre, patiemment, et de la conquérir comme une amante)… » 245

L’affirmation d’ Edouard Glissant dégage le paysage littéraire des Antilles, qui ne doit pas passer sous silence les événements politiques, culturels, sociaux et religieux. Maryse Condé, si elle ne vit plus dans la terre natale, ne manque pas nonobstant d’évoquer la réalité des cultures, quand elle décrit les fêtes populaires et religieuses dans Moi, Tituba sorcière... Mais Simone Schwarz-Bart, qui ne trouve nul autre lieu d’existence que dans l’île natale Pointe-à-Pitre, est plus proche de cette réalité, lorsqu’elle nous montre la danse des esclaves dans Pluie et vent…. Non dépourvus de particularismes, les romans du corpus, en parallèle avec d’autres textes de la littérature antillaise, se croisent aux mœurs sociales, culturelles et religieuses, sous l’esclavage et après l’abolition ; elles passionnent beaucoup les écrivains francophones des Caraïbe, qui trouvent dans ces mœurs la stratégie de mettre à nu leur conscience de colonisés :

‘« On ne saurait en ce sens s’étonner que les écrivains afro-antillais considérés aient abordé la littérature occidentale en fonction de leurs préoccupations immédiates de colonisés, pour y trouver des réponses à leurs propres questions, en y projetant, à l’occasion, leur propre conscience du monde. » 246

Le peuple intégral, selon l’âge, jeunes et vieux, le sexe, hommes et femmes, et les couches sociales, pêcheurs, bûcherons, cultivateurs, prêtres, fonctionnaires, tous prennent la parole et expriment leurs préoccupations dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart. Cette polyphonie permet aux auteurs de décrire, tour à tour et de façon différente, les mœurs sociales, culturelles et religieuses.

Notes
244.

Colette Maximin, Littératures caribéennes comparées, Paris, Karthala, 1996, p.14.

245.

Edouard Glissant, La Lézarde, Paris, Seuil, 1958,

246.

Roger Toumson, La Transgression des couleurs : littérature et langage des Antilles (XVIIIe, XIXe, XXe siècles, Paris, Editions caribéennes, 1989, Tome 1, p. 24.