A. Les figures de l’espace dans la narration

Au début du travail, le contexte géographique a révélé les Antilles dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart. On peut prolonger les liens, en analysant les espaces construits dans les textes. Et en indiquant premièrement les lieux qui éclairent la couleur locale des œuvres choisies. A lire Traversée de la Mangrove, Pluie et vent…, Les derniers rois mages, Desirada, Ti Jean L’horizon, on ne découvre pas inévitablement de traces emmêlées, les lieux ne s’avèrent quasiment pas étranges : l’identification avec le contexte géographique des Antilles semble logique : le motif du miroir réapparaît comme le prolongement des Caraïbes dans les romans. Mais les œuvres de fiction qu’elles ont créées assemblent des symboles littéraires dans les espaces. Dépasser la réalité géographique, voilà le travail des auteurs, car pour être frappants les espaces doivent être symboliques :

‘« Loin d’être indifférent, l’espace dans un roman s’exprime donc dans des formes et revêt des sens multiples jusqu’à constituer la raison d’être de l’œuvre. » 483

Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart créent des espaces disparates dans les romans; la vision de l’intérieur et des îles s’ouvre sur le monde. Ti Jean L’horizon, Les derniers rois mages, Moi, Tituba sorcière..., Un plat de porc… présentent des espaces doubles, l’intérieur et l’extérieur des îles. Et en les éclatant, les auteurs augmentent les errances des personnages, ils renforcent les significations des lieux. L’univers insulaire est un espace de référence et de création : Traversée de la Mangrove, Pluie et vent…, Desirada, peuvent se lire sous l’angle de l’insularité. Les romans représentent plusieurs îles des Caraïbes, cette reproduction révèle la mentalité des habitants que manipulent les auteurs. La fermeture des îles peut influencer la psychologie des protagonistes. L’angoisse, la peur, la crainte, la révolte, mais aussi l’euphorie et la joie des êtres romanesques peuvent être analysées comme des syndromes de l’île. L’espace du dehors prolonge l’imagination des auteurs: la thématique du voyage entraîne la dilatation de l’espace insulaire, selon les déplacements des personnages. L’angoisse éprouvée dans l’île conduit au voyage. Moi, Tituba sorcière…, Ti Jean L’horizon, Un plat de porc… présentent des personnages voyageurs. Tituba, Ti Jean et Mariotte découvrent, respectivement dans ces romans, l’ailleurs différent de l’île, mais vécu comme un espace secondaire nettoyé des délices du pays natal.

Le retour en Afrique, le départ vers l’Europe et la conquête de l’Amérique sont évoqués dans les romans. Dans cette évocation, deux caractéristiques apparaissent : l’espace semble tout au long des textes dramatique, les personnages découvrent de nouveaux théâtres d’action ; il apparaît aussi comme le lieu de recherche de leur identité. Les personnages de Maryse Condé et Simone Schwarz-Bart sont comme étouffés dans l’espace de l’île. Ils éprouvent un manque, un vide que le voyage pourrait combler. Certains personnages comme Télumée, dans Pluie et vent…, acceptent l’espace commun historiquement imposé qui est l’île.D’autres, à l’image de Ti Jean dans Ti Jean L’horizon, Francis Sancher et Emile Etienne dans Traversée de la Mangrove, éprouvent la difficulté de vivre dans l’île. Les personnages sont à la recherche d’un endroit convenable, car l’espace des Antilles paraît impossible. La thématique du voyage rappelle le « marronnage » ou la fuite des Esclaves. Ils recherchaient des espaces nouveaux, loin de la sphère tragique des Maîtres qui les pourchassaient dans les bois, lianes, lagunes, mangrove et montagnes.

Notes
483.

Roland Bourneuf et Réal Ouellet, L’univers du roman, Paris, Editions Dunod, 1996, p. 100.